Haller condamnait la réforme parce que, selon lui, elle avait préparé la Révolution, parce qu'elle encourageait la libre-pensée, parce qu'elle instaurait une religion de la liberté. C'est pour les même raisons que Hegel, au contraire, approuvait la Réforme et la tenait pour un évènement capital dans l'histoire de la libération de l'esprit humain.
Hegel, à Berlin, ne reniait pa son admiration de jeunesse pour la France révolutionnaire. Il en avait suivi avec passion tous les développements. Sous ses yeux elle s'était métamorphosée en Empire napoléonien. Il reconnaissait en Napoléon un fils de la Révolution, comme le faisaient alors presque tous les Allemands, davantage peut-être que les Français.
Car si Napoléon, tout en fortifiant certaines de ses conquêtes, stabilisait et arrêtait la révolution bourgeoise en France, il l'étendait par contre à toute l'Europe.
"Napoléon, déclare Engels, 2tait en Allemagne le représentant de la révolution, l'annonciateur de ses principes, le destructeur de la vieille société féodale (...).
Le règne de la terreur, qui avait accompli son oeuvre en France, Napoléon l'accompli à d'autre pays sous la forme de la guerre - et ce "règne de la terreur" était impérieusement nécessaire en Allemagne."
L'opposition doctrinale entre Hegel et Fries se développa en même temps que leur concurrence professionnelle. Elle concernait depuis longtemps la théorie de la connaissance, la logique et la métaphysique. Elle s'étendit au domaine scientifique. En 1822, Fries fit paraître sa Philosophie mathématique de la nature, élaborée selon la méthode philosophique. Elle se situait très loin des options hégéliennes. Hinrichs, disciple de Hegel, lui reprochait un défaut rédhibitoire : elle retirait de la nature tout le qualitatif.
L'opposition de Hegel et de Fries gagna même les détails de leur pensée, et l'on en vient à se demander si, dans certains cas, le choix de l'un ne s'explique pas, du moins en partie, par le choix inverse de l'autre : Fries se moquait de la théorie des couleurs de Goethe, que Hegel, inversement, soutenait avec ardeur.
Il est possible que Hegel n'aime pas beaucoup les Jacobins de 1793. On l'a prétendu. Mais il est certain qu'il a suivi pendant un certain temps les Girondins, il admire le Code civil, le gouvernement constitutionnel. Le droit de propriété lui paraît une conquête irréversible.
"On voyait sortir des classes de la société les plus grossières, comme les vapeurs s'élèvent des marais pestilentiels"
Les ruines spirituelles ne se relèvent jamais.