James Sacré
...
À cause de ce qu'on aime, ou pas ― Le désir d'écrire
On sait qu'on va continuer d'écrire et des éléments pour un prochain livre sont déjà là, disponibles, pour donner forme à ce désir d'écrire. Plutôt matière que forme. Il y a cette guenille de mots, bouchonnée salie de mensonges et d'effarante maladresse, des cahiers et carnets qui ne savaient ou n'osaient pas dire, des essais de poèmes partagés sans vergogne avec des camarades, parfois un professeur, cahiers et carnets qui disent pourtant, qui surtout disent l'indigence et la misère d'un rapport au monde, aux autres, à soi-même.
Il y a ce qui avive cette misère : des visages, quelques livres, des arbres et beaucoup d'objets du monde qu'on n'a pas su aimer. On n'a pas su les accueillir ou les accompagner dans la vérité d'un désir ouvert et généreux.
Tout est là : cette guenille comme un vêtement souillé.
Et ce qui brille encore dans la vie du monde continué.
*
Un jour le désir d'écrire se trouve pris dans cet engrenage de misère et de merveilles. Le désir d'écrire sait-on vraiment ce que cela veut dire ? Écrire comment, sinon comme cela vient quand on commence ? Et pour aboutir à quoi ? on ne le sait jamais à l'avance. Entre penser dans le malaise à ma guenille et recevoir en mes sens et ma rêverie ce qu'on pourrait nommer la beauté du monde il faudrait quelque impulsion pour orienter ce désir d'écrire. Quelque chose comme un titre par exemple, un titre provisoire évidemment et même si à la fin du livre je le retiens je l'aurai ressenti comme provisoire jusqu'à ce moment-là. En attendant écrire aligne des mots. On ne sait pas si le désir y trouve de quoi s'apaiser ou de quoi durer dans plus ou moins de bonheur ou de frustration.
*
Je voudrais, regardant ces objets qui m'entourent / M'en aller comme Robert Marteau faisait / En sa forêt de Chizé ou pas loin / De quelques peupliers parisiens, s'en allait surtout / En ses quatorze vers quotidiens ...
M'en tenir à ce que sont ces objets / Touchant mes sens incertains, entendre / Ou ne pas entendre avec eux, dans les mots qu'ils me donnent / Une musique qui serait celle du monde.
*
L'idée qui m'est venue (en fait un désir plutôt qu'une idée) de mettre ensemble de petits textes à propos d'une guenille qui m'encombre et des poèmes tirant leur matière d'objets qui font agréablement vivre : je ne sais pas très bien en quel livre cela pourrait emmener.
Une poterie, un tissage, un panier comportant un dessin dans son tressage, n'ont rien à voir avec de premiers poèmes qui ne sont que de brouillons essais d'écriture, avec des cahiers et carnets qui n'ont jamais su être un journal, leur non-écriture engluée dans la mouscaille des propos tenus, dans une misère inquiète de mal savoir dire des sentiments ... des pages de rien autour d'un misérable « je » qui n'ose pas (qui ne veut pas ?) reconnaître ce qu'il y a de mensonge dans son désir de vérité, et dans celui de vivre aussi bien.
À côté les objets semblent dire leur tranquille solidité, leur beauté ou leur utilité ; et même cassés, déchirés (ce peu de dentelle par exemple pris en quelques brins d'épine ramené d'un village marocain) leurs tessons et débris sont encore du vrai et de la beauté.
*
D'aller fouiller dans ma guenille, à la fois / C'est plaisir d'entendre en mon présent / Comme un bruit du temps passé, en même temps / Malaise d'avoir pas su dire : rien d'écrit / Dans ma guenille il y a / Le mensonge et la vérité d'un désir / Une affaire impossible, de la difficulté / Avec le verbe aimer ...
Dans un poème il n'y a plus / ni mensonges ni vérités, que des formes d'un langage / Données par un vécu compliqué, écrire / C'est comme laver des guenilles.
*
Le seul désir d'aimer dit ton poème, / Alors que tu sais et ne sais pas / Ce qu'il y a d'autre / Dans le mot désir.
― inédit
+ Lire la suite