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Citations de Jacques Semelin (67)


- Obligation de se faire recenser en qualité de "juif"

L'une des lettres les plus célèbres est celle de l'avocat et homme politique Pierre Masse alors sénateur de l'Hérault. A la lecture du décret qui "déclare que les Israelites ne peuvent plus être officiers, même ceux d'ascendance strictement française", il écrit au Maréchal : "Je vous serais obligé de me faire dire si je dois aller retirer leurs galons à mon frère, sous lieutenant au 36ème régiment d'infanterie, tué à Douaumont en avril 1916, à mon gendre, sous-lieutenant au 14ème régiment de dragons, tué en Belgique en mai 1940, à mon neveu J.-P. Masse, lieutenant au 23ème colonial, tué à Rethel en mai 1940 ? Puis-je laisser à mon frère la médaille militaire, gagnée à Neuville Saint-Vast avec laquelle je l'ai enseveli? Mon fils Jacques, sous-lieutenant au 62ème bataillon de chasseurs alpins, blessé à Soupirs en juin 1940, peut-il conserver son galon ? Suis-je enfin assuré qu'on ne retirera pas rétroactivement la médaille de Sainte-Hélène à mon arrière-grand-père ? Je tiens à me conformer aux lois de mon pays même lorsqu'elles sont dictées par l'envahisseur. Veuillez agréer, Monsieur le Maréchal, les assurances de mon profond respect".
Ces mots laissent imaginer le déchirement intérieur et la tragédie personnelle de cet homme qui connaissait bien Pétain depuis qu'il avait siégé avec lui au Conseil de Guerre en 1917. Ce qui ne l'empêchera pas, le 21 août 1941, d'être arrêté avec d'autres collègues avocats et interné au camp de Drancy.

page 103
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- Chapitre consacré aux " Justes de France"

L'un des résultats les plus intéressants est de donner une représentation socio-économique des Justes Français.

Sans commenter dans le détail l'intégralité de ce diagramme (représenté dans le livre) , notons que les agriculteurs/fermiers constituent le groupe professionnel le plus important (40,8%). Si on y ajoute les Justes qui, sans être nécessairement agriculteurs, vivent dans une zone rurale à l'habitat dispersé, on obtient alors le chiffre de 69 %. Si on cumule la proportion des fermiers et agriculteurs avec celles des employés et ouvriers, on obtient 66,2 % des Justes français. Nul doute que ceux-ci ont donc un revenu très modeste. La faiblesse de leurs ressources est en partie compensée par le fait que leurs familles ou eux-mêmes possèdent à la campagne un jardin potager.

L'analyse de la pyramide des âges montre que les personnes nées avant 1900 et appartenant à la "génération de la Première Guerre Mondiale" représentent près de la moitié des Justes de l'échantillon (48,7 %). Cette proportion importante de la génération des tranchées laisse supposer une corrélation forte entre le sentiment patriotique antiallemand et l'aide spontanée aux réfugiés juifs.

La répartition des Justes par sexe réserve une surprise : contrairement à ce que l'on croit habituellement, ce ne sont pas seulement les femmes qui agissent : 46,4 % des Justes sont des hommes. L'enquête postérieure de Cindy Biesse portant sur 649 Justes de la région Rhône-Alpes confirme que les femmes en constituent la moitié. Celles-ci sont majoritaires dans les départements ruraux (comme l'Ain, l'Isère ou la Drôme), mais aussi dans celui du Rhône plus urbain. Ces femmes ont souvent été des mères de substitution et quand l'homme est honoré du titre de Juste, c'est bien souvent grâce au rôle de son épouse.

page 250
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- En juin 1942, les juifs résidant en zone occupée sont contraints de porter l'étoile jaune

Peut-on s'approcher de l'intimité de ces hommes, de ces femmes et de ces enfants qui ont dû tout à coup s'exhiber en public avec ce genre de "décorations"? Fort rares sont les documents historiques d'une telle nature. Le journal intime d'Hélène Berr est de ceux-là. Encore étudiante en anglais à la Sorbonne, âgée de 21 ans, elle appartient à une famille de la haute bourgeoisie française, résidant dans le XVIème arrondissement de Paris. Alors que son père, vice-président des entreprises Kuhlmann, vient dêtre victime de l'aryanisation économique, elle commence un journal qu'elle tiendra régulièrement du 9 avril 1942 jusqu'au 7 mars 1944, date de son arrestation avec ses parents. La lecture en est bouleversante.

"Lundi soir (8 juin 1942) : Mon Dieu, je ne croyais pas que ce serait si dur. J'ai eu beaucoup de courage toute la journée. J'ai porté la tête haute et j'ai si bien regardé les gens en face qu'ils détournaient les yeux. Mais c'était dur".

"S'ils savaient quelle crucifixion c'est pour moi. J'ai souffert, là, dans cette cour ensoleillée de la Sorbonne, au milieu de tous mes camarades. Il me semblait brusquement que je n'étais plus moi-même (...) que j'étais devenue étrangère, comme si j'étais en plein dans un cauchemar (...) C'était comme si j'avais eu une marque au fer rouge sur le front".

page 157
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L' année 1939 voit encore se produire une nouvelle vague d'immigration bien plus massive, cette fois-ci au sud de la France. Elle résulte de la guerre civile espagnole, déclenchée en 1936 par le général Franco contre les forces républicaines. Des milliers d'Espagnols avaient déjà fui dès 1937 de l'autre côté des Pyrénées, leur nombre atteignant 40 à 45 000 à la fin de 1938. La défaite des Républicains (janvier-février 1939) provoque un exode sans précédent de près d'un demi-million de personnes vers la France. Dans l'improvisation la plus totale, le gouvernement crée des camps de regroupement, à Saint-Cyprien (Pyrénées orientales) et Gurs (Pyrénées atlantiques) pour y accueillir les combattants . Les civils sont dirigés vers des centres d'accueil départementaux. Cette double immigration de l'Est et du Sud dont les causes sont fort différentes, fait que la France reste le premier pays d'asile au monde juste avant le déclenchement de la seconde guerre mondiale. Mais la peur ne peut que croître à l'intérieur du pays, enserré par trois régimes fascistes ou autoritaires désormais en Italie, Allemagne et Espagne.

page 40
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Phénomène bien connu des historiens que cette reconstitution du fait historique. Par-delà les faits, il y a l'idée qu'on s'en fait, la manière dont on les "parle" ou les écrit. Toutes sortes de facteurs contribuent à les distordre. Les premiers, et non les moindres, sont politiques. La façon d'écrire l'Histoire est un enjeu de première importance. A travers la manière de rendre compte de leur conduite passée, les pouvoirs justifient dans le présent l'autorité qu'ils entendent conserver ou conquérir.
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Maintenant que j'avais pris conscience que les couleurs, elles aussi, avaient fini par s'envoler à jamais, je fus surpris de ne pas en être anéanti. J'aurais dû exploser, me révolter, crier ma rage d'être privé de cette dimension de la beauté. Vous qui pouvez contempler la magnificence d'une fleur, d'un tableau de maître, d'un coucher de soleil, soyez sûr de votre bonheur. moi, je m'étais enfoncé encore un peu plus dans les marais de la grisaille. Je ne me faisait plus d'illusions depuis longtemps : je savais que j'étais en train d'y disparaître complètement. Mais j'espérais ne pas y laisser ma peau, ayant préparé, tant bien que mal, les conditions de ma métamorphose.
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Le génocide n'est pas un accident de l'histoire. Il est le syndrome le plus grave de la pire maladie de l'homme : sa violence. Comme la guerre, le génocide est la manifestation spectaculaire de la faculté de l'homme à s'autodétruire. A cet égard, il est comparable à une forme de cancer qui ronge le corps social. En dépit de l'abondante littérature consacrée au sujet, rares sont les tentatives qui ont appréhendé le génocide comme une maladie de l'humanité. Or, c'est en commençant par avoir une bonne connaissance du génocide, en tant que phénomène pathologique, qui peut saisir n'importe quelle société humaine, que l'on pourra peut-être avoir quelques idées de thérapeutiques.
Le drame de l'homme est qu'il ne semble pouvoir se constituer une identité sociale qu'en niant celle d'un autre, à des degrés divers. Ainsi, la constitution d'un groupe humain conduit généralement à une hiérarchie sociale au sein de ce groupe, celui-ci prenant corps parallèlement par la désignation d'un ennemi commun. La guerre est traditionnellement le moyen d'affirmer l'identité du groupe belligérant contre cet Autre, dangereux, ennemi désigné.
D'une façon générale, l'observation historique montre au moins trois formes de cette affirmation de soi – d'un Soi collectif – par négation de l'Autre. Elles peuvent être interprétées comme des réductions de l'Autre à soi :
- l'assimilation : le groupe dominant oblige le groupe dominé à adhérer à ses propres valeurs, c'est-à-dire à épouser sa propre culture, sa religion, moyennant quoi les membres du groupe dominé peuvent conserver certains droits limités. C'est une sorte « d'absorption » de l'Autre par le Soi.
- l'asservissement : le groupe dominé est placé dans une position de totale servilité à l'égard du groupe dominant. Il contribue à son enrichissement et ses membres ne possèdent aucun droits. C'est la figure de « l'instrumentalisation » de l'Autre.
- l'extermination : c'est évidemment la forme la plus extrême de la « réduction » de l'Autre, celle de son éradication.
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Lutter sans armes ne va pas de soi. Sans armes, on s'imagine sans défense. Aucun individu n'est spontanément prêt à prendre des risques. Or, susciter la terreur et l'isolement des individus est l'arme favorite des tyrannies. Paralysé par la peur des sanctions les plus graves, l'individu se soumet. Aussi la paix des tyrannies est-elle la paix de la peur, la paix de la mort. Dans de telles conditions, lutter sans armes exige d'abord de dépasser sa peur. Pour prétendre vaincre l'ennemi en quelque point, ou du moins rivaliser avec lui, il convient au préalable de vaincre sa peur. La peur la plus profonde que l'homme puisse ressentir : celle de perdre la vie. Affronter la violence totalitaire, les mains nues, commence par cette maîtrise de la peur qui n'est autre que l'angoisse de sa propre mort. C'est là l'une des choses les plus difficiles que l'on puisse demander à un être humain et qui fait que le combat sans armes n'est pas si commun.
Face à la violence qui le menace, l'homme estime que la seule réponse qui vaille est celle de la contre-violence. Une arme à la main, à tort ou à raison, il se sent rassuré. La possibilité qu'il a de lui-même donner la mort lui semble une manière de se protéger d'elle. Mais lorsque l'individu ne possède pas d'arme, sur quoi peut-il s'appuyer pour affronter la situation? Il ne dispose de rien, sinon de son intelligence et de sa détermination. La ruse peut être le moyen de surmonter le danger. Mais elle ne suffit jamais à juguler l'angoisse de la mort qui menace. A la place de la force des armes qu'il n'a pas, un homme isolé, qui entend se confronter à la violence, sans fuir ni se soumettre, n'a d'autre solution que de faire preuve d'une force morale assez exceptionnelle. Croire à un idéal moral, être habité par une foi religieuse, sont deux des principales voies par lesquelles l'homme peut parvenir à dépasser sa peur. Il faut qu'il soit convaincu que certaines valeurs sont plus importantes que la vie "physique" de sa propre vie. Il faut qu'il se persuade que la force de l'esprit est plus forte que la force de la brute. Aussi a-t-il la possibilité de défier la mort à travers la transcendance de la vie. Il y a là quelque chose qui parait de l'ordre du sacrifice et qui fait que celui qui se montre "doué de non-violence" est souvent qualifié de martyr ou de saint. Que ce jugement soit fondé ou non, il est clair qu'un tel engagement n'est pas donné à tout le monde.
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La barbarie des hommes a accompagné bien des guerres. Mais après celle-ci, on éprouva le besoin de créer, pour dénommer ce qui venait de se passer, un nouveau mot, aussi nouveau que le phénomène qu'il désigne : ce fut celui de génocide. Certains s'irritent de la volonté de réserver une place à part à l’extermination des juifs européens. Il est vrai que bien d'autres personnes disparurent dans les camps nazis : des tziganes, des homosexuels, des slaves et, en fin de compte, des homme de toutes sortes de nationalités. Mais il reste que le base de ce processus exterminatoire, ce qui lui a donné sa dynamique, c'est l'antisémitisme nazi. La caractéristique fondamentale du régime nazi, son trait sui generis, réside dans cette planification industrielle de l'élimination de catégories particulières de populations civiles, principalement juives. A cet égard, le génocide doit occuper une place centrale dans l'interprétation de la politique nazie envers les nations tombées sous son influence.
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La famille Hanau, originaire de la Sarre, fuit le nazisme . En 1914, le père avait combattu dans l'armée allemande. Ils habitaient à Gerolstein (Rhénanie-Palatinat) où les parents possédaient une entreprise d'alimentation en gros. Deux enfants sont nés de leur union : Edith en 1920 et Edgar en 1925. Après l'accession d'Hitler au pouvoir, les Hanau cherchent à venir en France. En 1936, toute la famille arrive à Bouzonville (Moselle). Le père y ouvre une entreprise de confiserie tandis qu'Edith travaille dans un magasin de tissus. Les parents ne parlent pas du tout français. Cependant, une des grands-mères du père, originaire de Lorraine, étant française, une clause du Traité de Versailles relative aux Alsaciens-Mosellans permet à la famille d'être intégrée dans la nationalité française par décision de justice (Tribunal de Thionville). Les Hanau sont désormais considérés comme des Français de naissance et non pas comme des Allemands naturalisés. Ils s'intègrent vite à la communauté juive de la ville, au sein de laquelle, le père est officiant.

(page 38) - J'ignorais cette disposition du Traité de Versailles.
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Les bouleversements de 1989 ne sont pas des « révolutions » au sens habituel du mot, mais une implosion du système.
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Le mouvement le plus remarquable de solidarité de toute l'histoire du génocide fut sans conteste le sauvetage des juifs du Danemark. La célébrité de ce cas tient à sa réussite quasi totale (plus de 95% de la population fut sauvée) et en ce qu'il prit l'allure d'une épopée (évacuation des juifs par bateau vers la Suède).
"L'histoire des juifs danois est très particulière et le comportement du peuple et du gouvernement danois envers les juifs est unique, écrit Hannah Arendt. Qu'il fut occupé, partenaire de l'Axe, neutre ou vraiment indépendant, aucun pays d'Europe ne réagit de cette manière. On est tenté de recommander cette histoire à tout étudiant en sciences politiques qui désirerait mesure la force de l'action non violente et de la résistance passive quand l'adversaire dispose de moyens violents et beaucoup plus puissants."
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À l'évidence, M.Zemmour s'est engagé dans le combat politique d'une extrême droite décomplexée.
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(...) n'oubliez pas la résistance des Juifs eux-mêmes.
Et sachez que les Alliés sont restés passifs alors qu'ils auraient dû bombarder les voies ferrées conduisant aux camps.
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Or la guerre aussi a une histoire. Dans quelle mesure cette histoire pèse-t-elle sur ce qui se joue alors à Berlin, Belgrade ou Kigali ? Bien souvent, l'histoire de la guerre a été racontée comme une épopée, à l'instar du grec Homère, ou pensée du point de vue de la stratégie, comme, en des temps tout aussi anciens, par le chinois Sun Tse. De manière plus provocante, on pourrait parler de l'histoire d'amour que les hommes entretiennent avec la guerre. Qu'on le déplore ou non, les hommes, du moins certains d'entre eux, aiment faire la guerre. Il ne sert à rien de nier ce penchant de l'être humain à chercher dans la guerre tout autant la gloire que la mort. «Il faut garder à l'esprit, écrit l'historien militaire israélien Martin Van Creveld, que le combat a souvent été considéré non pas comme un simple spectacle, mais comme le plus grand de tous.»
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Sans la réussite du débarquement allié du 6 juin 1944 le nombre de déportations depuis la France aurait été alourdi.
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Mais en complément des innombrables travaux sur la déportation et l'extermination des juifs, ce livre raconte pour la première fois, il me semble, l'histoire et les mémoires de la non-déportation des juifs en France.
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L'offensive allemande du 5 juin déclenche un nouveau raz de marée humain, encore plus imposant. la progression rapide des chars Panzer, appuyés par l'aviation, est spectaculaire. Si des unités françaises et britanniques résistent avec courage, la guerre semble déjà perdue.
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De même, Christopher Browning estime que, chez les policiers allemands du 101e bataillon, « pitié et brutalité peuvent coexister dans le même individu et au même moment. » Cette imbrication, remarque-t-il, est très difficile à admettre. Nous avons en effet beaucoup de difficultés à ne pas voir le bourreau constitué d'un seul bloc monstrueux, incarnation personnifiée du mal. Mais nous sommes dans l'erreur : c'est là que réside le plus souvent notre plus grande résistance à comprendre le mal. Pour nous rassurer, nous voudrions que les choses soient nettes, bien tranchées. Cette conviction est d'autant plus puissante qu'elle provient en droite ligne de l'enfance, où régnaient alors – nous y croyions dur comme fer – les bons et les méchants. Mais non, ce n'est pas toute à fait comme cela que les êtres humains se conduisent. Même les bourreaux peuvent avoir des conduites inattendues, des comportements doubles où l'espace d'un instant, surgira une étincelle d'humanité. Inversement, même ceux qui semblent du côté du bien, qui ont sauvé des vies, ont pu – à un autre moment de leur existence – avoir des attitudes blâmables.
La nature morale d'un acte ne définit jamais totalement l'identité morale de l'auteur de cet acte. C'est à propos de Kurt Gerstein, cet ingénieur des mines allemand qui fut le témoin oculaire du gazage des juifs et qui en a transmis la nouvelle aux Alliés, que Saul Friedlander a parlé de « ambiguïté du bien ». Dans certaines circonstances, écrit-il, « le résistant peut paraître proche du bourreau ». On pourrait renverser la formule et soutenir aussi que, dans certaines circonstances, le bourreau peut avoir une pratique limitée du sauvetage. Il y a lieu en ce cas de parler « d'ambiguïté du mal », ayant à l'esprit ce résidu d'humanité qui reste dans la psychologie du bourreau quand le tueur se fait protecteur, ne serait-ce que d'une vie.
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En fin de compte, l'incapacité de l'État souverain moderne à tolérer d'importantes minorités à l'intérieur de ses frontières conduit soit à des programmes d'assimilation forcée, soit à des opérations de « nettoyage ethnique ». Tout dépend des circonstances politiques et du contexte historique. Mais cette ardeur à rendre homogène traverse toute l'histoire du XXe siècle. Comment alors ne pas inscrire le développement de cet État, aux ambitions totalisantes, dans une histoire plus longue, telle que Michel Foucault l'a mise au jour? En particulier, je pense ici à ses analyses sur la naissance d'un « bio-pouvoir » incarné dans cet État qui surveille, contrôle, intervient dans la vie des familles,identifie et met à l'écart les populations dangereuses, etc. Or le XXe siècle donne précisément à voir bien davantage que la mise en place de ce contrôle social des corps. L'État ne s'y contente plus de « surveiller et punir ».
Avec la multiplication des pratiques de « nettoyage ethnique », il franchit une nouvelle étape au XXe siècle : celle de purifier et chasser les population jugées indésirables ou dangereuses. Car l'État s'autorise désormais à découper le corps social : il en rabote les aspérités, en enlève les éléments contagieux et impurs, à moins qu'il ne les écrase sans plus de scrupules ; bref, il modèle le corps social à sa façon, à son idée. Il peut d'autant plus faire ce travail de jardinier, ou plutôt de chirurgien, du politique qu'il dispose désormais de nouveaux instruments d'identification et de dénombrement (comme la statistique pour connaître la masse et agir sur elle à sa guise). Jamais auparavant les pouvoirs n'ont pu en effet disposer de ces outils puissants permettant de gérer les masses (administration), de leur parler (radio), de les déplacer (trains). En vue de ce grand refaçonnage politique, on voit donc apparaître une nouvelle forme d'ingénierie sociale, qui ne consiste plus seulement à soumettre un peuple rebelle (comme on l'a vu précédemment), mais bien à le découper, à en détacher les éléments indésirables, à les déposer, quitte à les laisser mourir en chemin.
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