Dans les années 1880, les femmes se mettaient à mener une vie plus active, et le corset finit tout de même par se démoder. En France, ce fut le célèbre Paul Poiret qui engagea contre lui la bataille la plus efficace. " Je lui livrai la guerre, écrit'il. Le dernier représentant de ces appareils maudits s'appelait le Gache Sarraute. Certes j'ai toujours connu les femmes encombrées de leurs avantages et soucieuses de les dissimuler ou de les répartir, mais ce corset les classait en deux massifs distincts: d'un côté, le buste,, la gorge, les seins; de l'autre, le train arrière tout entier, de sorte que les femmes, divisées en deux lobes, avaient l'air de tirer une remorque;"
Mais, constatai-je, encore plus proche de moi que Cary, et encore plus effrayant, se tenait Stroheim. Il bondissait presque de jubilation en voyant son monde subitement devenu beaucoup plus simple. Ce gros con de Stroheim qui plus tard, soit dit en passant, partit faire une carrière de rien du tout à Hollywood. De fait, la MGM le prêtait généralement à la RKO, où il apparaissait de temps en temps dans des séries B de dixième ordre, avec son cou de taureau, son visage chevalin et plus un cheveu sur le caillou, fixant la caméra avec une aura digne de George Raft. Si vous vouliez un singe capable de s’asseoir à un endroit sans taper dans les meubles et rien de plus, c’était votre homme. Il était l’échelon juste au-dessus du singe empaillé, mais je dois bien lui reconnaître un talent : il respirait de manière tout à fait convaincante. Désolé, je digresse. Où en étais-je ? Ah oui : sur le point de me faire assassiner par un figurant. Je sentis les doigts de Stroheim m’attraper le bout des talons, puis réussir à m’agripper, avant de déraper sur une marée de feuilles glissantes. Je le retrouvai alors au-dessus de moi, puis, horreur, tout autour de moi, au moment où Cary, emporté par son élan, nous percuta dans sa chute. C’est donc dans une boule d’ennemis – une sorte de pelote entortillée comme celle des serpents – que je mourus et commençai à m’élever vers le paradis.
L'enthousiasme suscité par la mode anglaise s'était déjà fait sentir avant la Révolution mais l'anglomanie fut à son comble lorsque les privilèges aristocratiques furent abolis : l'Angleterre était considérée comme une terre de liberté - ce qu'elle était effectivement, par rapport à la France de l'Ancien Régime.
Alors que ma rage s’évaporait, je réalisai que pour la première fois sur la corniche, j’avais effectivement peur de quelque chose. Pas de Gately ou des léopards, ni des Gabonis ou de Mary le rhino, mais d’une hypothèse que j’avais réussi à enfouir pendant deux ans au fond de mon cerveau : que si Mayer ou Thalberg n’aimaient pas ce qu’ils voyaient, ou que si les spectateurs cessaient de croire en notre rêve, ou que si Maureen se montait contre moi, ou que si simplement je ne les faisais plus rire comme j’avais pu le faire dans « Tarzan et sa compagne », alors le centre de recherche serait toujours content de me reprendre, avec toute la clique des rebuts d’Hollywood. « Ah ouais, j’ai été une star. J’ai été très proche de Johnny Weissmüller. Mais travailler dans la médecine est plus gratifiant. » Ne l’oublie jamais, me disais-je : ce métier, c’est ta vie. Le temps peut bien passer mais la Mort, elle, ne se désintéressera jamais de toi.
L’amour a ses mystères, faut croire. Grâce à ces bonnes vieilles émissions de National Geographic et de Discovery préprogrammées dans le salon télé, j’ai enfin pu comprendre une chose ou deux qui m’avaient échappé jusqu’ici. À l’époque, je ne comprenais pas pourquoi les chaleurs de Maman suscitaient un tel cirque. Pourquoi nous était-il impossible d’aller tous les trois quelque part sans un sillage de mâles hurlants, les poils dressés comme de la limaille, avançant dressés sur deux pattes dans un délire de violence et d’insécurité ? Lorsque Maman s’accouplait avec Kirk, Cary, Lon, Archie, Stroheim, Spence, Mel ou Tom, nous profitions d’intermèdes relativement calmes, pouvant durer jusqu’à une dizaine de secondes. Mais le reste du temps, nous nous baladions dans une forêt de pénis saillants qui n’attendait qu’un regard mal placé pour s’enflammer. Nous nous déplacions sur la pointe des pieds à travers un terrain miné d’érections.
Je m'élançais à toute allure par la porte de la cage en grimpant au torse de Johnny, et lui décochai une salve de gros baisers. Ca pouvait semblait excessif mais je voulais que le gardien en prenne plein les yeux. C'était ça la différence, voyez-vous - là-dedans, je n'étais que Jiggs. Dans le monde réel, j'étais Cheeta. Sur le papier, j'étais Jiggs ; dans les bras de Johnny, je serai toujours Cheeta