Rencontre avec Claude Javeau (sociologue) dans le cadre de la semaine de la pop philosophie, le 15 octobre 2013 à la Bellone - Maison du spectacle à Bruxelles.
Ce qui meut les hommes et les femmes est de l'ordre de la passion , du pathos, même dans les péripéties les plus anodines de leur vie quotidienne. Certes, il leur est loisible d'introduire de la rationalité dans leurs conduites. Mais très souvent les buts ultimes qu'ils s'assignent sont marqués du sceau d'une certaine irrationalité (gagner beaucoup d'argent, conquérir le pouvoir, se faire aimer d'une femme ou d'un homme en apparence inaccessibles) qui n'est sans doute jamais complète, mais qui doit céder une part déterminante à la passion. C'est cette passion qui nous pousse à vivre, à surmonter les obstacles, car la rationalité, face à un monde dont l'absurdité semble essentielle, commanderait que l'on cesse de faire comme si la mort n'était pas l'issue imposée à tout un chacun.
Souvenons-nous quand même de grands écrivains dont les apports à la description sociologique valent plus qu'un coup de chapeau: Balzac, Dickens, Proust, Joyce, Döblin, ou encore Simenon. L' "oeil sociologique" n'est pas réservé aux seuls sociologues.
La vie quotidienne est le lieu d'élection par excellence de la conduite morale, respectant un code de pratiques marquées du sceau de l'honneur, sous peine de ne pas être à même de mener à bien tant les interactions les plus courantes que celles qui sortent de l'ordinaire. L'absence de constance morale met en péril l'existence du lien social.
Ainsi des gens qui se déplacent en grand nombre pour se rendre à leur lieu de travail en transport en commun. On a alors affaire au phénomène que Goffman appelle l'inattention civile. Celle-ci se caractérise par des modes élaborés d'évitement du regard d'autrui, ce qui garantit l'anonymat propre à la vie urbaine. Le refus de relation humaine équivaut au refus du sentiment de responsabilité tel qu'on peut éprouver lorsqu'on se préoccupe du bien-être des autres. Cette responsabilité est morale aussi longtemps qu'elle est dépourvue d'égoïsme et qu'elle est inconditionnelle.
Le détournement des traditions, la réécriture des histoires, depuis celle des familles jusqu'à celle des nations, la manipulation des constatations objectives au sujet de l'un ou l'autre phénomène collectif, entre autres, procèdent du même constant recours à la falsification et à la ruse: « Nous sommes à chaque fois en présence d'une civilisation de quasi-faussaires en proie à de très bonnes consciences. », écrit Jean Guiart à propos des sociétés étudiées par les ethnologues.
Sous les falsifications institutionnelles, on trouve la duplicité inhérente à tous les comportements individuels. La vie quotidienne, vue sous un certain angle, est un tissu de mensonges.
La plupart de ces mensonges, toutefois, se trouvent justifiés par ceux qui les profèrent par les rationalisations, au sens psychologique du terme, qu'élaborent les agents pour se justifier tant aux yeux des autres qu'à leurs propres yeux. Ce que Raymond Boudon a appelé les "bonnes raisons" figure parmi les compétences des acteurs du quotidien, qui y ont recours pour maintenir le cap sur la bonne fin de leurs projets et être capables de continuer à jouer les jeux sociaux dans un environnement où la trahison est chose aussi courante que la fidélité.
Il n'est écrit nulle part que le monde des intellectuels est prémuni contre le charlatanisme (l'auteur parle de BHL, d'Alain Minc et d'autres).
La statistique constitue la version scientifique du mensonge.