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Critiques de Jacques Rancière (66)
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Le maître ignorant : Cinq leçons sur l'émancipati..

Pourriez-vous enseigner sans avoir appris ?



L’auteur débute par le récit-socle de son ouvrage, l’expérience du français Joseph Jacotot qui, au tournant du XIXème siècle, parvint à enseigner le français à ses étudiants des Pays-Bas, tout en ignorant lui-même le flamand ! Ils ont appris sans comprendre autrement dit sans explications (Hartelijk gefeliciteerd !).



Nous sommes d’accord pour reconnaître que l’explication est nécessaire en pédagogie, la parole du maître, qui pourtant disparaît dans l’instant, l’emporte sur l’écrit indélébile du manuel donné par les parents par exemple. C’est par cet acte que la famille ne peut se substituer au maître, l’art de l’explication, l’art des raisonnements. Et le maître est seul juge du moment où l’élève a compris les explications.



Jacotot, et Rancière après lui, veulent torpiller ce postulat. Car pourtant chaque enfant, quelle que soit ses origines sociales, dans le monde, fait déjà un apprentissage conséquent sans maître : celui de la langue maternelle. Alors pourquoi décréter ensuite qu’il a besoin de maître pour apprendre ? C’est tout le postulat qui fait dire qu’il faut soi-même savoir pour transmettre et apprendre et qui divise le monde entre maîtres et élèves, entre intelligents et ignorants.



Pour Jacotot c’est un abrutissement. L’élève fait le deuil du fait qu’il ne peut pas comprendre sans explications. L’émancipation, est le but et le moyen de l’enseignement universel « il faut apprendre quelque chose et y rapporter tout le reste ».



Le maître ignorant n’est pas là pour corriger, pour permettre à l’élève de faire l’économie de quoi que ce soit mais pour juger de la radicalité de son effort et de sa vigilance : en d’autres termes de son attention, qui est la condition sine qua non de son apprentissage.



On comprend bien que l’émancipation est l’effort personnel de se croire à égalité et c’est ainsi le contraire de l’abrutissement. Ce dernier consistant à croire en des intelligences supérieures et inférieures et sans moyen pour l’intelligence supérieure de se faire comprendre et sans moyens pour l’inférieure de vérifier le raisonnement de l’intelligence supérieure qui débouche sur un dialogue « entre un aveugle et un chien ».



A la lecture de cet ouvrage on s'interroge : une société émancipée, si nous partons du principe qu’elle est faisable, repense entièrement l’organisation de l’instruction mais aussi du travail et de la vie en communauté. En fin de compte, la question n’est pas tant « est-ce faisable ? » mais « souhaite-t-on dans notre société des individus égaux, émancipés, en lieu et place des « abrutis » que la société produit actuellement ? (Le terme « abruti » a un sens qui lui est propre chez Jacques Rancière et n’est pas synonyme de bêtise, de sorte qu’on peut se lâcher sans culpabilité, absous de l’onction philosophique, un peu à la façon du « salaud » de l’existentialisme Sartrien).



Pour l’auteur c’est le mépris qui empêche les individus d’utiliser la raison et de se considérer comme des égaux. Le mépris est la passion de l’inégalité : il se manifeste par une humilité qui n’est que paresse et qui cache en creux une supériorité latente (je ne peux pas faire ça moi, mais sous-entendu, je suis au-dessus de ça). L’auteur développe également une théorie sociale, sur le modèle scientifique : si chaque individu est intelligent, la société n’est pas pour autant une intelligence collective.



Jacques Rancière rend hommage à Jacotot, ce pédagogue singulier de l’émancipation intellectuelle qui déboulonne bien des postulats sociaux, que nous avons encore aujourd’hui dans l’organisation de l’éducation nationale, et qui participent, au-delà de l’éducation, à la hiérarchie sociale dans le travail, dans la vie citoyenne etc…Dommage que le philosophe et enseignant Rancière n’ait pas poussé la révérence jusqu’à essayer à son tour les méthodes de Jacotot.



Au sortir on a aussi envie de lire « Les Aventures de Télémaque » de Fénelon, comme ces jeunes néerlandais qui ont appris le français sur la seule base de cet ouvrage en édition bilingue.



Qu’en pensez-vous ?
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La haine de la démocratie

Alors que la démocratie est exportée par certains gouvernements à la force des armes, tout en étant par ailleurs considérée comme « le désordre des passions avides de satisfaction », tandis que sont fustigés l’ « individualisme démocratique » et l’ « égalitarisme » qui détruiraient les valeurs collectives et forgeraient un nouveau totalitarisme, Jacques Rancière explique que tous ces discours officiels s’inscrivent dans la continuité de ceux qui dénonçaient, dès l’Antiquité, le scandale du « gouvernement du peuple ». Analysant les liens complexes entre démocratie, politique, république et représentation, il invite à retrouver la puissance subversive de l’idée démocratique.

(...)

Jacques Rancière figurait depuis longtemps sur notre liste des auteurs à lire. Une grande découverte. Fine analyse des rapports de domination dissimulés derrière les discours officiels.



Article (très) complet sur le blog :
Lien : https://bibliothequefahrenhe..
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Le maître ignorant : Cinq leçons sur l'émancipati..

Ce petit essai de Jacques Rancière a réveillé, en quelque sorte, ma conscience endormie. Il a ouvert un nouveau champ visuel et intellectuel jusqu’alors impensable et inenvisageable, simplement par le simple fait de penser la notion d’égalité comme un présupposé (il n’y a pas d’inégalité à l’origine) au lieu de la comprendre habituellement comme un but à atteindre. Car tout prend de ce fait une autre tournure : aucune personne ne peut se déclarer détentrice d’un savoir ou d’un savoir faire supérieur et inatteignable et ainsi instaurer de facto une hiérarchie de l’intelligence. Ce constat provient de la découverte par Jacques Rancière d’un révolutionnaire français exilé à Louvain au début du XIXe siècle qui secoua les principes établis responsables de la soumission intellectuelle du plus grand nombre, au profit des plus instruits. Ce dénommé Joseph Jacotot se mit en effet à enseigner ce qu’il ignorait par un travail d’observations et de comparaisons, et obtint des résultats surprenants.

En jouant sur l’ambiguïté de l’énonciateur, j’ai comme eu la sensation d’entendre un Joseph Rancière/Jacques Jacotot clamer qu’il était temps et possible (que ce soit au début du XIXe ou à la fin du XXe siècle) pour chacun de prendre part aux décisions qui structurent nos communautés.

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Le maître ignorant : Cinq leçons sur l'émancipati..

Faut il apprendre pour s'émanciper ou faut il être émancipé pour apprendre ?…

Instruction, éducation, apprentissage… enseignement.

Chacun reste planté sur ses frontières et voilà le continent perdu…

Il ne s'agit pas là d'un traité exhaustif sur l'enseignement ou sur l'éducation .

Jacques Rancière nous expose dans ce livre cinq leçons sur l'émancipation intellectuelle.

Et cela nous concerne tous . Enfants et adultes. Enseignants et enseignés.

L' émancipation intellectuelle de tous concerne l'ensemble de la société.

Ce que la société, ou les sociétés d'humains qui composent notre ensemble, se fixe comme projet. Quel qualité, quel rôle, donne-t-elle à chacun de ses membres ? Quelle place ?



Faut il servir ou se rendre maître ? Voilà sans doute la base de toute la réflexion.



Émancipation.

Chacun reconnaîtra la portée de ce mot. Émanciper. Donner sa liberté. Rendre libre.

Quel est donc l’intérêt pour une société de rendre ses citoyens libres d'apprendre sans jougs, sans interdits, sans tabous, sans barrières, sans limites. Sans considération de son niveau social, de son âge, de son sexe, de ses origines ?

Quel intérêt pour une société de rendre ses membres « capables de », « maîtres de »  ?

De les rendre acteurs, actifs, créatifs, moteurs, mobiles, autonomes.

Bref quel est l’intérêt pour une société d'enseigner la base principale de toute liberté : celle de penser.

De penser par et de soi même, apprendre par et de soi même, et transmettre ce qu'on l'on connaît et cela sans forcément le monnayer.

Car comme le demandait le poète Leny Escudero «  Où en serrions nous où si celui qui avait inventé la roue avait gardé cette idée pour lui même ? »..

Ou pourrait se demander alors on en serait où si celui qui avait découvert un systeme d'exploitation informatique avait gardé ça pour lui ? Et bien on en serait où nous en sommes. C'est à dire face à un monopole, à une dictature économique qui a crée son empire et qui a engrangé des milliards de dollars. Et qui ne pouvant plus assumer « la charge » de sa bonne fortune redistribue avec «  bonté » ces milliards qui depuis le début aurait du être partagés entre tous...

Oui, où en serions nous si l'état français, qui était encore à cette époque un peu éclairé, n'avait pas décidé d'acquérir le brevet de la photographie et de le verser immédiatement dans le domaine public. On en serait où ? Aurions nous été capable d'aller au si vite aussi loin dans le développement de l'imagerie médicale ? Mais c'était le 19 e siècle me direz vous...

Le partage des connaissances, la mise en commun des expériences, voilà la théorie du monde libre.

Se libérer de la confiscation de la connaissance . Voilà l'enjeu.

De nos jours il ne s'agit plus seulement du savoir lire et du savoir écrire ( quoique là aussi les fissures soient apparentes) mais de la maîtrise de la connaissance technologique.

Car le monde est devenu technologique. L'exploration scientifique est technologique. L'agronomie est devenue technologique. L’exploration spatiale terrestre et maritime sont technologiques. La finance est technologique. Tout est devenu technologique..

Celui qui maîtrise la technologie et ses outils est le maître du monde et se rend maître de ses richesses et maître du devenir de la population.

L'émancipation intellectuelle n'est pas une énième méthode d'enseignement. Elle structure et propose une vision qui donnera son futur à notre humanité.

Alors la question est quels enseignements dispensent-on aujourd'hui dans nos écoles ?

Est il émancipateur ? Peut il l'être ? La question des reformes se situe le plus souvent pour ne pas dire tout le temps sur les temps de travail, sur les programmes enseignés.

Le quoi et le quand, jamais véritablement le comment et surtout jamais le pourquoi.

Comment définit on ces temps , ces programmes ? Par rapport au besoin. Au besoin d'un ordre économique. L'enfant va à l'école pour y apprendre un métier. Elle le forme pré-forme à un métier, elle n'a pas vocation à le former en tant qu'individu. Pas le temps, pas les moyens ? Surtout pas les compétences. Ce n'est pas la faute de l'école, pas la faute de l'enseignant, pas la faute de l'enseigné. C'est juste une vision de société. Les premières lettres de son projet.



L'enseignement dispensé doit correspondre à la réalité du marché.

Il existe bel et bien un formatage de l'enseignement par rapport à l'économie. L'humain dans l'école devient un élément économique. L'enseignant un partenaire. Les parents des financiers. Car force est de constater que l' école aujourd'hui n'est plus qu'un projet économique.



Alors définissons un autre projet. Faire de l'enseigné non pas un être passif que l'on soumet à certaines disciplines, et qui apprendra à se soumettre de lui même, mais le convaincre qu''il a en lui toutes les capacités afin d'apprendre par lui même, apprendre ce qu'il juge lui être utile, pertinent, mais surtout qui lui donnera le goût d'apprendre indéfiniment et cela toute sa vie et d'être capable de lui même d'enseigner et cela même si il ignore le sujet qu'il doit enseigner…

Projet étonnant ? Mais là se situe peut être le clé de certains de nos problèmes.

Utopie ? Je prends le risque. La vieille méthode sur moi n'a pas fonctionné. J'ai signe pour la nouvelle méthode. Et je sais quelle fonctionne.

Cela n'est ni une idée, ni une théorie nouvelle. Jacques Rancière développe , explique la méthode de l'enseignement universel que Joseph Jacotot a établi en 1818.

L'esprit des Lumières n'était pas loin ... la raison et l'expérience voilà ce qui nourrit la connaissance.

La connaissance devenant un outil accessible à tous et non plus un mobile pour certains, la liberté et l'égalité de l'enseignement doit conduire l'ensemble de la société à progresser vers un mieux vivre.

Nous avons perdu les Lumières. Voilà sans doute la source de l'échec de nos enseignements.



Sous les régimes soviétiques, l'état déterminait chaque année ses quotas : tant de plombier, tant instituteurs, tant de mécaniciens, tant de biologistes. L'état faisait sont marché.

Que faisons nous d'autre aujourd'hui ? Et avec égale cruauté. Car aujourd'hui les emplois ne sont plus là. Mais il faut coûte que coûte faire avancer la grande machine.

La diversité des emplois diminue. La spécialisation des emplois diminue. Commerce, management, gestion, informatique, marketing, finance . La théorie des Grands ensembles.

Voilà le choix. Les filières techniques se développent effectivement. Mais en accord avec les besoins économiques du pays. Aujourd'hui hostellerie, là "ascenseurisme", ici "logistique des transports".. . Et pour les autres ? Advienne ce qu'il pourra. Et cela mène à quoi ? A une société d'abrutissement.

« Avance, tais toi, et avance, va avance, toi tu ne sais pas, mais nous on sait, va avance, tais toi, marche, allez avance, circule, dégage, t'es pas tout seul, avance, t'inquiète pas nous on sait, tu ne peux pas savoir …. »

une société soumise au principe qu'on lui impose. Un principe qui n'enseigne pas aux citoyens d'être capables de développer une idée. Leur propre idée. Comment leur reprocher ?

Formater dès le jardin d'enfance, élever par des parents qui eux mêmes ont subi la grande machine, confiés à des enseignants qui eux mêmes sont broyés par la grande machine...

L'enseignant ne doit pas avoir d'idée, l'élève encore moins. Projet ? Si il est inscrit au programme ok. Sinon...attention circulaire, on va vous rappeler votre métier ! ..Avancez !

Donc voilà, l'ensemble s'abrutit…Nous sommes abrutis. Tous abrutis. Abrutis d'accepter.

Quelle innovation peut dans un système pareil avoir la chance de voir le jour ? Certains y arrivent. Mais si nous n'avions pas perdu les Lumières nous aurions pu gagner tellement de bienfaits.

Gaston Bachelard, dans la formation de l'esprit scientifique, estimait que celui « qui est enseigné doit enseigner. » C'est annoncer un évènement : par mon enseignement je te rend égal à moi même !

Égalité des intelligences. Voilà une condition impérative au bon développement de chacun . Avoir la conscience de l'intelligence de chacun. Rapport d'égalité, mais également rapport de confiance et de respect.

« ils ne peuvent pas comprendre » . Voilà une phrase humiliante. Qui humilie constamment celui qui n'a pas accès à la connaissance. Et pourquoi n'y a t il pas d'accès ? Alors que l'école est publique, alors que les bibliothèque sont gratuites, alors que nous sommes dans le siècle le plus informé qui soit et parait il le mieux renseigné..., comment alors expliquer que certains pensent que ce qui est écrit ici , ce qui se dit là, ce qui se joue là, ce qui est peint là, ce qui est filmer ici, comment expliquer que certains soient restés dans cette position humiliante d'exclusion. «  je ne sais pas. » «  Je ne comprends pas ». « Je ne peux pas » qui débouche invariablement sur un «  je ne veux pas ».



Triste projet de société. Vision réductrice d'humanité.

Et l'horizon s'obscurcit. Car comment ne pas être écœuré par exemple, lorsqu'un ministre de l’économie d'une société dite développée répond sur un plateau de télévision à une adolescente qui lui demande si elle peut espérer un jour devenir ministre comme lui : « Statistiquement, non. ». Si on ne peut pas reprocher à ce ministre l'honnêteté de sa lecture comptable , on peut tout de même s'interroger quant à la vision qu'il a de notre vivre ensemble. Que doit répondre la République à cette enfant ? Que oui elle le peut. Mais que le chemin qui lui conviendra d'emprunter pour y arriver dépendra d'elle et plus largement de sa génération. Que ce qui est aujourd'hui, ne sera pas demain. Parce qu'ils ont eux, la nouvelle génération, toute l'intelligence de bâtir, d'inventer, un monde qui leur conviendra.



Un adulte répond non à une enfant. « Non tu ne pourras pas. Parce que je te demande de te projeter dans un monde ancien, et parce que je ne t'ai pas appris, pas autoriser à imaginer demain. Je ne te rend pas autonome parce que je te juge illégitime ». Voilà en fait ce que contient ce «  statistiquement, non. » en 2015.

Voilà l'échec. la répétition de l'échec. Le bug du 21e siècle.

Alors quittons le cuir tétanisé de l'éducation nationale et le champ réducteur des gouvernances.

Jacotot avait développé cette théorie lorsqu'il s' était aperçu qu'il avait pu transmettre un enseignement à d'autres et cela sans lui même maîtriser cet enseignement .

Sa base de travail ? un livre . Partant du principe que le savoir est dans le livre. Tout est dans le livre. Le livre n'a pas besoin d'explicateur. Le livre contient. Le livre , c'est tous les livres. Partant du principe que tous les hommes ont la même intelligence , nous sommes tous capables de déchiffrer le livre. Il s'agit donc de traduction, de décryptage. L'apprentissage est naturel à l'homme. Dès sa naissance l'humain est un organisme qui ne cesse d'apprendre, à marcher, à parler, etc..Il traduit , il analyse, synthétise, il apprend, il parle, communique, partage et il sourit.

Même potentiel d'apprentissage, même intelligence.

Alors ?

L'enseignement est rationaliste écrivait Bachelard.

Explicatif, et toujours à priori. Le maître explique ce qu'il y a dans le livre. L'élève retient et doit comprendre ce que comprend le maître. Dans la limite de ce que le maître doit ou choisit de lui apprendre, dans la limite de ce qu'il sait lui même, ou dans la limite de ce qu'on lui a autorisé à savoir.

«  la progression raisonnée du savoir est une mutilation indéfiniment reproduite ». «  Le génie du système est de transformer la perte en profit, le petit monsieur avance, on lui a appris, donc il a appris, donc il peut oublier »...Car que reste il de toutes ces heures d'enseignement ? Concrètement, il conviendrait d'y réfléchir. Morceaux d'histoire, morceaux de textes, notions, morcellement des acquis, éparpillement du savoir, saupoudrage hâtif des connaissances, et frustration perpétuels des esprits, car ... « Sache le... je ne peux répondre maintenant à ta question car tu verras ça ...l'année prochaine ! »

L'apprentissage est empirique, toujours selon Bachelard parce qu'il est expérimental. D'où confrontation perpétuelle entre apprentissage et enseignement..

Alors ?

Alors il faut que l'ère des « explicateurs » se termine et que commence le temps des maîtres ignorants. Car le savoir est dans Les livres, et ce que contient les livres c'est à l'élève de l'apprendre, de le comparer, de le soupeser, d'en débattre. D'être capable de faire usage de la transversalité des connaissances, de ses apprentissages pour valider ou non une connaissance. Se nourrir ou pas selon sa volonté mais ne pas se laisser gaver ou se laisser affamer .

Avoir la volonté et faire obéir son intelligence.

Voilà ce qu'un bon maître doit exiger de son élève.

On comprend un peu en quoi cette vision peut être critiquée dans la société qui est notre depuis des siècles.

Le maître ignorant, qu'est ce que c'est ? C'est un guide, une répétiteur, un coach si on veut admettre ce terme. Celui qui questionne , et se questionne et non celui qui interroge. Celui qui vérifie. Son but ? Veiller à la concentration de l'élève, veiller à ce que l'élève n'erre pas, ne s'égare pas, ne se disperse pas dans les méandres de sa pensée. L'inviter, le solliciter, l'éveiller, le mener sans le diriger. L'accompagner et non le dresser.

Celui qui a été émancipé, qui a reçu cet enseignement, peut lui même devenir le maître ignorant d'un autre. Partage de l'enseignement, des enseignements dans le cadre d'un accès libre du savoir.

Car il ne suffit pas d'avoir accès au savoir pour avoir accès à la connaissance et en faire un usage.

Il faut être émancipé. Émancipé face au système éducatif actuel, émanciper de l'ordre économique, politique et spirituel.

Évidement cette théorie alarme les pouvoirs en place. Elle ébranle la hiérarchie pédagogique de l'ensemble. Elle fait sauter les barrières de la connaissance. Elle remet en cause la croissance future des devenirs économiques. « Je peux demain inventer quelque chose dont le système économique actuel n'a pas besoin et qui pourtant demain changera positivement la vie de millions d'être humain. ».Mon besoin n'obéit plus à l’intérêt d'un autre. D'un autre qui s'accroche à la vieille méthode parce qu'il sait qu'elle est la pouponnière de sa matière première qui utilisera pour satisfaire ses besoins personnels.

Quel intérêt une société aurait elle à tenter cette aventure, à expérimenter cette méthode ?

Que risque t elle a devenir maître ignorant ?

«  Les choses étaient donc claires : ce n'était pas une méthode pour instruire le peuple, c'était un bienfait à annoncer aux pauvres : ils pouvaient tout ce que peut un homme. Il suffisait de l'annoncer ».

«  On ne dira pas que 'on a acquis la science, que l'on connaît la vérité ou que l'on est devenu un génie. Mais on saura qu'on peut dans l'ordre intellectuel, tout ce que peut un homme ».

Une méthode, un projet.

«  Toute la pratique de l'enseignement universel se résume dans la question : Q'en penses-tu ? « 

Lisez le livre, faites vous votre propre idée, comparez, soupesez, racontez, opposez ou validez, tout est dans le livre, et ça on ne pas l'ignorer.



Astrid Shriqui Garain

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Le maître ignorant : Cinq leçons sur l'émancipati..

Quelle magnifique découverte que la pensée de Joseph Jacotot ! Tout enseignant, tout étudiant, mais aussi tout citoyen contemporain devrait absolument en prendre connaissance. L'histoire commence à la Restauration : Jacotot, jeune enseignant de rhétorique et officier d'artillerie dans les armées de la République s'exile aux Pays-Bas ; on lui offre un poste de professeur à demi-solde mais ses étudiants ne comprennent pas le français, pas plus qu'il ne parle le flamand. Cette année-là (1818), paraît à Bruxelles une édition bilingue du Télémaque de Fénelon ; il la leur remet et le prodige s'accomplit : les étudiants apprennent sa langue et s'avèrent capables de commenter et de discuter du livre, ils en écrivent de façon totalement correcte sans avoir reçu d'enseignement grammatical ou autre.

De là, commence la réflexion de Jacotot qui est d'abord pédagogique, sur le rôle de l'enseignant qui peut et doit être non pas un répétiteur, un « explicateur », mais un « émancipateur » pour l'élève :



« Il n'y a rien derrière la page écrite, pas de double fond qui nécessite le travail d'une intelligence autre, celle de l'explicateur ; pas de langue du maître, de langue de la langue dont les mots et les phrases aient pouvoir de dire la raison des mots et des phrases d'un texte. Les étudiants flamands en avaient administré la preuve : ils n'avaient à leur disposition pour parler de Télémaque que les mots de Télémaque. Il suffit donc des phrases de Fénelon pour comprendre les phrases de Fénelon et pour dire ce qu'on en a compris. Apprendre et comprendre sont deux manières d'exprimer le même acte de traduction. » (p. 20)



Mais la pédagogie se double d'une éthique de l'enseignement : lorsque l'enseignant n'est pas « émancipateur », lorsqu'il joue un jeu d'exercice de pouvoir vis-à-vis de l'intelligence de l'apprenant, il « l'abrutit », le rend dépendant, l'infériorise :



« Dans l'acte d'enseigner et d'apprendre il y a deux volontés et deux intelligences. On appellera "abrutissement" leur coïncidence. Dans la situation expérimentale créée par Jacotot, l'élève était lié à une volonté, celle de Jacotot, et à une intelligence, celle du livre, entièrement distinctes. On appellera "émancipation" la différence connue et maintenue des deux rapports, l'acte d'une intelligence qui n'obéit qu'à elle-même, lors même que la volonté obéit à une autre volonté. » (p. 26)



Voici un extrait qui, me semble-t-il, clarifie la démarche pédagogique de ce que Jacotot appellera « l'enseignement universel » :



« Le livre, c'est la fuite bloquée. On ne sait pas quelle route tracera l'élève. Mais on sait d'où il ne sortira pas – de l'exercice de sa liberté. On sait aussi que le maître n'aura pas le droit de se tenir ailleurs, seulement à la porte. L'élève doit tout voir par lui-même, comparer sans cesse et toujours répondre à la triple question : que vois-tu ? qu'en penses-tu ? qu'en fais-tu ? Et ainsi à l'infini.

Mais cet infini, ce n'est plus le secret du maître, c'est la marche de l'élève. Le livre, lui, est achevé. C'est un tout que l'élève tient dans la main, qu'il peut parcourir entièrement du regard. Il n'y a rien que le maître lui dérobe et rien qu'il puisse dérober au regard du maître. Le cercle bannit la tricherie. Et d'abord, cette grande tricherie de l'incapacité : "je ne peux pas, je ne comprends pas..." Il n'y a rien à comprendre. Tout est dans le livre. Il n'y a qu'à raconter – la forme de chaque signe, les aventures de chaque phrase, la leçon de chaque livre. » (pp. 41-42)



Il y a deux corollaires à cette démarche : le premier est que l'émancipateur peut être un « maître ignorant », il peut n'en savoir que autant que l'élève ; le second, bien plus fondamental, est que tous les hommes possèdent une égale intelligence – notamment le peuple qui possède un savoir lié aux métiers manuels, jouissant d'une égalité intellectuelle avec le « savant » :



« Ce qui abrutit le peuple, ce n'est pas le défaut d'instruction mais la croyance en l'infériorité de son intelligence. Et ce qui abrutit les "inférieurs" abrutit du même coup les "supérieurs". Car seul vérifie son intelligence celui qui parle à un semblable capable de vérifier l'égalité des deux intelligences. Or l'esprit supérieur se condamne à n'être point entendu des inférieurs. Il ne s'assure de son intelligence qu'à disqualifier ceux qui pourraient lui en renvoyer la reconnaissance. » (p. 68)



À une époque où, a minima on attribue une inégalité intellectuelle aux conditions sociales, mais plus souvent on recherche dans le darwinisme social la cause des inégalités, mais compte tenu aussi de la situation actuelle des inégalités, il me semble intéressant d'insister sur cette notion contre-intuitive d'égalité absolue de l'intelligence :



« Il est inutile de discuter si leur [des hommes du peuple] "moindre" intelligence est effet de nature ou de société : ils développent l'intelligence que les besoins et les circonstances de leur existence exigent d'eux. Là où cesse le besoin, l'intelligence se repose, à moins que quelque volonté plus forte se fasse entendre et dise : continue ; vois ce que tu as fait et ce que tu peux faire si tu appliques la même intelligence que tu as employée déjà, en portant à toute chose la même attention, en ne te laissant pas distraire de ta voie. » (p. 88)



« Bref, n'en déplaise aux génies, le mode le plus fréquent d'exercice de l'intelligence, c'est la répétition. Et la répétition ennuie. Le premier vice est de paresse. Il est plus aisé de s'absenter, de voir à demi, de dire ce qu'on ne voit pas, de dire ce qu'on croit voir. Ainsi se forment des phrases d'absence, des "donc" qui ne traduisent aucune aventure de l'esprit. "Je ne peux pas" est l'exemple de ces phrases d'absence. "Je ne peux pas" n'est le nom d'aucun fait. Rien ne se passe dans l'esprit qui corresponde à cette assertion. À proprement parler, elle ne "veut" rien dire. Ainsi la parole se remplit ou se vide selon que la volonté contraint ou relâche la démarche de l'intelligence. La signification est œuvre de volonté. C'est là le secret de l'enseignement universel. » (p. 95)



Dans ces citations, un débat d'une grande actualité en ce début du XIXe siècle apparaît en filigrane : les « révolutionnaires » à l'instar de Jacotot sont partisans de l'idée que « L'homme est une volonté servie par une intelligence », primauté de l'individu oblige, alors que les réactionnaires proclament que « L'homme est une intelligence (divine-royale) servie par des organes (ou des sujets) ».



Mais de ce pas, nous sommes entrés dans la sphère de la philosophie politique, et en particulier dans le débat sur l'égalité et l'inégalité politique – autant qu'intellectuelle. Dorénavant, la fonction émancipatrice ou abrutissante devra s'entendre aussi dans l'optique de la domination voire même de ce que Bourdieu désignera comme le « capital symbolique » :



« La leçon émancipatrice de l'artiste, opposée terme à terme à la leçon abrutissante du professeur, est celle-ci : chacun de nous est artiste dans la mesure où il effectue une double démarche ; il ne se contente pas d'être homme de métier mais veut faire de tout travail un moyen d'expression ; il ne se contente pas de ressentir mais cherche à faire partager. L'artiste a besoin de l'égalité comme l'explicateur a besoin de l'inégalité. » (p. 120)



Voici un très bel extrait sur « la passion de l'inégalité » :



« Ce n'est pas l'amour de la richesse ni d'aucun bien qui pervertit la volonté, c'est le besoin de penser sous le signe de l'inégalité. Hobbes là-dessus a fait un poème plus attentif que celui de Rousseau : le mal social ne vient pas du premier qui s'est avisé de dire : "Ceci est à moi" ; il vient du premier qui s'est avisé de dire : "Tu n'es pas mon égal." L'inégalité n'est la conséquence de rien, elle est une passion primitive ; ou, plus exactement, elle n'a pas d'autre cause que l'égalité. La passion inégalitaire est le vertige de l'égalité, la paresse devant la tâche infinie qu'elle exige, la peur devant ce qu'un être raisonnable se doit à lui-même. Il est plus aisé de se "comparer", d'établir l'échange social comme ce troc de la gloire et du mépris où chacun reçoit une supériorité en contrepartie de l'infériorité qu'il confesse. » (p. 134)



Les trois extraits suivants ont pour but de montrer pourquoi l'enseignement universel ne put avoir de fortune dans le contexte politique de l'époque, pourtant traversé par un ferment de recherches de « méthodes pédagogiques innovantes » :



« [...] l'enseignement universel n'est pas et ne peut pas être une méthode "sociale". Il ne peut pas se répandre dans et par les institutions de la société. Sans doute les émancipés sont-ils respectueux de l'ordre social. Ils savent qu'il est, en tout état de cause, moins mauvais que le désordre. Mais c'est tout ce qu'ils lui accordent, et aucune institution ne peut se satisfaire de ce minimum. Il ne suffit pas à l'inégalité d'être respectée, elle veut être crue et aimée. Elle veut être expliquée. Toute institution est une explication en acte de la société, une mise en scène de l'inégalité. Son principe est et sera toujours antithétique à celui d'une méthode fondée sur l'opinion de l'égalité et le refus des explications. » (pp. 173-174)



« […] le général La Fayette n'a qu'à répandre l'enseignement universel dans la garde nationale. Et Casimir Perier, ancien enthousiaste de la doctrine et futur Premier ministre, est maintenant en mesure d'[en] annoncer largement le bienfait. M. Barthe, ministre de l'Instruction publique de M. Laffitte, est venu de lui-même consulter Joseph Jacotot : que faut-il faire pour organiser l'instruction que le gouvernement doit au peuple et qu'il entend lui donner selon les meilleures méthodes ? "Rien", a répondu le fondateur, le gouvernement ne doit pas l'instruction au peuple pour la simple raison que l'on de doit pas aux gens ce qu'ils peuvent prendre par eux-mêmes. Or l'instruction est comme la liberté : cela ne se donne pas, cela se prend. » (pp. 176-177)



« Le Progrès, c'est la fiction pédagogique érigée en fiction de la société tout entière. Le cœur de la fiction pédagogique, c'est la représentation de l'inégalité comme "retard" : l'infériorité s'y laisse appréhender dans son innocence ; ni mensonge ni violence, elle n'est qu'un retard que l'on constate pour se mettre à même de le combler. Sans doute n'y arrive-t-on jamais : la nature elle-même y veille, il y aura toujours du retard, toujours de l'inégalité. » (pp. 197-198)



On comprend donc qu'il y a, à cet échec dû à la radicalité de la pensée, autant des raisons historiques – le mythe du progrès – que des raisons intemporelles – l'antinomie avec une société inégalitaire et hiérarchique. On aura noté aussi que la pensée politique de Jacotot n'est pas du tout insurrectionnelle : son « anarchisme » est à la fois plus « moderne » et plus radical : radicalement individualiste aussi, dans le refus de l'émancipé de cautionner tout système de pouvoir, tyrannique mais aussi représentatif.



Voici la conclusion de l'ouvrage :



« Le Fondateur, lui, était mort le 7 août 1840. Sur sa tombe, au Père-Lachaise, les disciples firent inscrire le credo de l'émancipation intellectuelle : Je crois que Dieu a créé l'âme humaine capable de s'instruire seule et sans maître. Ces choses-là décidément ne s'écrivent pas, même sur le marbre d'une tombe. Quelques mois plus tard, l'inscription était profanée.

[…]

Le Fondateur l'avait bien prédit : l'enseignement universel ne prendrait pas. Il avait ajouté, il est vrai, qu'il ne périrait pas. » (pp. 230-231 – excipit)



Dans cette note de lecture, délibérément, j'ai essayé de me tenir au plus près de l'esprit d'apprentissage de Jacotot : au plus près du texte de Jacques Rancière, sans la moindre prétention d'expliquer, convaincu de mon égalité intellectuelle avec les éventuels lecteurs de ces lignes mais aussi avec les deux auteurs : le philosophe contemporain et le philosophe-pédagogue qui fit sa découverte il y a deux siècles. Dans cet esprit, je me demande ce que ce dernier aurait pensé de notre monde actuel, dans lequel Internet a donné l'illusion – au moins pendant un certain temps – que l'on pourrait s'informer (sinon s'instruire) soi-même, où le pouvoir implique d'abord le contrôle de la vulgate et où la pensée critique est un enseignement méprisé voire réduit au silence, un monde enfin dans lequel les fake news, le bullshit (au sens de Sebastian Dieguez) et les théories du complot prolifèrent. Peut-être faudrait-il inverser le rapport entre émancipation intellectuelle et enseignement (de la pensée critique) aujourd'hui...
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Le spectateur émancipé

Ma première rencontre avec l’œuvre de Jacques Rancière fut une véritable révélation (voir ma critique de "Le maître ignorant"). Il était donc indispensable de la prolonger, car ce philosophe est un éveilleur de conscience, un constructeur de nouvelles pensées.

C’est bien pour cela que j’ai fait l’effort de poursuivre ma difficile lecture de "Le spectateur émancipé". Cette difficulté n’est pas due à un style alambiqué ou pompeux, - rien de tout cela chez Rancière, bien au contraire, j’y ressens le souci de la simplicité et de la précision, pas de vocabulaire hermétique aux non-spécialistes – elle s’expliquerait plutôt par les sujets de recherche du philosophe qui exigent une remise en cause des idées reçues et conduisent vers des champs inapprivoisés et incertains.

S’appuyant sur ses recherches précédentes, Jacques Rancière sort du permanent soupçon porté sur l’art, et particulièrement sur les images de l’art. Il est en effet commun de dire péremptoirement que seuls les experts et les sages savent et comprennent les messages d’un artiste et de ses œuvres. Comme si ces créations portaient une vérité seule et unique, à la manière, qu’il nomme policière, de la pratique politique qui cherche à imposer un principe de « bon sens »de la gestion du pouvoir, un principe présenté comme inévitable et nécessaire, comme la fumeuse réforme actuelle des retraites sensée sauver le système par répartition, réforme qui n’est pas à discuter, parce qu’elle a été élaborée par des experts, des gens qui savent et qui seuls connaissent ce qui est bien et bon.

Au contraire, Jacques Rancière rappelle que le consensus politique et artistique pousse à l’inaction et au blocage, et que le dissensus est encore le meilleur moyen d’ouvrir des horizons nouveaux.
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Le maître ignorant : Cinq leçons sur l'émancipati..

Ce livre fait partie de mon petit panthéon. Il y a d'abord ce "ton", ce style qui illustre peut-être plus que tout autre cette citation de Victor Hugo : "la forme c'est le fond qui remonte à la surface". Rancière a cette capacité à raconter une histoire d'il y a deux siècles et de tirer à balles réelles dans l'idéologie de notre époque avec brio. En partant de cette histoire assez hallucinante de Maître Jacotot qui enseigne une langue qu'il ne connaît pas, il écrit un traité politique pour l'égalité des intelligences qui fait date.



A chaque fois que je l'ouvre pour en lire quelques pages, j'en extrait un nouveau grain à moudre, un nouvel os à ronger. En cela, le maître ignorant est moins une méthode pédagogique qu'une leçon de philosophie. Jacques Rancière se défend d'ailleurs de toute réappropriation pédagogique. Je me rappelle l'avoir entendu dire à la radio ne jamais s'y être intéressé. Pour lui, s'adapter au niveau de l'élève ou de l'apprenant, c'est reproduire et creuser les inégalités en matière de connaissance et donc accentuer les inégalités sociales. "Avec les premières années qui viennent de filières techniques, je commence par le plus dur." Le raisonnement se tient. Si on fait plus facile pour les nuls et plus difficile pour les bons, on creuse un peu plus les écarts. Lorsqu'il enseigne, il explique se contenter de "dire des choses". Le reste du boulot est à la charge de l'étudiant. La position est radicale certes, mais a le mérite de ne pas nous tirer vers le mou et le médiocre et de remettre la politique au centre de l'éducation. En cela, cet essai est salvateur.



A mettre entre les mains de tous les enseignants, formateurs et éducateurs. Et ce régulièrement pour s'assurer qu'ils n'ont pas oublié que l'éducation doit permettre l'émancipation et pas la normalisation.
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La haine de la démocratie

Hier la démocratie était ”mobilisée” dans la lutte contre le totalitarisme du socialisme réellement existant mais ni contre le régime de l’apartheid en Afrique du Sud ni contre la dictature de Pinochet au Chili, aujourd’hui elle est ”exportée” au bout des fusils en Irak ou en Afghanistan. Dans le même temps, certains ”intellectuels” critiquent ”l’individualisme démocratique” ou l”égalitarisme” source d’un nouvel totalitarisme.



Comme l’indique Jacques Rancière, il convient de remonter au scandale du gouvernement du peuple et saisir les liens complexes entre démocratie, politique, république et représentation.



Son petit livre est composé de quatre chapitres « De la démocratie victorieuse à la démocratie criminelle », « La politique ou le pasteur perdu », « Démocratie, république, représentation » et « Les raisons d’une haine ».



L’auteur nous rappelle que le mouvement démocratique est « un double mouvement de transgression des limites, un mouvement pour étendre l’égalité à l’homme public à d’autres domaines de la vie commune, et en particulier à tous ceux que gouverne l’illimitation capitaliste de la richesse, un mouvement aussi pour réaffirmer l’appartenance à tous et à n’importe qui de cette sphère publique incessamment privatisée. »



En reliant démocratie , république et représentation, l’auteur s’éloigne, à juste titre, des désincarnation abstraite de la démocratie, idéal toujours souhaitable mais surtout non-applicable pour ceux qui n’acceptent pas l’égalité réelle entre les humains ; dois-je rappeler ici, la notion d’universalisme, hier limité aux hommes (donc excluant les femmes), aujourd’hui limitée aux nationaux (excluant des populations vivant et travaillant sur le territoire).



La naturalisation des phénomènes sociaux et en particulier du marché, ne laisse plus beaucoup de place aux débats politiques et aux choix, donc à la démocratie. L’exemple du référendum sur la ”constitution européenne” montre, néanmoins, que contre la ”seule” solution réellement existante prônée par la majorité du personnel politique, les journalistes et les experts de toutes sortes, il est non seulement possible de mener les débats sur le fond, mais aussi de réhabiliter l’idée, et de la faire devenir majoritaire, de nécessaires choix politiques « La principale surprise du référendum a été celle-ci : une majorité de votants a jugé, à l’inverse, que la question était une vraie question, qu’elle relevait non de l’adhésion de la population mais de la souveraineté du peuple et que celui-ci pouvait donc y répondre non aussi bien que oui. »



Dans les relations entre les humains,les relations sont socialement construites, historiques situées, rien ne justifie un ”hors débat”, des décisions confiscatoires de la dispute politique. Contre les visions dominantes l’auteur nous rappelle que « La nouvelle haine de la démocratie n’est donc, en un sens, qu’une des formes de la confusion qui affecte ce terme. Elle double la confusion consensuelle en faisant du mot ”démocratie” un opérateur idéologique qui dépolitise les questions de la vie publique pour en faire des ”phénomènes de société”, tout en déniant les formes de domination qui structurent la société. »



Reste, après ces analyses réjouissantes, à débattre des formes et conditions possibles de l’exercice de la démocratie : égalité réelle, incursions dans la propriété privée, pluripartisme, articulation entre représentation directe et représentation universelle, place du tirage au sort, etc…..



Contre les confiscations par le marché ou par les experts de toutes sortes, il faut réaffirmer la puissance subversive de l’idée démocratique, du gouvernement du souverain par lui-même, de l’auto-organisation des populations.



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Le spectateur émancipé

Jacques Rancière a lu Debord en spectateur frustré : insatisfait de ne pas saisir l'acuité radicale de la critique de la Société du spectacle, il l'a ridiculement rangée dans les catégories qui lui étaient accessibles : une sorte de platonisme aplati.

En fait de "spectateur émancipé", il suffit de regarder oui, justement, où en sont les spectateurs par temps de pandémensonges, pour constater le degré d'aveuglement volontaire où l'on est arrivés. La fausse conscience est partout chez elle où la passivité se prétend informée : "qui regarde toujours, pour savoir la suite, n’agira jamais : et tel doit bien être le spectateur." Debord, Commentaires sur la société du spectacle.

"Le flux des images emporte tout, et c’est également quelqu’un d’autre qui gouverne à son gré ce résumé simplifié du monde sensible ; qui choisit où ira ce courant, et aussi le rythme de ce qui devra s’y manifester, comme

perpétuelle surprise arbitraire, ne voulant laisser nul temps à la réflexion, et tout à fait indépendamment de ce que le spectateur peut en comprendre ou en penser. Dans cette expérience concrète de la soumission permanente, se trouve la racine psychologique de l’adhésion si générale à ce qui est là ; qui en vient à lui reconnaître ipso facto une valeur

suffisante." (idem).

Rideau.
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Et tant pis pour les gens fatigués

Ce recueil d'entretiens permet de dessiner le parcours de recherche du philosophe, de ses débuts aux côtés d'Althusser dans les années 1960, dont il se désolidarisera rapidement, jusqu'à ses observations dans le domaine des arts dans les années 2000.

Autant affirmer tout de suite que la lecture de ces analyses fut difficile, surtout dans ses débuts. Mais la construction de l'ouvrage, revenant sans cesse sur les démarches de Rancière et ses thèmes de recherche, permet de dépasser ces difficultés et d'entrer dans les réagencements conceptuels et les positionnements obliques du philosophe.

Dépasser les disciplines universitaires, découvrir une nouvelle topographie du politique et de l'esthétique, sortir des présupposés doctrinaires, voici quelques pistes novatrices qui permettent de penser un monde présent plus égalitaire et exaltant.
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Les bords de la fiction

Dans son dernier livre, "Les bords de la fiction", Jacques Rancière décortique quelques grandes oeuvres de la littérature pour nous aider à les lire. Et c'est bien souvent éblouissant d'intelligence de relire en quelques pages, sous son regard, La Chartreuse, Madame Bovary, La Recherche, Les Cahiers, Le Capital, Le Double assassinat, Au coeur des ténèbres, La promenade au phare, Les anneaux de Saturne, Lumière d'août ou Premières histoires... Il nous fait entrevoir une logique qui parcourerait l'évolution de la littérature, un sens caché, allant de la description du réel, à la vérité du sensible, de faire se rejoindre le réel et l'imagination, des péripéties construites en histoires au choses désoeuvrées de la vie ordinaire, un passage des personnages aux événements jusqu'à leur absence même (ce moment entre le rien et le tout)... La littérature consiste à recouvrir la réalité par ce qu'en produit le cerveau humain, à un voyage entre les formes de la réalité, aux bords des mondes, dans l'entremêlement du temps. "l'oubli seul est la condition du souvenir, l'absence d'amour est le lieu où se déploient les histoires d'amour ; et la vraie vie est ce qui n'existe qu'en marge de la vie (...)"



La fiction est plus rationnelle que la réalité explique-t-il : "Ce qui distingue la fiction de l'expérience ordinaire, ce n'est pas un défaut de réalité mais un surcroît de rationalité". De la fiction aux théories du social, nous ne cessons de chercher à développer, de rechercher, l'enchaînement des causes. Nous sommes des machines irrationnelles qui produisent de la rationalité, partout, tout le temps, à tout moment. Jusque dans la plus pure poésie, nous n'échappons pas à notre condition.
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Politique de la littérature

Les auteurs des belles-lettres suivaient la hiérarchie des genres inspirée d'Aristote ; ceux de la littérature s'inspirent de l'égalité des sources, des matériaux et des formes sous l'influence de la nouvelle forme politique qui se met en place à la fin du XVIIIème siècle, la démocratie. La notion de littérature ne peut donc se penser sans celle de démocratie. La littérature a choisi la démocratisation des sujets et des mots, non pour coller à la réalité, mais pour extraire la saveur de l'époque, écrire avec subtilité et distance le prosaïsme du quotidien - ce faisant, par son intérêt hétéroclite pour la réalité et non seulement axé sur la noblesse des sujets et des situations plébiscitée par les Belles Lettres, la littérature a engagé une nouvelle poétique qui redéfinit la forme de la réalité. Le paradoxe est que la littérature ne puisse rechigner à décrire le prosaïsme de la réalité sans sacrifier à ses exigences esthétiques supérieures, qu'elle utilise les matériaux existants, les schémas du passé pour engager des modalités d'écriture nouvelles. Faire du neuf avec du vieux. Là est tout l'enjeu de la littérature et ce qui l'anime : perpétuellement se réévaluer et retrouver son équilibre entre la banalité de ses matériaux et son ambition élitiste.
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La mésentente



Pièce maitresse de la pensée de Jacques Rancière, La Mésentente est son grand livre de philosophie, celui qui le fit connaitre à travers le monde, bien avant le triomphe du Partage du sensible et peu après les secousses provoquées par la publication du Maitre ignorant. Reconnaissance tardive, inattendue et certainement pas escomptée par l’auteur, qui après un premier livre tonitruant, La Leçon d’Althusser, s’était isolé dans les archives des années durant, avant d’achever l’écriture d’un livre, fantasque et incompris, La nuit des prolétaires. De son exploration du rêve ouvrier, Rancière en a d’ailleurs tiré quelques leçons et notamment celle-ci : l’égalité n’est ni passive ni future, elle n’est pas transmission mais démonstration.

Comme souvent avec Rancière, ses écrits sont d’abord des écrits d’intervention et doivent se lire en écho aux débats et événements des années quatre-vingt dix : le négationnisme, l’éthique de la communication, la guerre ethnique et l’intervention humanitaire, la fin du communisme et l’annonce du triomphe mondial et simultané de la démocratie et du marché. C’est particulièrement à partir de ce point que Rancière construit son ouvrage, ouvrage dirigé d’abord contre une partie de la philosophie de l’époque. Rancière n’a jamais cédé aux sirènes de la politique normale qui prit forme avec la restauration intellectuelle des années quatre-vingt. La chute du mur est passé par là, et les brûlants espoirs de grand soir ont été soufflés par le vent d’un libéralisme trêve à toute utopie. Ce livre doit se lire avant tout comme une réaction à cette restauration, incarné par le couronnement de François Furet et dont les célébrations du bicentenaire de la Révolution Française en 89 furent l’acmé. Contre cette évacuation carabinée des luttes pour l’égalité, La Mésentente se veut le maintien d’une pensée critique.

Le climat philosophique était fortement marqué, en France et en Europe, par les thèmes de la fin et du retour de la politique, initiées comme en symétrie par Francis Fukuyama et par les disciples d’Hannah Arendt, thèmes qui, loin d’être opposés, ne sont en fait que les deux faces d’une même médaille : la politique remise à son destin gestionnaire et étatique. Contre cette réduction de la politique, qu’il qualifie de policière, Rancière entreprend de montrer, que loin d’être un air du temps, l’expulsion de la dimension conflictuelle de la politique est en fait intrinsèque à la philosophie politique, meilleure alliée des gouvernants. L’audace de Rancière le conduit à relire Platon et surtout Aristote moins comme les pères de la pensée politique que comme les pionniers de cette perpétuelle entreprise de dépolitisation. Les Anciens ont découvert le secret de la politique, à savoir qu’il n’existe aucun titre légitime à gouverner : leur acharnement à recouvrir cette vérité – la dimension anarchique de la politique – coincide avec la sélection d’un titre à gouverner, la sagesse ou la prudence au détriment des autres. A lire Rancière, la politique est, hier comme aujourd’hui, viciée par le fait que les titres – richesse, honneur, vertu, filiation – s’imposent toujours d’eux-même. La politique commence lorsque ceux qui n’ont pas de titre à gouverner, interrompent cette logique. Elle débute lorsque le dèmos, qui ne possède qu’un titre vide, la liberté comme part des sans-parts, rappelle à la communauté le tort - son exclusion - qui lui est fait. En finir avec la politique comme revenir à sa pureté, c’est avant tout rayer de la carte l’embarrassante lutte des classes, qui ne fut rien d’autre que la politique démocratique portée par le dèmos durant deux siècles. C'est oublier que la politique est toujours affaire de titres et de leur compte, ou plutôt de leur mécompte. Les modernes sociétés d'experts rationnels ne sont que la continuité des "archaïques" sociétés de la filiation ou du droit divin : des sociétés où ceux qui gouvernent s'autorisent de leur titre. A cela, la politique comme lutte égalitaire est un rappel inévitable en dépit de sa rareté. Le fait de jeter le bébé de la lutte avec l’eau du bain soviétique n'était peut-être qu'une fuite devant cette vérité-là, et assurément le corollaire d’une résignation au monde tel qu’il est. Le millénaire à venir, qui serait bientôt bariolé de révoltes incessantes et de déclarations égalitaires, a pourtant donné raison à Rancière, l’un des seuls avec quelques autres (Derrida, Nancy ou Badiou en France), à croire encore, avec exigence et sans fantasme, à la politique et à l’émancipation.

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Les trente inglorieuses : Scènes politiques

En règle générale, je n'apprécie pas spécialement les recueils d'articles qui ont commenté l'actualité au moment de leur parution car, même lorsqu'ils ne sont pas invalidés par la suite des événements et qu'ils gardent de la pertinence pour représenter la période à laquelle ils se réfèrent, il est rare qu'une pensée construite et structurée s'en dégage. Dans cet ouvrage, c'est pourtant l'inverse ; cela contribue grandement à mon enthousiasme.

Les « trente inglorieuses » ce sont les trois dernières décennies au cours desquelles le capitalisme « absolutisé » et sans rival était censé créer un consensus autour du réalisme politique dans un monde apaisé. Or ce consensus n'est pas nié par le philosophe, mais sont révélés ses aspects violents, sa construction systématique d'un « monde » fondé sur les inégalités, l'exclusion et la haine, caractérisé par l'autoritarisme d'un État imbriqué à la finance créateur d'une idéologie qui pratique une confusion sémantique délibérée autour des notions de démocratie, de peuple-populisme, d'individualisme et enfin, en France, des « valeurs républicaines ». Les balises des événements traités ne semblent constituer, par la construction dans laquelle ils trouvent leur place dans l'ouvrage, que les exemples d'une théorisation plus vaste, extrêmement cohérente, et singulièrement déroutante par rapport aux lieux communs dans lesquels l'opinion baigne. Ainsi, dans la première partie, il est nié que le racisme soit le nouveau credo des classes populaires défavorisées par la mondialisation. Il est démontré qu'il est au contraire un élément idéologique des classes dominantes, absorbé en grande partie par les intellectuels de gauche eux aussi, opérant dans le même dénigrement une action de déconstruction-reconstruction d'un peuple constitué des dénommés « populistes » et de leurs victimes. La deuxième partie, à travers la politique étrangère états-unienne, infirme la supposée « naïveté » que les Européens ont tendance à lui prêter, afin de mettre en exergue l'usage politique de la construction de la menace et de la prégnance des politiques guerrières et sécuritaires. La troisième partie, en prenant son essor de plusieurs réflexions sur Mai 68 et la relecture actuelle, a son point fort dans la démonstration fort surprenante de la divergence qui existe entre démocratie et représentation. Contre un système politique foncièrement inégalitaire, la démocratie consiste dans la lutte toujours nécessaire et actuelle pour découper, éventuellement par intermittence, des espaces et des temps de création de l'action égalitaire : en somme, il s'agit de la nécessité d'inventer d'autres formes égalitaires d'être-au-monde, d'autres « mondes ». Dans ce cadre, une place importante est réservée aux mouvements d'occupation – une analyse étymologique passionnante de ce mot au double sens est également proposée – dont la Nuit Debout, ainsi que d'autres épisodes contestataires comme celui des Gilets jaunes. Dans ce contexte, je trouve regrettable que Rancière n'ait fait qu'évoquer très marginalement les ZAD. Enfin, l'ouvrage se clôt sur un article très lucide issu de la période du premier confinement Covid, où les théories complotistes sur les dérives du « biopouvoir » sont démenties et l'optimisme sur les métamorphoses à venir dans le « monde d'après » considéré avec incrédulité.







Table [avec rappel du contexte, et appel des cit.]



Avant-propos [cit. 1]



I. Le racisme d'en haut :



- L'immigré et la loi du consensus [lois Méhaignerie-Pasqua, 1993]

- Les raisins sont trop verts [mouvements sociaux suite au projet de loi Juppé sur la Sécurité sociale, 1995]

- Sept règles pour aider à la diffusion des idées racistes en France [automne 1996]

- La loi et son fantôme [projet de loi Debré sur l'entrée et le séjour des étrangers, avril 1997]

- L'État et la canicule [été 2003, suivie par l'approbation en catimini, le 21 août, du projet de loi sur le régime des retraites de base]

- À propos du voile islamique : un universel peut en cacher un autre [automne 2003-printemps 2004, loi sur l'interdiction du port des signes religieux à l'école]

- Modeste proposition pour le bien des victimes [interdiction du voile « dissimulant son visage », octobre 2010]

- Racisme, une passion d'en haut [mort d'un jeune Rom abattu par un policier, représailles de sa communauté, expulsions massives de camps de Roms, été 2010. Cit. 2]

- L'introuvable populisme [janvier 2011. Cit. 3]

- À propos de la liberté d'expression [sur l'assassinat de Samuel Paty, novembre 2020]

- La haine de l'égalité [entretien avec Selim Derkaoui sur la théorie de l'égalité des intelligences, avril 2021]



II. La non-démocratie en Amérique :



- La surlégitimation [sur la Première guerre du Golfe, 1990-1991]

- Le 11 Septembre et après : une rupture de l'ordre symbolique ? [intervention datant de février 2002]

- De la guerre comme forme suprême du consensus ploutocratique [sur la Seconde guerre du Golfe, octobre 2003. Cit. 4]

- Les fous et les sages : réflexions sur la fin de la présidence Trump [janvier 2021. Cit. 5]



III. Les présents incertains :



- Interpréter l'événement 68 : politique, philosophie, sociologie [janvier 2018]

- Élection et raison démocratique [durant la campagne présidentielle qui aboutirait à l'élection de Sarkozy, 2007]

- Mai 68 revu et corrigé [sur le propos de Sarkozy concernant « la nécessité d'en finir avec l'héritage de 68 », mai 2008]

- Occupation : le sens d'un mot et celui d'une pratique [allocution tenue à Brown University, avril 2015]

- Nuit Debout : désir de communauté ou invention égalitaire ? [entretien avec Joseph Confavreux, avril 2016. Cit. 6]

- Les vertus de l'inexplicable : à propos des Gilets jaunes [janvier 2019]

- Au-delà de la haine de la démocratie [sur les mouvements d'occupation des places et création d'espaces sociaux dans les années 2010, allocution tenue à Turin, mars 2019. Cit. 7]

- Défaire les confusions servant l'ordre dominant [entretien avec Joseph Confavreux, décembre 2019. Cit. 8]

- Intervention devant l'assemblée des cheminots [janvier 2020]

- Une bonne occasion ? Réflexions au temps du confinement [avril 2020]

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Le maître ignorant : Cinq leçons sur l'émancipati..

Partant de préceptes tels que "qui enseigne sans émanciper abruti" ma foi fort justes, je reste néanmoins circonspect sur les méthodes d'enseignement prônées ici.

J'aurais aimé trouver des exemples concrets de ce type d'enseignement autre que celui de Jacotot de 1818(exemple qu'il aurait peut être pu trouver dans l'application de ces méthodes à son enseignement, J.Ranciere enseignant la philosophie)

Néanmoins la volonté de vouloir émanciper "l'esclave" d'un enseignement conçu pour qu'il se maintienne à son statut est louable et en cela la lecture du maître ignorant pourra intéresser ceux se questionnant quant à la pédagogie.
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La haine de la démocratie

«La haine de la démocratie » prend le contrepied d'une idée fort ancienne et fort répandue : le pouvoir revient de droit à tous ceux qui y sont destinés par leur naissance ou appelés par leur compétence. Peu ou prou, chacun à notre manière, nous cédons à ce chant des sirènes de la compétence, du charisme et, plus souvent qu'à notre tour, nous nous plaignons du peuple et de ses moeurs, des " sans-part " se prévalant de l'égalité. Il faut toute la rigueur, dans cette période troublée, d'un Jacques Rancière pour raison garder.





L'auteur dans son oeuvre avance l'axiomatique de l'égalité des intelligences. Cette égalité n'est pour lui ni un constat empirique, ni un objectif. Il s'agit d'un présupposé qui fait figure de condition de toute action ou pensée émancipatrice et qui est reconnu dans le principe même de démocratie. En effet, « pas de service qui s'exécute, pas de savoir qui se transmette, pas d'autorité qui s'établisse sans que le maitre ait, si peu que ce soit, à prendre en considération cette égalité avec celui qu'il commande ou instruit. La société inégalitaire ne peut fonctionner que grâce à une multitude de relations égalitaires. C'est cette intrication de l'égalité dans l'inégalité que le scandale démocratique vient manifester pour en faire le pouvoir commun ». C'est pour cela qu'il est envisagé un titre à gouverner disjoint de toute analogie avec ceux qui ordonnent les relations sociales, disjoint de toute analogie entre la convention humaine et l'ordre de la nature (c. à d. un titre à gouverner distinct des relations parents-enfants, jeunes-vieux, chefs-subordonnés, biens nés-hommes de rien, forts-faibles, savants-ignorants). La démocratie veut donc dire un gouvernement fondé sur rien d'autre que l'absence de tout titre à gouverner écrit Jacques Rancière. Dès lors, les gouvernements se réclamant de la démocratie sont obligés de se figurer comme instance du commun de la communauté séparés de la seule logique des relations d'autorité.





Jacques Rancière fait la distinction dans son travail entre la police et la politique. La première désigne l'ordre social existant, c'est-à-dire l'ensemble des moyens mis en oeuvre afin que se stabilise et perdure la distinction inégale des statuts et des richesses dans un corps social (les "parts"). La politique se dit des phases de contestation de la police. Elle intervient quand ceux qui ne sont pas comptés dans l'ordre social (les "sans-part") font, se prévalant de l'égalité, irruption sur la scène de l'histoire. La politique veut dire quelque chose qui s'ajoute à tous les autres pouvoirs qui tentent d'imposer leur leadership dans la communauté humaine. La politique n'existe que s'il y a un titre supplémentaire à ceux qui fonctionnent dans l'ordinaire des relations sociales. Politique et égalité sont pour l'auteur une même chose. Dans nos sociétés inégalitaires bien évidemment il n'y a pas un gouvernement intégralement démocratique. le système parlementaire est une forme mixte entre représentation et démocratie. La représentation permet à l'élite d'exercer, au nom du peuple, le pouvoir qu'elle est obligée de lui reconnaître. L'élection n'est pas toujours la voix du peuple, elle peut être dans ce cadre l'expression d'un consentement demandé par les élites. Les luttes démocratiques s'opposent donc à cet état de fait et remettent sans cesse en cause l'oligarchie (politique) ; l'oligarchie quant à elle sans cesse reconquière les positions perdues (police). Il existe par conséquent une sphère publique de rencontre et de conflit entre ces deux logiques opposées : celle du gouvernement de n'importe qui, et celle du gouvernement des compétences sociales. La pratique spontanée de tout gouvernement oligarchique tend à rétrécir cette sphère publique, à en faire son affaire privée et pour cela à rejeter du côté de la vie privée les interventions et les lieux d'intervention des acteurs non étatiques. Jacques Rancière appelle para-politique cette dépolitisation des problèmes qui prétend abolir la dimension conflictuelle de la politique. Ainsi, en se déclarant aujourd'hui simples gestionnaires-experts des retombées locales de la nécessité historique mondiale nos gouvernements se débarrassent du peuple et de la démocratie ; en inventant des institutions supra étatiques qui ne sont comptables devant aucun peuple, ils dépolitisent les affaires politiques. Et lorsque la science des gens de pouvoir n'arrive pas à s'imposer c'est forcément en raison de l'ignorance et de l'attachement au passé. Les "sans-part" luttent naturellement pour une déprivatisation et pour l'élargissement de la sphère publique. L'élargissement a pour objectif de faire reconnaitre la qualité d'égaux et de sujets politiques à ceux que la pratique étatique rejette vers la vie privée des êtres inférieurs ; à faire reconnaitre le caractère public d'espaces et de relations qui sont laissés à la discrétion du pouvoir illimité de la richesse (comme l'affirmation du travail comme structure de la vie collective).





Tout est donc affaire d'un équilibre jamais trouvé entre égalité et inégalité, entre illimitation capitaliste de la richesse et illimitation démocratique de la politique. La démocratie est la perturbation des relations que l'on conçoit le plus souvent comme naturelles. L'intensité de la vie démocratique avec son cortège de contestation permanente défie toujours l'autorité des pouvoirs publics, le savoir des experts patentés et le savoir-faire des demi-habiles. Ce qui fait dire à Jacques Rancière que la démocratie est le domaine de l'excès. Cet excès signifie la ruine du gouvernement, il est donc combattu pied à pied. le remède consiste très souvent à rejeter les individus vers la sphère privée et les bonheurs de la propriété, de la consommation, des liens sociaux, etc. … La lutte sur le terrain idéologique dans ce combat n'est pas moins âpre. Les antidémocrates d'aujourd'hui, pas sans quelques périlleuses gymnastiques intellectuelles, appellent ainsi démocratie ce que l'on appelait hier totalitarisme. le péché originel de la démocratie n'est plus, à les entendre et comme cela lui a été autrefois reproché, son collectivisme mais bien au contraire son individualisme critique. Les droits de l'homme à ce titre sont dénoncés par eux comme droits de l'individu égoïste, égalitaire et libéré du corps collectif. Ce qui est défendu par les dénonciateurs de l'individualisme démocratique n'est pas naturellement la collectivité en général mais la collectivité des corps, des milieux qui sont assimilés au savoir et à l'expérience. Pour prendre un exemple du livre de Jacques Rancière, l'ennemi que l'école républicaine affronterait aujourd'hui ne serait pas la société inégale à laquelle elle devrait arracher l'élève mais l'élève lui-même comme représentant par excellence de l'homme démocratique, l'être immature, le jeune consommateur ivre d'égalité.





Le soi-disant règne de l'homme égalitaire subsume toutes sortes de propriétés et de nombreuses identités. Aujourd'hui, on dénonce l'égoïsme de telle revendication corporative, de tel particularisme minoritaire, religieux ou ethnique ; demain, on appellera à l'unité nationale, à la guerre des civilisations … « La haine de la démocratie » est un ouvrage précieux qui permet une vrai réflexion sur la démocratie, ces enjeux, sa dynamique.
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Le maître ignorant : Cinq leçons sur l'émancipati..

Un livre paranormal ! Rancière, par le biais d'un penseur du XIXe siècle, dégage une méthode pour apprendre ou faire apprendre n'importe quoi à n'importe qui. Par la même occasion il renvoie un siècle de système scolaire démocratique au rang des fumisteries utiles juste au maintien d'une inégalité structurale. La formule magique se réduit à quelques mots : utiliser un livre (plutôt qu'écouter quelqu'un), comparer avec le peu qu'on connait, répéter, répéter et surtout faire preuve d'attention. le principe de base étant que l'intelligence est UNE et égalitairement partagée par tous les hommes. Il n'y a dès lors plus qu'à la laisser voyager entre les aventuriers de l'esprit, en abandonnant toute tierce partie pedagiquo-méthodologiquo-etc.
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Le maître ignorant : Cinq leçons sur l'émancipati..

« Calypso ne pouvait se consoler du départ d’Ulysse » : la redécouverte par Jacques Rancière de la pédagogie révolutionnaire de Joseph Jacotot, et ses implications en termes d’émancipation intellectuelle.



Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2024/04/21/note-de-lecture-le-maitre-ignorant-jacques-ranciere/



Publié en 1987 chez Fayard, sous-titré « Cinq leçons sur l’émancipation intellectuelle », « Le maître ignorant », principalement consacré à la redécouverte de l’approche bien particulière du pédagogue français Joseph Jacotot (1770-1840), joue un rôle-clé dans la construction de l’œuvre, toujours en cours, du philosophe Jacques Rancière.



Progressivement dégagé de l’influence envahissante de son maître Louis Althusser, Jacques Rancière s’est plongé, à partir de sa thèse de 1981 (« La Nuit des prolétaires – Archives du rêve ouvrier »), dans une vaste entreprise de compréhension de l’éducation populaire, tout particulièrement sous les angles de l’enseignement autodidacte, du partage des savoirs et de la possibilité d’échapper, historiquement comme de nos jours, à la malédiction de la « distinction » (l’ouvrage fondamental de Pierre Bourdieu, justement sous-titré « La critique sociale du jugement », est paru en 1978).



Étant alors l’un des rares philosophes contemporains à se préoccuper d’éducation au-delà d’une simple transmission des savoirs, et en y intégrant pleinement les rôles respectifs de l’esthétique et de la littérature (comme en témoigneront au fil de son œuvre les impressionnantes monographies orientées consacrées à Stéphane Mallarmé, à Jean-Luc Godard, à Béla Tarr ou à Philippe Beck, pour n’en citer que quelques-unes), Jacques Rancière conduit avec rigueur et passion cette investigation en forme de leçons de choses, où le savoir de celui qui occupe la position d’enseignant n’entre pas en ligne de compte. Comme il le confiait à Anne Lamalle dans un entretien pour Nouveaux Regards en 2005, il s’agissait de « faire passer dans notre présent l’actualité intempestive qu’il [Joseph Jacotot] avait eue dans un contexte intellectuel et politique très éloigné ».



En parcourant minutieusement la biographie du pédagogue de l’Université de Louvain, Jacques Rancière nous décrit d’abord avec soin le (désormais légendaire mais à l’époque presque totalement oublié) enseignement de la langue française, pratiqué uniquement à partir des « Aventures de Télémaque » (1699) de Fénelon – dont l’illustre première phrase, « Calypso ne pouvait se consoler du départ d’Ulysse », est demeurée célèbre -, auprès d’étudiants néerlandophones ignorant totalement la langue française. Après ce premier chapitre (« Une aventure intellectuelle »), on passera tout naturellement à « La leçon de l’ignorant », à « La raison des égaux », à « La société du mépris », et enfin à « L’émancipateur et son singe », qui conclut l’ouvrage : en cinq étapes, voici démonté et généralisé subtilement, aux côtés de Joseph Jacotot, l’ensemble de la construction socio-politique de l’éducation et de la transmission du savoir, de la confiscation d’un élan et d’une hiérarchisation des intelligences valant hiérarchisation tout court – en toute légitimité trafiquée.



Affirmer et largement démontrer qu’il est possible à un ignorant d’enseigner ce qu’il ne connaît pas lui-même, voilà en effet une position hautement révolutionnaire – et qui jette un sérieux pavé dans la mare de ceux qui prétendent détenir un savoir – alors qu’ils ne parlent en réalité que de pouvoir. « Le maître ignorant » est une lecture sainement dérangeante, joliment savoureuse, et un palier indispensable pour accompagner Jacques Rancière sur les chemins de l’émancipation intellectuelle et populaire.
Lien : https://charybde2.wordpress...
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Le spectateur émancipé

Ce livre remet en question la perception du spectateur passif, inactif ainsi que l'artiste laissant un message unique à travers son oeuvre. Il y a création par l'émancipation des frontières fixées comme celle du maitre et de l'ignorant, de l'actif et du passif, de l'égalité des intelligences ou de la non égalité.
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En quel temps vivons-nous ?

Je nuancerai rapidement les propos écrits par "cprevost"... si conversation courtoise il y a, il faut tout de même déployer de gros efforts pour ne pas apercevoir les quelques taquets que Rancière distribue à Hazan. Ou du moins, à la parole véhiculée par ce dernier.





Ceci étant dit, cet opuscule est très intéressant ! Pour moi, c'est l'un des meilleurs ouvrages disponibles pour commencer à s'intéresser à Rancière. Il faut savoir que cette conversation entre deux bonhommes ne part pas de nulle part. Le prétexte est le mouvement "Nuit Debout". Hazan l'exalté tente désespérément de trouver du grandiose dans ce mouvement d'une platitude rare, tandis que Rancière peut développer sa pensée plus fouillée.





Vous me trouvez peut-être un peu taquin avec Eric Hazan... j'apprécie beaucoup son travail d'éditeur, je reconnais son travail d'écrivain ("Premières mesures révolutionnaires"), mais je ne peux que constater qu'il est le dindon de ce dialogue. Rarement dans le bon ton, pas toujours pertinent et souvent recadré - au niveau des termes et des références - par un Rancière bien obligé d'être bienveillant, pour éviter de devenir grossier.





En ce qui concerne les idées elle-même, le terme qui me vient immédiatement à l'esprit est "nuance". Nuances idéologiques, culturelles, historiques, épistémologiques, stratégiques... Jacques Rancière ne supporte pas les "blocs", les "systèmes-pensée" dans lesquels s'enferrent bien trop de nos contemporains clamant haut et fort une résistance. Le gros point noir de l'ouvrage pour moi, mais qui provient de sa construction (ce n'est pas un dialogue "ouvert", mais une conversation par mail), c'est... l'entêtement d'Eric Hazan (désolé mec!) à vouloir démontrer que "ses" modèles sont plus intéressants et vertueux. Et Rancière d'élaguer tout ça patiemment, mais en tant que lecteur, pendant ce temps-là, il y a des choses qu'on aurait aimé lire mais qui ne sont même pas abordées... ce n'est pas qu'un interlocuteur a un train de retard par rapport à l'autre, c'est simplement qu'il y en a un qui souhaite vraiment discuter et l'autre... laisse peut-être plus sourdre l'égo de sa pensée, ce qui nuit à l'ouvrage.





Bref, je ne vais pas trop tartiner non plus, ce serait dommage d'émettre un avis d'un dixième de la taille du bouquin ! Quoiqu'il en soit un petit livre politique qui aurait pu être grandiose mais que je trouve complètement desservi par l'absence d'alchimie entre les deux protagonistes de la conversation. A vous de vous faire une idée, mais n'oubliez pas que comme tout ouvrage de Jacques Rancière (encore que celui-ci fasse exception), l'accessibilité n'est pas le maître mot.
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