A Marseille, la prostitution étant le fief des Corses, il leur appartient de tolérer ou non qu’une nouvelle fille – qui n’est pas protégée par un des leurs – défende son bout de ruban, là où sévit la concurrence.
Là encore, le Levantin avait tourné la difficulté à son avantage. Sans rien dire à quiconque, il avait ouvert un bar miteux du côté de la grande poste, à la limite du quartier fréquenté par les Arabes.
Les trois filles qu’il possédait alors avaient fait les beaux soirs de la Casbah marseillaise. Malgré le peu de goût qu’il avait à tenir ce bouge, il réalisait de belles recettes car les ouvriers arabes, plutôt sevrés question mouquères, laissaient une bonne partie de leurs gains aux trois putes qui quotidiennement abattaient leurs trente à trente-cinq clients.
Lls malfrats corses n’accordent jamais entièrement leur confiance à qui n’est pas de leur race. Ils forment un clan bien fermé, un milieu à part avec son code, ses préséances, ses lieux de prédilection, et cela dans les coins les plus reculés de la terre. Qu’un des leurs, recherché pour meurtre, débarque sans un sou à Madrid, Buenos Aires ou New York, ses compatriotes se mettent en quatre pour le sortir de cette sale passe. Trop souvent, malheureusement, de sanglants règlements de comptes les opposent ; ça peut durer quinze, vingt ans, c’est toujours l’hécatombe jusqu’au dernier.
Seul, sans un sou, Bernard Roudaine errait lamentablement dans Paris, tout en remâchant sa colère. Après son congé, il avait préféré quitter Montmartre, car persuadé que tout le monde était au courant de son infortune, il redoutait d’être la cible de sarcasmes.
Lui qui, d’habitude, était si soigné de sa personne, portait depuis quarante-huit heures la même chemise de soie, crasseuse au col et aux poignets ; son complet était froissé. Mais tout lui était égal, à présent. Faute d’argent, il ne pouvait même pas trouver dans l’alcool un oubli à ses malheurs.
Le seul deuil que je porte, c’est celui de mes dix sacs que j’ai perdus au dernier tiercé. J’avais pourtant un tuyau sûr et…
C’est facile d’avoir de grands principes quand on ne risque rien.