
Favoriser une réaction en s’y opposant
Il faut rattacher à cette technique la manière dont Erickson s’arrange pour décider un mari, jusque-là hostile à coopérer, à se soumettre "spontanément" à un traitement en même temps que sa femme. Si le mari refuse d’assister aux séances, Erickson voit l’épouse seule. Au cours de chaque entretien, il mentionne un fait avec lequel il sait que le mari sera en désaccord, et il dit : "Je suppose que votre mari sera d’accord avec cela », ou bien : « Je ne suis pas sûr que votre mari comprenne cela." Tenu au courant par sa femme de l’incompréhension que manifeste le médecin à son encontre, le mari va faire usage de son libre arbitre et demandera avec insistance à sa femme de lui prendre un rendez-vous pour mettre les choses au point avec Erickson – et ce faisant, le voilà mûr pour la thérapie !
C’est un trait distinctif du travail qu’effectue Erickson en hypnose que de chercher à obtenir une réaction minime ; ensuite, il s’en sert comme base de travail et amplifie cette réaction jusqu’à ce que l’objectif visé soit atteint.
Eviter l’introspection
Autant Erickson est porté à entreprendre un travail destiné à modifier une relation, autant il est peu enclin à concentrer son énergie pour aider les gens à comprendre pourquoi ou comment les rapports qu’ils entretiennent ne sont pas satisfaisants. Ce qui apparaît fondamental dans son approche thérapeutique, c’est l’absence d’interprétation de ce que l’on suppose être les causes du comportement. Son style de thérapie ne repose pas sur l’investigation des processus de l’inconscient, il ne consiste pas à aider les gens à comprendre leurs difficultés de relations interpersonnelles, il n’y a pas d’interprétations de transfert, pas d’examen des motivations des gens, pas même de reconditionnement. Sa théorie du changement est plus complexe ; elle repose sur l’impact interpersonnel du thérapeute sans que le patient en prenne conscience, elle inclut l’attribution de consignes qui amènent un changement de comportement, et elle insiste sur la communication métaphorique.
Deux exemples de cas pratiques extraits du livre :
" Le problème en question était celui d’une fille de 14 ans qui imaginait qu’elle avait des pieds beaucoup trop grands. En l’espace de 3 mois elle s’était mise à mener une existence de plus en plus retirée, et elle refusait d’aller à l’école…. Elle ne voulait pas qu’on aborde le sujet de ses pieds. Sa mère et moi, nous convînmes que je me rendrais à leur domicile sous un prétexte quelconque. Nous dirions à la jeune fille que je venais examiner sa mère pour voir si elle avait attrapé la grippe…
Pendant que je finissais d’examiner sa mère, je fis en sorte que la jeune fille se trouve placée juste derrière moi. J’étais assis sur le lit et je parlais à la mère, puis je me levai lentement et avec précaution. En reculant maladroitement, je posai mon talon en plein sur les orteils de la jeune fille. Celle-ci, bien sûr, poussa un hurlement de douleur. Je me retournai et lui dis d’un ton absolument furieux : " Si seulement vos pieds étaient assez grands pour qu’on les voie, je n’aurais pas marché dessus ! " La jeune fille me regarda d’un air perplexe pendant que je rédigeais l’ordonnance et que je téléphonais à la pharmacie. Ce jour-là, elle demanda à sa mère si elle pouvait aller au cinéma, ce qui ne lui était pas arrivé depuis des mois. Elle retourna en classe…"
" Une jeune femme vint me voir car elle s’inquiétait beaucoup au sujet de ses parents. Elle avait un père et une mère qui faisaient preuve d’une sollicitude et d’une possessivité vraiment exagérée. Ce qui tracassait le plus ma patiente, c’était que ses parents, en guise de cadeau pour l’obtention de son diplôme de fin d’études secondaires, lui avaient offert entre autres choses la construction d’un certain nombre de pièces qu’il firent ajouter à leur maison afin que, lorsqu’elle se marierait, elle pût habiter là. Ma patiente disait qu’elle ne savait que faire à propos de ces pièces ajoutées à la maison : en effet, ils attendaient d’elle qu’elle s’installât à leurs côtés, et elle ne le souhaitait pas. Dire qu’ils avaient investi tout cet argent, et qu’ils montraient tant de gentillesse ! La jeune fille avait le sentiment d’être piégée par ses parents ; elle ne parviendrait jamais à devenir indépendante même si elle se mariait.
Je vis les parents ensemble, et nous eûmes une série de conversations agréables. Je les félicitai de la sollicitude qu’ils manifestaient envers leur fille et du souci qu’ils avaient de son bien-être. Ils avaient prévu l’avenir de leur fille, c’est pourquoi j’évoquai le moment où elle tomberait amoureuse, ses fiançailles, son mariage, sa grossesse, et la naissance de l’enfant. J’insistai sur le fait qu’ils étaient disposés, bien davantage que d’autres parents, à accepter les conséquences de ces futurs événements. La plupart des parents, lorsque leur fille est élevée, estiment que leur tâche est achevée, mais eux, ils pouvaient envisager de poursuivre leurs efforts. Comme leur fille habiterait vraiment à côté d’eux, dans cette partie ajoutée de leur maison, ils pourraient lui rendre d’innombrables services lorsqu’elle aurait un enfant. Ils seraient disponibles à n’importe quel moment pour garder le bébé, contrairement à beaucoup de parents qui n’appréciaient pas cette contrainte. Le bébé pleurerait peut-être pendant la nuit, mais bien entendu, ils avaient fait insonoriser les murs des pièces supplémentaires ? Il se révéla qu’ils n’en avaient rien fait. Aussi les félicitai-je d’être prêts à affronter à nouveau les problèmes qu’ils avaient déjà eus lorsqu’ils étaient jeunes au temps où leur fille était elle-même un bébé. Puis nous avons parlé du moment où leur petit-fils ou leur petite-fille commencerait à marcher ; évidemment, comme l’enfant habiterait vraiment sur place, il ne cesserait d’entrer chez eux et d’en sortir. Nous nous rappelâmes ce que c’était que d’avoir un petit enfant qui commence juste à marcher et qui va partout : il faut mettre hors de sa portée tous les objets qu’il pourrait casser ; en fait, cela force à tout réarranger dans la maison. Tous les grands parents ne seraient pas disposés comme eux l’étaient à sacrifier leur façon de vivre.
Les parents commencèrent à éprouver quelques doutes et à se demander s’ils souhaiteraient vraiment que leur fille s’installe aussi près d’eux….