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Citation de enkidu_


Jamais sans doute une société n’aura vanté à ce point la jeunesse, comme modèle de comportement et d’usage de la vie, et jamais elle ne l’aura dans les faits aussi mal traitée. Chesterton avait pressenti dans Divorce, que le sens ultime des théories pédagogiques alors les plus avancées, selon lesquelles il convenait de considérer l’enfant comme un individu complet et déjà autonome, était de vouloir « que les enfants n’aient point d’enfance » (Hannah Arendt a redit cela beaucoup plus tard, à sa manière). S’étant débarrassé, avec l’individualité, du problème de sa formation, la société de masse se trouve en mesure de réaliser ce programme, et dialectiquement de le compléter avec ce que l’on a appelé son « puérilisme », en faisant en sorte que les adultes n’aient point de maturité. Les consommateurs étant traités en enfants, les enfants peuvent bien l’être en consommateurs à part entière (« prescripteurs », comme tous les publicitaires le savent, d’une part sans cesse croissante des achats de leurs parents). De tout ce qu’un dressage si précoce à la consommation dirigée entraîne d’infirmités et de pathologies diverses, les honnêtes gens soucieux de « protection de l’enfance » parlent fort peu. Ils se demandent d’ailleurs tout aussi peu comment il se fait que les pervers et les sadiques dont ils s’inquiètent de protéger leurs enfants soient venus à tant abonder, justement dans les sociétés les plus modernes, policées, rationnelles.

Quand on dit que la jeunesse n’a jamais été aussi mal traitée, et non seulement dans ces pays lointains sur le dénuement desquels on s’apitoie, mais ici même, dans les métropoles de l’abondance, on se voit en général opposer le travail des enfants au XIXème siècle, ou bien la mise en apprentissage d’avant-guerre. Comme toutes les images en forme de slogans qui servent à justifier le progrès, celle-ci permet de ne rien dire sur ce que le progrès a effectivement apporté, ou de dire seulement que cela pourrait être pire. En l’occurrence, c’est la scolarité prolongée qui est tenue par postulat pour un bonheur et une conquête au mépris de tous les faits constatables et accablants ; parmi lesquels le moindre est que ces études dites supérieures, auxquelles on ouvre un accès aisé par des taux de réussite au baccalauréat fixés administrativement, ne préparent à rien qui mérite encore le nom de métier. Cela n’est certes pas fait pour entraver le fonctionnement d’une économie moderne, puisqu’on sait qu’on n’y embauche guère que dans cette néo-domesticité des « services », qui va du livreur de pizza à l’animateur socioculturel. Et de toute façon, il importe assez peu qu’on laisse mariner plus ou moins longtemps dans le jus malpropre de l’Education nationale ceux qui seront surtout « élevés à la console de jeux ». Car, pour en revenir aux mauvais traitements, là est l’essentiel : nous voyons grandir les premières générations qui auront été livrées à la vie numérisée sans que ne s’interpose plus rien, ou presque, de ce qui dans les mœurs empêchait encore il y a peu de s’y adapter complètement.
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