Il rassembla ses forces. « T’es la meilleure baiseuse que j’aie jamais connue. »
Elle sentit quelque chose lui marteler les côtes et la meurtrir. Elle aurait voulu lui demander s’il l’aimait, mais à quoi bon lui poser des questions dans une langue qu’il ne parlait pas ? Il faudrait qu’elle apprenne à se contenter de « baiser » pour « aimer ».
Tu es censé être mon père. Pendant deux ans, je ne t’ai vu qu’un dimanche sur deux, avec le droit de t’embrasser pour dire bonjour ou au revoir comme si j’avais été une vieille tante. S’il n’avait tenu qu’à toi, je ne t’aurais pas vu du tout, tu le sais très bien. On aurait dit que je t’encombrais. Quand je n’ai plus pu supporter de vivre avec Nick et maman, je t’ai demandé si je pouvais venir vivre avec toi. J’ai supplié mon père de me laisser venir vivre chez lui pour m’entendre répondre que, ma foi, il ne savait pas trop. Si je suis ici, c’est parce que je me suis enfuie de la maison et que je me suis fait ramasser par la police. Tu viens de me dire que si je ne faisais pas comme tu l’entendais, c’est que j’étais une chatte en chaleur, et que, dans ces conditions, tu ne voulais plus me voir. Et, en plus, tu me dis que maman se fiche complètement de moi. Si toi tu t’en fiches aussi, alors qu’est-ce qui me reste ?
« C’est bien fait pour toi, tu n’avais qu’à pas regarder, répliqua-t-il sans la moindre trace de gêne. De toute façon, tu sais foutrement bien comment on s’est arrangés, Em et moi. Ce qu’elle veut, c’est un baiseur à demeure. »
Olivia se dit que sa mère n’aurait pas formulé les choses ainsi, et n’aurait pas été ravie de l’entendre choisir, lui, une pareille expression. Elle imagina sa mère en train de présenter Nick à ses amis non pas comme son ami, son amant, son partenaire, son concubin ou comme son n’importe quoi d’autre dès l’instant où le qualificatif resterait acceptable, mais pas comme son baiseur à demeure. Plus honnête, mais impensable.
« Tu n’es pas censé être ici.
— Je vais où bon me semble, bordel. Les rues de Londres n’appartiennent pas à ton père.
— Mais j’ai donné ma parole de ne pas te voir.
— T’as qu’à fermer les yeux. T’as faim ? »
Mais aujourd'hui ce n'était plus les enfants qui quittaient la maison, c'était les parents.
Tous les enfants savent qu'il n'y a pas d'autre endroit où combattre les démons nocturnes que le lit de ses parents.
Elle était soulagée en même temps que désespérée. Si elle avait été plus jeune, elle aurait fait toute une histoire, elle aurait obligé sa mère à se lever et à se conduire comme une mère. Mais elle avait passé l'âge de ce genre de choses ; elle était censée tout savoir des adultes, comprendre que les parents font bel et bien entre eux ce qu'on vous raconte en cours de biologie. Comprendre n’arrangeait rien d'ailleurs. L'affaire n'en était pas moins répugnante, le sentiment de trahison n'en était pas moins grand.
Nick l'avait isolée du reste du monde. A son contact, elle avait contracté une sorte de lèpre, morale sinon physique, contre laquelle le Martien qu'il était était immunisé.
Ne se sentant plus bercé par le mouvement du landau, Matthew se réveilla et protesta contre cette immobilité soudaine. Ses protestations se firent plus véhémentes encore quand Megan s’avisa de secouer le landau sur place : il ne fallait quand même pas le prendre pour un imbécile.
En fait les hommes s’accrochent vachement plus que les femmes. Si bien qu’ils se fichent pas mal de se faire jeter neuf fois sur dix, du moment qu’ils arrivent à leurs fins la dixième.