10 mars 2010 : Mot de l'éditeur : Léonard Maurizius, homme de lettres élégant et frivole, est accusé d'avoir assassiné son épouse. Au terme d'un procès tumultueux, le meurtrier présumé est condamné à la prison à vie par le procureur Andergast. Il croupit en prison depuis plus de dix-huit ans lorsque Etzel Andergast, enfant unique du redoutable procureur, féru de justice et d'absolu, et convaincu de l'innocence de Maurizius, demande à son père de reprendre le dossier «Maurizius». Face à son refus, Etzel part en campagne pour obtenir la révision du procès. Tournant le dos à sa famille et à ses valeurs traditionnalistes, Etzel traque l'homme qui pourrait connaître la vérité et se cache sous une fausse identité à Berlin. Fondé sur une célèbre erreur judiciaire, ce chef-d'oeuvre, à la fois lucide et romantique, a la grandeur d'une tragédie grecque. Porté par les implications morales et philosophiques de la crise européenne et allemande du début du siècle dernier, L'Affaire Maurizius témoigne des questions qui hantent l'oeuvre de Jakob Wassermann : la quête d'ouverture, souvent refusée, et l'affirmation d'une double identité presque toujours suspecte.
Comment peut-on supporter cela ? Et tout le monde continue à vivre, ceux qui prétendent ne plus le pouvoir comme les autres, et moi aussi. Que fait-on de la justice ? Existe-t-elle même ? Ne se l’imagine-t-on pas seulement comme les gens pieux s’imaginent un paradis ?
"J'ai voulu pénétrer ce qui vous rend si fort", poursuivit [Atahualpa] dans sa méditation, le front penché vers le sol. "Je crois que j'y suis arrivé. Ce doit être l'or. Ce métal vous donne le courage de souiller toutes les choses et de vous les approprier. En les acquérant, vous vous souillez vous-mêmes. L'or métamorphose votre âme. L'or est votre dieu, votre rédempteur, comme vous l'appelez. Celui qui en possède un morceau s'estime riche. Ne connaissant pas d'autre soleil, il croit le posséder. C'est là une chose que j'ai parfaitement comprise à présent. Vous me faites pitié, êtres des ténèbres!"
"Je ne suis pas un dieu. Que sais-tu de Dieu, toi, païen!" lui lança Pizarro dans un grognement méprisant, car il ne croyait pas que l'Inca eût parlé sincèrement.
"Je ne sais pas grand-chose de votre dieu ; du mien, j'en sais beaucoup", répliqua [Atahualpa] doucement. "Le vôtre est invisible ; le mien se promène dans le ciel et salue ses enfants chaque jour."
« J’ai voulu pénétrer ce qui vous rend si forts. […] Je crois que j’y suis arrivé. Ce doit être l’or. Ce métal vous donne le courage de souiller toutes les choses et de vous les approprier. En les acquérant, vous vous souillez vous-mêmes. L’or est votre dieu, votre rédempteur, comme vous l’appelez. Celui qui possède un morceau s’estime riche. Ne connaissant pas d’autre soleil, il croit le posseder. C’est la chose que j’ai parfaitement comprise à présent. vous me faites pitié, êtres des ténébres. »
Comment peux-tu dire avec une telle certitude que ton Dieu est la seule vraie divinité? demanda l'Inca avec un calme majestueux. Comment puis-je croire en lui puisqu'il permet que vous, qui parlez constamment de son amour et de sa miséricorde, vous assassiniez des innocents?
"M. d'Andergast comprend peut-être le muet langage dont se fait l'interprète ce garçon de seize ans, porte-parole de l'esprit négateur et incrédule de sa génération, esprit contaminé par la maladie et l'anarchie ambiantes ! C'est un accès de colère accumulée en lui qui l'a amené à cette ardeur tactique. Preuves, exemples, explications, peine perdue que tout cela. Les ténèbres ne deviennent pas lumière parce qu'on a mobilisé contre elles une armée d'arguments. La lumière ne peut convaincre les aveugles-nés, ni frapper les aveugles volontaires. Cet esprit nouveau dont ils radotent, dont ils se réclament, où est-il ? En eux, disent-ils. Il n'y a ni nouvelle école, ni ancienne école. L'homme, sa carrière, sa naissance, sa mort, rien n'a changé depuis six mille, soixante mille années. Être éphémère et vouloir faire de chaque lustre une époque, quelle folie ! moins ils sont par eux-mêmes et plus ils espèrent du temps; c'est toujours le torrent qui fait mouvoir leurs moulins bavards, et ils s'imaginent en avoir modifié le cours parce que leur roue tourne elle aussi dans ses eaux."
Ce court roman est simple et lumineux. Nous sommes en 1532, les caisses de l’Espagne sont vides et ses sujets ruinés. Ces derniers abordent le Pérou après une terrible traversée de terres inhospitalières, désespérés et rongés par une soif ardente : il s'agit de piller l’or des incas auquel ces derniers attachent peu d’importance. Parvenus dans la petite cité de Cajamalca, au pied des Andes, ils foulent au pied la part de lumière que recèle le coeur de l’homme en mettant à mort dans des conditions iniques, après massacres et trahisons, le chef solaire des incas, Atahualpa, véritable figure christique. Atahualpa est finalement mis à mort après un dernier repas qu'il parvient à organiser en compagnie de ses ancêtres morts au nombre de vint-quatre, douze hommes et douze femmes. Ce repas n’est pas sans évoquer la Cène avec cette représentation du nombre douze répété deux fois, la lignée féminine étant restituée par l’auteur. Le soleil dans ce récit fondé sur l’Histoire, est aussi un conte allégorique. Le soleil c’est la divinité, l’or en est l’image dégradée dans le coeur des hommes avides et sans spiritualité.
Il réfléchit, son cerveau est une fournaise qui élabore des images, bien qu'il exige de lui de ne produire que des pensées logiques. Mais il ne réussit pas toujours à contraindre sa machine à penser à la seule besogne pour laquelle elle est faite.
"J'ai voulu pénétrer ce que vous rend si forts", poursuivit-il dans sa méditation, le front penché vers le sol. "Je crois que j'y suis arrivé . Ce doit être l'or. Ce métal vous donne le courage de souiller toutes les choses et de vous les approprier. En les acquérant, vous vous souillez vous-même. L'or métamorphose votre âme. L'or est votre dieu, votre rédempteur, comme vous l'appelez. Celui qui en possède un morceau s'estime riche. Ne connaissant pas d'autre soleil, il croit le posséder. C'est là une chose que j'ai parfaitement comprise à présent. Vous me faites pitié, êtres des ténèbres!"
A-t-on jamais vu depuis que le monde est monde une guerre avoir une cause juste ? A-t-on jamais vu un général livrer ses batailles pour la justice ? Un de ces célèbres voleurs de territoires ou de ces exterminateurs d’hommes être obligé de rendre des comptes autrement que lorsque son entreprise avait échoué ? Je vous invite à réfléchir un peu aux rapports, j’allais dire à la parenté, qui existe entre l’idée de droit et l’idée de vengeance.
Quand et où, dans l’histoire, avez-vous vu des empires, des religions se fonder, des villes se bâtir, la civilisation se répandre à l’aide de la justice ? En connaissez-vous un exemple ? Moi, je n’en connais pas.
Où est le pilori qui fera expier le massacre de dix millions d’Indiens, l’empoisonnement par l’opium de cent millions de Chinois, ou l’esclavage auquel ont été réduits trois cent millions d’Hindous ? Qui a arrêté les navires bondés d’esclaves nègres qui, du seizième au dix-neuvième siècle, traversèrent l’océan d’Afrique en Amérique en longues caravanes ? Qui lève le petit doigt en faveur de centaines de milliers d’hommes qui s’usent dans les mines de cuivre du Brésil ? Où est le juge qui entreprendra de punir les pogroms de l’Ukraine ? Voulez-vous d’autres exemples ? J’en ai à votre disposition.
Vous allez me répondre que votre idéal moral le plus cher et le plus secret est justement de croire qu’il faut y remédier, qu’il faut réformer le monde ! Turlututu !.. On ne remédie à rien, on ne réforme rien. Je dis ‘’on’’, parce que les hommes ne peuvent rien. (pp. 591-592)
Quel livre a écrit Alain-Fournier ?