Ayant compris que cent mille ans relevait du défi impossible, l'industrie nucléaire, fort raisonnablement, a décidé de fixer ses objectifs en matière d'entreposage à dix mille ans, ce serait faisable. Dans dix mille ans, soit nous disposons de nouvelles technologies capables de manipuler les dérivés et de les reconditionner, soit on sera retombés à l'âge des ténèbres (pour ne pas dire qu'on aura été complètement exterminés) et alors on s'en foutra royalement.
N'empêche que dix mille ans c'est sacrément long à planifier. Les continents auront bougé de façon significative.
Il me regarde de nouveau comme s'il se prenait pour une espèce de grand inquisiteur au lieu d'être seulement ce qu'il est, à savoir une unité consumériste décervelée programmée par toute une vie de pubs et de manipulations médiatiques pour rester assis à gober des produits industriels aussi sûrement que si on l'avait collé mâchoires béantes au bout d'une chaîne de montage et harnaché directement au tapis roulant pour engouffrer un torrent sans fin de merdes sur-raffinées au fond de son gosier.
Metzger est visiblement un homme qui a décidé il y a longtemps qu'il n'allait pas s'en laisser conter par un monde qui n'a pas été organisé à ses dimensions. Je me demande si c'est pour ça qu'il est devenu physicien nucléaire ; parce que c'est un sujet qui représente une certaine victoire au niveau scalaire : le triomphe de l'infiniment petit sur l'infiniment grand.
Celle-là, c'est l'une de mes préférées : le projet "Têtes-de-l'Art". C'est une proposition pour faire quelque chose de tous les missiles intercontinentaux déclassés. Il s'agit de remplacer les têtes nucléaires par des sculptures. Comme ça, si on passe en DEFCON 1, au lieu de s'anéantir mutuellement, on s'envoie une déclaration de paix qui atterri un peu partout directement sur le territoire de l'ennemi ; ça laisse votre adversaire carrément perplexe.
On dit que Thomas Browne fut le dernier homme vivant à avoir lu tous les livres jamais écrits.
- Sans blague ? dis-je sans enthousiasme.
- Tu arrives à imaginer ça ? Tu arrives à imaginer ce que ça doit être, d'avoir ingurgité la totalité du savoir humain ?
Veronica avait été maltraitée par le Papa (qui était un des Parents). Elle avait des amis, aussi, mais seulement trois : Gentille Veronica, Méchante Veronica et Veronica-viens-ici-pour-ta-punition. Mais à la différence des amis du Ma, les Veronica étaient toutes très effrayées et il ne semblait pas y avoir une Veronica-Ma du tout. Emma aida les amies Veronica à se parler entre elles et très vite elles n'eurent plus peur et une Veronica-Ma émergea. Après ça, Veronica fut davantage comme les autres enfants, qui pour la plupart (sauf Crasseux, mais c'était un cas spécial) semblaient n'avoir que des Mas, même si certains Mas étaient plus forts que d'autres.
Le plus étrange chez Emma, c'est qu'elle ne parlait pas. Elle pouvait parler ; elle essayait des mots pour voir leur taille, comme s'il s'agissait de bagues, ou de chaussures, mais elle semblait rejeter la plupart d'entre eux dès que leur nouveauté s'estompait. Alors que les autres enfants se jetaient sur le langage dès qu'ils découvraient que c'était le meilleur moyen d'obtenir ce qu'ils voulaient. Emma ne semblait pas s'y intéresser. La population dans sa tête bavardait suffisamment comme ça et, en général, ce qu'ils attendaient d'elle était assez évident. Mais vu qu'elle n'attendait rien d'eux, elle ne voyait pas l'intérêt de parler.
Sa thèse ne traitait pas que de physique et de kabbale, de magie et de hasard. L'humanité était pourrie, écrivit-il, tragiquement endommagée, uniquement capable de se nourrir d'elle-même. La race humaine était un animal enragé qui se mutilait, pris de folie, et ses tentatives pour alléger son propre malheur ne faisaient que l'accroître. Seule une application directe et totale de la technologie pouvait dévoiler de nouvelles dimensions au potentiel humain et prévenir son autodestruction. L'Internet n'était que la première étape du processus [...]
... - la mort, quand elle viendrait, ne serait rien d'autre qu'un incident technique. Elle [Laïka] n'était plus un individu perdu dans l'espace, mais un facteur de changement traversant la datasphère.
Elle s'imaginait dans des films policiers, s'inventait des situations où elle était kidnappée, violée ou naufragée, puis sauvée par un Judd adulte (plutôt costaud). Ses fantasmes ne tenaient pas compte du fait que Judd était plus jeune qu'elle, mais une des choses que l'imagination apprend vite, c'est que le temps ne s'écoule pas en ligne droite ni n'émane d'un simple centre, mais évolue à différentes vitesses en différents endroits sans guère se préoccuper de la conscience, qu'il double et déroute régulièrement.