LES ILES
En mettant la nuit à l'envers
contre notre désir contre notre blessure
sous le ciel étoilé nous déshabillons le noir
Et même si le continent de notre espoir
devait être submergé
et que tout allait disparaître de même qu'un peu de vous
ne désespérons guère
De la mer du temps après nous émergeront
de nouvelles îles pour de nouveaux naufragés.
Trinquons à la santé
et buvons en silence.
Nous ne dirons jamais
Ce que le vin sait de nous.
Une étoile filera.
Fine comme une lamelle.
Et l’eau auprès des ponts
sera toute argentée.
« Le toast » (p.18)
En mettant la nuit à l’envers
contre notre désir contre notre blessure
sous le ciel étoilé nous déshabillons le noir
Et même si le continent de notre espoir
devait être submergé
et que tout allait disparaître de même qu’un peu de vous
ne désespérons guère
De la mer du temps après nous émergeront
de nouvelles îles pour de nouveaux naufragés.
-Les îles- « Ce que le vin sait de nous »
Poème qui refuse d'avoir un titre
Les enfants avec leurs hameçons retournent au village
portant un poisson dans un mouchoir noué.
Il vit toujours,
remue lentement ses branchies sous la toile humide
et se couvre de glaire.
Dieu a permis
et livré le poisson aux enfants comme le secret des profondeurs
et comme un bijou muet, presque une rançon
de tout ce qu'il nous cache.
En vérité, cependant, c'est là, faite d'argent froid, une clé
de toutes les maisons
qu'il fait exprès de construire sans portes pour nous.
Les enfants n'en savent rien ; fiers, ils emportent leur proie
par un chemin blanc bordé de chardons.
Le ciel s'est couvert
et il pleut, on dirait avec une tendresse menue-monotone.
La neige fait son lit
La neige aime les statues et ses plumes blanchâtres
Lors de leur chute se reposent dessus.
Sur les têtes des saints,
sur les revers des généraux
sur les poitrines de bronze ou de grès.
là partout la neige fait son lit.
Je veux l’entendre
Au fond de chaque chanson
même la plus triste
au fond de chaque verre
quelque chose sonne doucement.
Une fois plus fort
Une autre fois à peine.
Je veux l’entendre.
Dieu sait ce qui me pousse
à attendre que vienne ce son,
sinon j’aurais la peur au cœur.
Le temps
Si l’angoisse de l’herbe des steppes se calmait
si le vent perdait la voix si l’eau ne trouvait plus où se jeter
si la pierre avait pitié si la lumière s’éteignait dans le ciel
et si l’homme tournait le dos au mal
alors incassable paraîtrait la cruche
qui tant va à l’eau
que
zut, aide-moi
à ramasser les morceaux le temps est éternel
et tout ce qui a été créé l’a été pour nous à partir de nous
la peur la douleur l’herbe des steppes la mort et ton amour
Les statues et la neige
Extrait 1
La neige aime les statues et ses plumes blanchâtres
[…]
Sur les vieilles places où, minuit passé,
tu n'entends battre que ton propre cœur,
sur le nez romain de Charles de Zerotin
partout un ange se dresse au-dessus d'une rampe
sur les torses sublimes
la neige ne fond pas.
Te souviens-tu, un soir assombri comme au crayon
de toutes ces lignes, de fils traversant le ciel et de boue,
la première neige tombait et fondait sur tes cheveux
mais elle s'obstinait sur les statues.
Les statues et la neige
Extrait 2
Les vieux messieurs auraient tout rendu
les médailles de leurs manteaux
l'or des auréoles
et les sculpteurs auraient donné tout
même leur béret français pour que
sur les seins de Vénus sous l'arcade
durs comme de la pierre
une seule veine, gorgée de sang
devienne bleue sous le bronze
et de son front chaud et de sa joue brûlante
une première goutte,
une deuxième, une troisième, puis une cinquième...
Les anges
Si je vous livre tous mes diables
mes anges s’en iront avec eux
Je resterai seul et je le regretterai
et je me demanderai où est l’espérance
et en vain pour moi aux clochers en ruine
sonneront les cloches
Les neiges, les neiges vertes ne tomberont plus
les anges blancs ne reviendront plus.