En ce haut entourage, Kriemhild eut un songe : elle élevait un faucon superbe et farouche que sous ses yeux contraints déchirèrent deux aigles ! Rien au monde ne pouvait la blesser davantage. Elle conta ce songe à sa mère Ute. Elle n'aurait pu le mieux tirer au clair pour sa chère fille : "Le faucon que tu élèves est un noble homme. Si Dieu ne le veut garder, tu devras l'avoir bientôt perdu."
"Que me parlez-vous d'un homme, ma chère mère ? Je ne veux de ma vie être aimée d'un preux. Je veux jusqu'à ma mort rester telle que je suis afin de n'encourir de deuil forcé par l'amour d'un homme."
"Ne t'engage pas trop", répondit alors sa mère. "Si tu dois un jour être heureuse au monde en ton coeur, cela se fera par l'amour d'un homme. Tu deviendras une belle femme, et que Dieu t'accorde à un chevalier de bonne étoffe."
"Laissons là ce propos", dit-elle. "Madame ! Bien des femmes ont montré bien souvent qu'amour enfin se peut payer de douleur ; je pense fuir l'un et l'autre ; ainsi jamais ne m'écherra malheur."
Kriemhild, en son esprit, se préservait de l'amour ; la bonne jeune fille vécut encore maint jour heureux sans connaître personne qu'elle voulût aimer ; par la suite elle devint l'épouse d'un très hardi champion. Ce fut ce même faucon qu'elle vit dans un songe que sa mère lui interpréta. Enorme fut la vengeance qu'elle tira de ses proches après qu'ils l'eurent tué. Un seul était mort, maint braves en moururent.