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Citations de Jacques Lusseyran (156)


Jacques Lusseyran
On n’invente pas le monde intérieur. Il existe pour nous ou il n’existe pas.
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Les enfants d'un pays heureux n'en finissent pas d'être des enfants. Mais ceux d'un pays qui souffre sont des hommes déjà avant même qu'ils ne l'aient désiré, avant même que leur corps ne le permette. [..]
Ils ont mille fois plus d'interrogations qu'il n'existe au monde de réponses.
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... les poètes ! Ces gens incroyables, si différents des autres, qui racontaient à qui voulait l'entendre qu'un désir est plus important qu'une fortune et qu'un rêve est bien capable de poser plus lourd que la fonte ou l'acier ! Quel toupet ils avaient ceux-là ! Et comme ils avaient raison !
Ils disaient que tout ce qui vient de l'intérieur de nous passe à travers les choses, et retourne en nous, que c'est cela vivre, sentir, comprendre, aimer..
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C'est alors qu'un instinct (...) m'a fait changer de direction. Je me suis mis à regarder de plus près. Non pas plus près des choses mais plus près de moi. A regarder de l'intérieur, vers l'intérieur, au lieu de m'obstiner à suivre le mouvement de la vue physique vers le dehors. Cessant de mendier aux passants le soleil, je me retournai d'un coup et je le vis de nouveau: il éclatait dans ma tête, dans ma poitrine, paisible, fidèle. Il avait gardé intacte sa flamme joyeuse: montant de moi, sa chaleur venait battre contre mon front. Je le reconnus, soudain amusé, je le cherchais au-dehors quand il m'attendait chez moi. (p. 26)
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On eût dit que, de ce Paris occupé, silencieux comme un cercueil, montaient des émanations irritantes. Toutes ces paroles que les gens retenaient parce qu’ils avaient peur devenaient des défis. Presque tous les garçons de mon âge étaient inquiets.
(…) Et notre inquiétude était plus complète que celle des adultes. Elle ne consistait pas à se demander qui gagnerait la guerre, et quand, s’il y aurait des restrictions alimentaires (du reste il y en aurait, elles commençaient déjà), si l’ennemi le plus dangereux était le nazisme ou le bolchevisme. Nous voulions apprendre à vivre. C’était bien plus grave. Et nous voulions apprendre très vite, parce que nous sentions que demain il serait sans doute trop tard. Il y avait des signes de mort sur terre et dans le ciel,de la frontière d’Espagne à celle de Russie. Pas même des signes, des actions de mort.
Cela grondait en nous, cela voulait sortir. Si nous n’étions pas fichus de fabriquer une meilleure vie que celle de nos aînés, l’orgie de sottise et de massacre allait continuer jusqu’à la fin du monde. Qu’ils se taisent, les gens, s’ils pouvaient vivre en se taisant ! Nous, nous ne pouvions pas. Quant à leur peur, elle ressemblait trop à de l’indécence : elle nous écoeurait.
Nous n’étions indulgents ni pour les philosophes, ni pour nos professeurs, ni pour nos familles. C’était mieux ainsi : il nous fallait de la force pour nous préparer.
p 148-149
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A peine étais-je devenu aveugle que j’avais oublié le visage de ma mère, celui de mon père, et généralement de tous les êtres que j’aimais. De temps à autre un visage m’apparaissait en souvenir, mais c’était toujours celui d’une personne qui m’était indifférente. (…)
L’affection, l’amour nous mettraient-ils si près des êtres que nous ne puissions plus évoquer leur image ? Peut-être même, à cause de notre amour, ceux que nous aimons, nous ne les avons jamais vus complètement.
Il est vrai que, à défaut de leurs visages, j’avais contre mon oreille les voix de mes parents et que, depuis l’accident, les formes des gens, leurs apparences m’intéressaient encore, mais d’une façon toute nouvelle.
Il m’était devenu subitement égal que les gens eussent les cheveux bruns ou blonds, les yeux bleus ou verts. Je trouvais même que les voyants employaient beaucoup trop de leur temps dans ces observations inutiles.
Toutes ces expressions de la conversation courante — « il donne confiance », « il a l’air bien élevé » — me paraissaient prises juste à la surface des gens : c’était la mousse, ce n’était pas le breuvage. p 81
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Mes parents étaient la protection, la confiance, la chaleur. Je l'éprouve encore aujourd'hui, quand je songe à mon enfance, cette sensation de chaleur au-dessus de moi, derrière moi, autour de moi. (p. 15)
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(A Buchenwald)
Non, la poésie, ce n’était pas de la littérature, pas seulement. Cela n’appartenait pas au monde des livres. Cela n’était pas fait pour ceux-là seuls qui lisent. Les preuves se multipliaient.
Un matin noir d’hiver, dans l’encre de l’aube, nous étions une trentaine d’hommes épuisés, grelottants, et nous nous bousculions autour de l’une des vasques rouges pour un peu d’eau glacée. Cette eau brutale, interceptée par une main, affolée par un visage qui se collait contre elle de trop près, s’échevelait sur nos torses nus. C’était le silence, celui qui était de règle dans tous les actes accomplis en commun et obligatoires. Mais tout à coup un voisin chanta. Sa voix partit en avant et s’étendit sur nous d’une façon immédiatement magique. C’était celle de Boris, c’est-à-dire celle d’un homme si extraordinaire qu’il m’est impossible de parler de lui aussitôt. Voix souple comme une chevelure, riche comme le plumage d’un oiseau, cri d’oiseau, chant naturel, promesse. Boris avait quitté, sans avertissement, les régions du froid, de l’aube morne, des chairs mêlées. Il récitait du Péguy : La Tapisserie de Notre-Dame, je crois.
Lequel d’entre nous savait ce que Boris disait ? Qui s’en souciait ? Mais nous, les trente, nous restions les bras levés, le buste incliné, une poignée d’eau glissant à travers nos doigts. La vie, le long de cette voix, recommençait à vivre. Enfin, le poème achevé, près de moi, un petit homme que je croyais gauche et lourdaud, que je croyais tel depuis des mois entiers, me dit : « Touche mon front ! C’est de la sueur, nom de nom ! C’est ça qui réchauffe, la poésie ! » De fait, la barrière du gel s’était écartée. Nous ne sentions plus même la fatigue.p 88-89
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Ils [les étudiants collaborateurs] prouvaient que le nazisme n'était pas un mal historique, limité à un temps et à un pays, un mal allemand (tuons tous les boches, et le monde sera heureux !). Le nazisme, c'était un germe omniprésent, une maladie endémique de l'humanité. Il suffisait de jeter quelques brassées de peur au vent pour récolter, à la saison prochaine, une moisson de trahisons et de tortures.
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On s'imagine toujours que les bruits sont des phénomènes qui commencent et finissent brusquement. Je m'apercevais que rien n'était plus faux. Souvent, il m'arrivait d'entendre parler les gens avant qu'ils n'aient pris la parole.
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Les yeux créent les couleurs. L’homme fait et défait les paysages. Laissez-moi vous dire ces choses, elles sont trop peu connues et, venant d’un aveugle, elles ont une petite chance de plus de retenir votre attention.
Les yeux font les couleurs. Bien sûr pas les yeux physiques, ceux de l’ophtalmologie. Ces deux organes confus et fragiles en avant de la tête ne sont, après tout, que des miroirs. Les deux miroirs brisés, les yeux continuent de vivre.
Ceux dont je veux parler, les vrais yeux, travaillent au-dedans de nous. Tant pis si le vocabulaire fait défaut, s’il est faible : voir, c’est un acte fondamental de la vie, un acte indéchirable, indestructible, indépendant des outils physiques dont il se sert. Voir, c’est un mouvement de la vie fait en nous avant les objets, avant toute détermination extérieure. Avant les objets et après eux si, par accident, les instruments matériels de la rencontre viennent à manquer. C’est au-dedans de vous que vous voyez.
Si la lumière intérieure ne nous était pas donnée d’abord, et par conséquent les couleurs aussi qui sont la monnaie de la lumière, jamais nous ne pourrions admirer les couleurs du monde.
Voilà ce que je sais après vingt-cinq ans de cécité. p 13
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... je ne vais pas vous montrer Buchenwald. Pas entièrement. Personne n'a jamais pu le faire....Il n'y a pas de " vérité " sur " l'inhumain ", de même qu'il n'y en pas sur la mort.
... Sur deux mille Français qui sont entrés avec moi en cette fin de janvier 1944 à Buchenwald, il reste une trentaine de survivants.
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Extrait de la Préface de Jacqueline Pardon, résistante, devenue la femme de Jacques Lusseyran après la guerre. Ils divorceront en 1954. p 7
"Un petit garçon de huit ans perd définitivement la vue, à la suite d'une bousculade à l'école communale. C'est un malheur irréparable. Il découvre en lui des dons inhabituels. D'abord, il voit toujours le soleil lorsqu'il regarde de "l'intérieur vers l'intérieur", soleil qui "conserve sa flamme joyeuse". Et, dans la lumière de celui-ci, tout revient. Et plus encore, c'est un déferlement de couleurs. Même les chiffres, les lettres, les notes de musique sont colorés.
Quant aux hommes, s'il ne voit plus la forme de leurs corps, c'est une tache colorée qu'il perçoit, différente pour chacun. Les autres sens se développent, l'ouïe en particulier. La voix, pour lui, est beaucoup plus révélatrice de l'être que l'expression du visage. La cécité, loin de le séparer des autres, le rapproche d'eux. Il n'est pas un aveugle, mais un aveugle voyant, qui vit parmi les voyants ordinaires."
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On n'invente pas le monde intérieur. Il existe pour nous ou il n'existe pas.
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Ce qu'une maman peut faire pour son enfant aveugle peut s'exprimer simplement : lui donner naissance une deuxième fois. C'est ce que la mienne fit pour moi,...
(...) Elle apprit le braille avec moi. Elle suivit mes études jour par jour pendant plusieurs années. Elle accomplit en somme toutes les tâches qu'un précepteur privé, spécialisé, eût sans doute accomplies. Mais à la compétence, elle ajouta l'amour, et l'on sait bien que cet amour-là dissout les obstacles mieux que ne le feraient toutes les sciences.
(...) On me pardonnera, j'en suis sûr, de penser que ma mère fut exceptionnelle. Mais je ne crois pas affaiblir le témoignage que je lui rends, si je dis qu'il est des milliers d'autres femmes qui seraient capables, vis-à-vis de leur enfant aveugle, du même don et de la même intelligence. Il suffirait, pour qu'il en fût ainsi, qu'elles sachent que l'adaptation est possible, et mieux que l'adaptation : l'alignement de la vie de leur enfant sur la vie des autres. Il suffirait qu'elles aient plus souvent entendu parler des richesses de la cécité, qu'elles aient confiance. Et c'est pourquoi je raconte si volontiers mon histoire accidentellement heureuse. Il n'est rien que je désire tant que de ne pas être une exception. p 46-47
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La joie de découvrir que la joie existe, qu'elle est en nous, exactement comme la vie, sans conditions et, donc, qu'aucune condition, même la pire, ne saurait la tuer.
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Il existe pour un enfant aveugle une menace plus grande que toutes les plaies et bosses, que toutes les égratignures et que la plupart des coups : c'est l'isolement à l'intérieur de lui-même.
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Quand ma vie sera terminée, il me restera l'univers à apprendre.
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...ce sont les lettres que j’enseigne, la littérature française, et en Amérique.
(...) mon métier est étrange, et je ne serais pas autrement surpris si les peuples modernes, parvenus enfin à leur maturité moderne, prenaient la décision de l’interdire.
Rien de plus naturel ! L’examen des beautés littéraires, des significations littéraires n’apporte aux hommes aucune connaissance chiffrée. C’est une perte de temps pour l’humanité technique. C’est une poussière dans l’horloge du progrès qui est aussi l’horloge du bonheur. À quoi sont-ils bons ces gens de littérature qui, en présence d’Homère, de Shakespeare et de Racine, vous soutiennent que ce qui est beau, ce qui est intelligent et ce qui est utile, ce ne sont pas seulement les mots mais ce que cachent les mots, les instants de silence, les intervalles, les suspensions, l’harmonie non visible ? L’humanité est pressée : au diable ces gens-là ! p 9
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J'avais des mots dans la tête, dans la gorge. Mais il n'aurait servi à rien d'en faire un roman ou des poèmes. Le temps n'était pas aux discours : j'avais des mots jusque dans les bras et les mains.
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