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Citations de Jacques Thuillier (18)


Voici le Bacchus et Ariane des Le Nain. Un adolescent plutôt qu’un dieu, une enfant plutôt qu’une femme, un gros chagrin plutôt que le drame de l’abandon. Les paupières ne sont plus gonflées de larmes, et l’aube rend à ce corps à demi dénudé l’innocence de l’oubli. Bacchus s’avance et ne bouge pas, comme suspendu dans l’émoi de sa découverte. Peut-on dire davantage sur le mélange de sensualité et de pudeur dont sont faites les premières amours ? Voici le Christ mort de Baugin : un grand corps puissant et pâle, à peine marqué par la douleur, à peine boursouflé par la mort, et qu’attend l’ombre du tombeau entrouvert. Peu importe qu’il s’agisse du Christ ou d’un homme quelconque : nous voici devant l’énigme cruelle et capitale du cadavre.
Jacques Thuillier, « La peinture française du XVIIe siècle et l’histoire de l’art : problèmes et méthode », 1993
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Les frères Le Nain sont les peintres des regards. « Amateurs de regards humains », écrivait Paul Jamot dans une de ses plus belles pages. On dirait que certains de leurs tableaux sont imaginés, construits autour de ces attaches presque immatérielles et qui pourtant s’emparent d’emblée de l’attention. (…)
À ce qui n’est chez d’autres qu’un détail, ils apportent tous leurs soins. On peut observer l’habileté merveilleuse de leur pinceau lorsqu’il s’agit de rendre la transparence d’une prunelle, de poser un reflet sur une pupille. Mais beaucoup de peintres, et des plus médiocres, ont eu la main non moins subtile. Leur secret est bien plutôt dans cette juste intuition des êtres, qui refuse les airs dolents ou rêveurs et les sourires de convention, qui propose les visages tendus dans un instant d’attente ou de surprise, et choisit le moment où le regard vient se poser sur autrui : insistant, mais du même coup se livrant à découvert.
On n’a pas suffisamment souligné que s’établit ainsi une nouvelle relation entre le tableau et le spectateur.

Jacques Thuillier, « Catalogue », 1978
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Écrire la biographie de Poussin tient de la gageure (…) La vie glorieuse de Poussin offre tout juste deux ou trois péripéties dignes d’être retenues par l’histoire. Or l’homme devait avoir cette présence sévère devant laquelle s’évanouissent l’anecdote, le récit malicieux, la calomnie savoureuse. Beaucoup de gens le connurent qui avaient bon bec et bonne plume : la plupart se sont tus, et ne nous ont rien transmis qui vienne suppléer à cette absence d’événements, sinon quelques traits confiés par lui-même à ses intimes, et de peu de relief.
Mais n’est-ce pas justement une raison pour écrire sur Poussin ? Les passions mouvementées, les randonnées lointaines, les conduites héroïques donnent à une biographie l’attrait du roman (…) mais il est plus rare, et somme toute plus important (on l’apprend avec l’âge), de vivre intensément un simple instant du monde que de se livrer passivement aux caprices orageux de la fortune. La leçon essentielle d’une existence est peut-être moins dans le pittoresque de ses péripéties que dans la richesse de ses choix. Et c’est ici qu’apparaît le privilège de l’artiste.

« Vie de Nicolas Poussin », 1988
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Palais, châteaux, églises, immeubles doivent dorénavant être réparés ou remplacés, la pluie ronge monuments et statues, les ateliers des artistes sont dispersés à tout venant. Seule la renommée peut protéger et sauver. Or cette renommée dépend du jugement. Et le jugement dépend en grande part des catégories.
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L’un des traits qu’il importe de relever pour comprendre Poussin, c’est que sa vocation ne surgit pas des beaux exemples d’un art en pleine floraison, mais dans une période malheureuse entre toutes. Un pays couvert de ruines par les guerres de religion, une économie brisée, des esprits hantés par les horreurs sans nombre, meurtres, viols, incendies, famines : telle apparaît la Normandie au temps où naît Poussin. [...] Mais si les épreuves ont trempé les esprits, elles ont aussi ruiné les arts.
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Je ne sais pas très bien depuis combien de temps je me suis intéressé aux œuvres d’art : il me semble que, grâce à mes parents, j’ai appris à distinguer une porte gothique d’avec une porte romane dans le moment même où je commençais à déchiffrer mon alphabet. Mais j’estime que je ne suis réellement devenu historien d’art que le jour, passablement tardif, où j’ai lu, dans une étude d’André Chastel sur les problèmes de l’histoire de l’art contemporaine et l’incertitude de ses méthodes, cette phrase : « L’Histoire de l’art est placée (aujourd’hui) devant le fait gênant, mais irrécusable, qu’elle est largement responsable de son objet. »
[Ces mots] ne pouvaient que frapper ceux de ma génération.
La génération dont je parle était arrivée à l’âge de raison pendant la guerre. Jour après jour, la radio annonçait : Nuremberg est en flammes, le vieux Dresde est rasé, les Mantegna des Eremitani sont réduits en poussière, Caen, ses hôtels et ses églises ne sont plus qu’un tas de ruines. J’ai moi-même, après une nuit blanche au fond d’un abri, vu s’effondrer dans le petit matin, murs après murs, à mesure qu’éclataient les bombes à retardement, une de nos cathédrales – celle même que Rodin disait l’échafaudage du ciel.
Jacques Thuillier, « Leçon inaugurale au Collège de France », vendredi 13 Janvier 1978
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Plusieurs travaux démontrent que les frontières entre ces deux catégories (académique et avant-gardiste) n’ont jamais été délimitées d’une façon absolument nette ; au contraire, les limites sont souvent floues dans la pratique des artistes, malgré le fait que le discours sur l’art converge fréquemment vers la radicalisation.
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Le « faire » et le « rendu »
Un autre clivage apparaît dans la peinture de ces deux siècles (XVIIe et XVIIIe).
Cette fois, il ne touche pas à la représentation ni à la rhétorique choisie, et il concerne bien moins l’inspiration que la technique proprement dite.
On voit en effet - sans qu’on puisse en donner une explication claire - les peintre se séparer en deux familles.
Les uns sont soucieux de représenter ce qu’ils voient ou conçoivent avec une fidélité qui persuade les yeux.
Ils modèlent attentivement les formes, souvent à l’aide d’un jeu de glacis ; s’ils ne se risquent pas à imiter Van Eyck, du moins veulent-ils « rendre » tous les détails et toutes les nuances.
Cette science du « rendu », au contraire, paraît à d’autres mesquine.
Pour leur part, ils préfèrent qu’on admire leur beau « faire », soit le brio de leur pinceau, l’éclat de leur fa presto.
Ils souhaitent que quelques coups de brosse, jetés comme au hasard, mais dont ils savent bien que les amateurs goûteront l’habileté, se recomposent à une certaine distance et suggèrent avec force les couleurs et les lumières.
Cette sorte de non finito de la peinture avait été presque absent jusqu’au XVIe siècle.
Désormais il préoccupe nombre de peintre et parfois efface les différences d’esprit et de sujet.
(page 386)
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"Petit colporteur endormi" - 1882: Bastien-Lepage a limité ses moyens: un camaïeu d'ocres, de bruns et de noirs. Sur la gauche, un bout de banc vulgairement peint en vert. Pas le moindre effet "impressionniste": calme, silence, présence d'un vieux soulier et d'un pied nu. Et des yeux fermés. De toute l'œuvre de Bastien-Lepage c'est peut-être le tableau plus simple. Et que penser d'un artiste capable de passer de la vérité du "Petit cireur de bottes" gouailleur, debout au milieu de la circulation de Londres à la vérité de cet enfant aux yeux clos veillé par un vieux chien au coin d'une rue de village?
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Le rejet des vieux déterminismes
… La plupart des histoires de l’art écrites à ce jour, même les plus concises, font passer au premier plan les circonstances économiques, sociologiques ou religieuses censées expliquer la création des artistes. (…) L’art, affirmait-on, n’est qu’un « épiphénomène ». Il est entièrement conditionné par la situation de l’artiste dans son siècle.
Somme toute, il n’a guère d’intérêt que de révéler par des images la dialectique de l’histoire.
Le temps est venu, croyons-nous, d’une révolution « copernicienne ».
Dans cet ouvrage, nous avons tenu à replacer l’art au centre des problèmes.
Nous partons de cette expérience que la création, même si l’artiste est soumis à une commande très précise, même s’il se réclame personnellement de quelque doctrine, reste toujours imprévisible.
Un peintre vivant au milieu de la guerre et de la misère peut trouver de grands accents tragiques, mais plus souvent son œuvre ne reflète que la paix et la sérénité.
D’un admirable tableau religieux, on a tort de conclure à une foi profonde : il arrive qu’il soit l’œuvre d’un athée convaincu.
L’iconographie, par nature, est trompeuse : elle renvoie moins à l’auteur qu’à la destination de l’œuvre.
La création des grands artistes dépasse de très loin les concepts qu’ils ont pu ou voulu proférer, comme ceux où l’on cherche à les enfermer.
(page 9)
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Claude Monet - La Pie - 1869
.”.. Mais enfin c’est lui (Monet) qui a le plus clairement conçu cette quête de la lumière, qui l’a poursuivie avec obstination jusqu’à sa mort, et qui en a tiré d’exceptionnels chefs-d’œuvre.
Prenons l’un d’eux, La Pie. Rien de plus simple : un paysage de campagne sous la neige. Mais rien de plus subtil aussi : quelques troncs d’arbres, s’opposant aux talus sombres, établissent discrètement une sorte de grille géométrique et donnent au tableau sa solidité, tandis que le calme est souligné par la ligne de la haie, qui partage la surface en deux parties égales.
Et sur tout cela s’étend une symphonie de blancs que le soleil fait briller jusqu’à bleuir les ombres, jusqu’à dorer insensiblement les parties lumineuses. La pie n’est pas seulement là pour introduire, dans tout cet éclat, une tache noire et bleue : elle apporte aussi une présence, qui suffit à chasser l’idée de désert et de mort qui menace tout paysage de neige.
Depuis le premier chef-d’œuvre, la page du mois de février dans les Très Riches heures du Duc de Berry, on en avait peint un grand nombre en France ou dans les Flandres, mais la toile de Monet est capable de les faire tous oublier.”
(page 486)
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L'Art occidental a souvent représenté la mort. L'image qu'il a le plus répétée, le crucifix, est la représentation d'un mort, et même de Dieu mort. Les supplices des saints amènent souvent à montrer leur cadavre. Il s'est même créé dans la peinture un genre particulier, la vanité, qui par la réunion de quelques objets évoque la mort de l'homme et la destruction des choses par le temps.
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...le succès d’un mot et sa durée, surtout sur le plan international, tiennent à des facteurs impondérables, et plus encore imprévisibles. Le prestige d’une exposition, l’autorité d’un critique, l’audience d’un livre suffisent pour changer la fortune d’un mot. Nous avons dit que l’historien doit parfois s’intéresser au présent : il ne doit ni ne peut faire de prédiction.
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Pour des raisons diverses, « victorien » ou « académique » n’ont aucune chance. Seul « pompier » est assez vague, assez intraduisible, assez « absurde » pour l’emporter, comme jadis gothique ou baroque.
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(certains auteurs préfèrent utiliser le terme «académique» à la place de «pompier», parce que celui-là)
leur paraît plus impartial et d’allure moins familière. Mais ce dernier possède une étymologie aussi manifeste que contraignante, et l’on s’en est beaucoup servi dans d’autres domaines - université et littérature notamment ; de sorte qu’il manque de souplesse, et risque fort de ne pouvoir s’enrichir des implications neuves et multiples qui sont nécessaires à un instrument conceptuel.
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Débarrasser la vision de l’art des abstractions construites par les préjugés et les pédantismes des derniers siècles, revenir aux œuvres mêmes et à notre intuition devant les œuvres, les laisser simplement parler : tel a été notre souci.
Nous savons très bien les insuffisances que comporte un tel volume : mais nous serions heureux si nous avions tant soit peu rendu au lecteur la simplicité du regard.
(page 11)
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« En 1593, quand naît La Tour, le duc
de Lorraine s’appelle Charles III. Il
règne depuis 1545 et mène une
politique aussi prudente
qu’ambitieuse. Il va bientôt perdre
ses derniers espoirs de devenir roi de
France et une suite de mauvaises
récoltes, de 1592 à 1595, entrainera
quelques années difficiles. Mais la
reprise est rapide, et la Lorraine va
connaître ses années les plus
brillantes
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"M. Georges La Tour, peintre, se rend odieux au peuple par la quantité de chiens qu'il nourrit, tant lévriers qu'épagneuls, comme s'il était seigneur du lieu, pousse les lièvres dans les grains, les gâte et foule…." voilà le seul jugement du temps (1646) qui nous soit parvenue su La Tour. Il campe un des aspects de l'homme, il ne concerne pas l'artiste.
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