La guerre était finie. Mais là, durant des mois, des années, après chaque attaque imbécile et meurtrière ordonnée de loin par le Boucher des Hurlus, on avait pu entendre hurler, non pas les loups, mais les hommes dans leur agonie entre les lignes, d’où personne ne pouvait les relever.
Elle avait raccroché, et la tonalité revint, bête, mécanique, et stupide comme un service public.
Il était bien évident que les redoutables galapias des Renseignements Généraux n'étaient que sinistres bousilleurs, pour le corps d'élite de la police judiciaire. Les éthiques étaient totalement contradictoires. Les péjistes se sentaient vraiment les anges blancs du ring, fins redresseurs de tort contre les sagouins vicelards de toutes les sûretés d'Etat, affreux malfrats sournoisement chattemiteux auprès d'un Pouvoir politique aussi guignol et vociférant qu'un arbitre de catch. A dégueuler!
Ce salaud de printemps il m'avait réveillé une belle maladie, nom de Dieu. J'étais plus assez, avec moi seul, j'en avais marre de moi, j'en avais fait le tour
- Ah ! Duflan...lançait Henri, enthousiaste.
- Vous l'aimez ?
- Ah ! là là ! Un génie magnifique !
- Vous l'avez lu son dernier roman ?
- Possible, je ne sais pas , je ne me rappelle pas beaucoup ce que j'ai pu lire de lui, mais c'est admirable, pérorait Henri, formidable !
Préface
(...)
Cela , c'est la version officielle, forcément optimiste. Mais dès les premières pages de ce roman, Meckert évoque de manière bouleversante le drame de tous les départs au combat, celui de toutes ces jeunesses brisées par des conflits et des enjeux qui les dépassent. " Par wagons, par centaines de milliers de wagons à bestiaux,le monde partait ainsi en guerre. Et les nouveaux soldats partout dormaient, chantaient, vomissaient, ou pleuraient dans la guerre qui pointait. Partout tragique, puni contre sa destinée , sans vouloir et savoir, on partait innocent. On fabriquait la foudre, on avait tout en nous, on votait pour la paix, on payait pour la guerre. Partout les innocents, enfournés par wagons, roulaient dans les nuits calmes.Et ceux qui pleuraient le faisaient en silence"
Stenéfanie Delestré
Hervé Delouche
La sainte horreur du Flic! Peut-être du fait d'habiter le haut de Ménilmontant, ancien réduit des Communards? Rien de tel pour déverrouiller les idées.

En arrivant à la place des Rigoles, où un autre cinéma faisait donner sa sonnette à petits ressauts, il avait laissé sur sa droite l’école de la rue Levert. Sûr qu’il n’allait pas au cours du soir ! Il avait pris la rue des Pyrénées, large comme une avenue, bordée d’arbres, mais sombre et triste après la fermeture des boutiques.
Il n’y faisait d’ailleurs pas attention. Il pensait plutôt à la façon dont il conduirait sa soirée, puisque c’était quand même lui le bonhomme, dans l’histoire. Il lui poussait une émotion qui lui gênait la démarche. Il se sentait tout viril et ferme, avec aussi la grande inquiétude du petit puceau qu’il était. Est-ce qu’il n’aurait pas l’air trop nouille ? Est-ce que la grosse Margot n’allait pas tout de suite subodorer le petit débutant ?
Au fond, il s’en moquait. Il avait même le vilain coup réfrigérant en pensant que Marguerite avait facilement le double de son âge, et que c’était peut-être bien elle qui faisait la bonne affaire. Mais, après tout, elle n’était pas déplaisante, cette grosse femme avec ses tétons un peu écroulés qui lui balconnaient l’estomac et ses mollets dodus qu’on lui voyait jusqu’au jarret quand elle se baissait, parfois, à l’atelier. C’était du bon article pour petit débutant ; la quarantaine sanguine et enveloppée ; pas de complications.
À choisir, bien sûr qu’il aurait mieux aimé Germaine, du bobinage, pour lui faire son éducation. Elle était autrement jeune, plus fine, avec un fessier à vagues, une poitrine pointeuse et des yeux directs. Seulement c’était une sacrée salope, tout le monde était bien d’accord.
Étienne se demandait un peu ce qu’il allait faire de son carton à dessin. Il n’était pas question de trimbaler ça chez la mère Pillot ; ça ne se faisait pas. Il fallait le mettre en consigne dans un café, pour le reprendre en sortant. Mais est-ce que le troquet serait encore ouvert, quand il aurait terminé ses ébats avec Marguerite ?
Quiconque arrive au pouvoir ne songe plus qu'à consolider sa position; c'est un fait reconnu. Sous prétexte de réalisme, il fait appel aux habiles et compose avec les puissants, suivant le précepte de la fin qui justifie les moyens... C'est ainsi qu'à vivre au milieu des loups, le plus sincère militant devenu ministre, ou conseiller (...) gagne vite en force ce qu'il perd en pénétration, perd vite en générosité ce qu'il gagne en subtilité. Il se transforme doucement en machine de guerre, c'est inéluctable. Il perd ainsi rapidement le contact avec la réalité nébuleuse et vivante du commun. Il devient bourgeois, avec un équilibre, une doctrine, des slogans et des sorties de secours (...).

Spécialisé jusqu'ici dans le "noir", John Amila publie chez Gallimard ("Rayon Fantastique") son premier roman de science-fiction, "Le 9 de pique", qui, malgré une chute "antichute" finale probablement unique dans les annales du genre (tout l'esprit du roman se trouve, en quelques lignes, modifié, bouleversé, anéanti), mérite votre attention.
Voici, d'ailleurs, ses grandes lignes, que j'extrais de la "prière d'insérer" :
- Circulant entre les planètes à des vitesses supra-lumineuses, les hommes observent toujours, lors de la réintégration dans l'espace-temps ordinaire, une forme colossale et vague ressemblant à un neuf de pique.
Un couple d'astronautes, fraîchement épris l'un de l'autre, est expédié aux limites de la Galaxie, pour des essais de vol intergalactique.
Obsédés par le problème du neuf de pique, ils finissent par conclure à une "conscience" de la Galaxie, considérée comme un colossal être vivant.
Cet être fabuleux existe-t-il vraiment ?
On devine la façon dont l'auteur a pu exploiter son sujet ; et il faut convenir que, pour ses débuts dans la SF, Amila a fait aussi bien qu'un vétéran chevronné du genre, dosant à parts égales le côté "Space Opéra" et le côté philosophique.
Mais que dire de sa fin, que je ne puis vous révéler, et qui, bien que drôle et inattendue, démolit le reste ? On se demande si on doit en rire ou se fâcher....
(article de "Ici, on désintègre - la revue des livres" signé par Alain Dorémieux et extrait du numéro 42 de "Fiction" paru en mai 1957)