Le petit Arménien de JeanBaptiste Baronian - Interview par Willy Lefèvre
" Toute rencontre fortuite est un rendez-vous. "
Jorge Luis Borges
(page 111).
Brel
Dans ma vie, j'ai eu la chance d'assister à quatre récitals de Jacques Brel et, chaque fois,j'ai éprouvé des frissons, un profond choc émotionnel. J'en ai noté les dates dans un petit cahier toilé: le 5 février 1961 et 27 mars 1962 à l'Ancienne Belgique, rue des Pierres, à Bruxelles; le 23 juillet 1963 au grand casino de Knokke (j'y étais avec ma sainte mère); et le 15 novembre 1966 à son spectacle d'adieu à Bruxelles...etc...etc...
- Quelle honte ! A peine un carré, un mouchoir... Audiard méritait quand même autre chose...Un Boulevard, une avenue ! Très pointilleux sur le chapitre de la toponymie, Petit-Colbert. Il ne supportait pas qu'un salopard ait son boulevard, une morue son avenue, un empaffé son allée... A contrario, il s'offusquait lorsqu'on collait une épée dans une impasse ou un cador dans un cul-de-sac.
Il vous faut donc, pour bien représenter l’œuvre, entrer dans la peau de l’être créé, vous pénétrer profondément des sentiments qu’il exprime, et les si bien sentir, qu’il vous semble que ce soit votre œuvre propre.
Tous ceux qui ont réfléchi sur leur propre vie, qui ont souvent porté leurs regards en arrière pour comparer leur passé avec leur présent, tous ceux qui ont pris l’habitude de psychologiser facilement sur eux-mêmes, savent quelle part immense l’adolescence tient dans le génie définitif d’un homme. C’est alors que les objets enfoncent profondément leurs empreintes dans l’esprit tendre et facile ; c’est alors que les couleurs sont voyantes, et que les sons parlent une langue mystérieuse. Le caractère, le génie, le style d’un homme est formé par les circonstances en apparence vulgaires de sa première jeunesse.
La sensation de l'index, c'est majeur dans la vie. Ce doigt sert à se gratter la tête à la recherche d'une idée pour séduire une femme... à deviner les courbes d'une femme dans l'obscurité... à taire la bouche de son amour pour demander pardon... à désigner la femme de sa vie !
En 34, Couéchard, à la dérive, pistonné par un collaborateur de Chiappe, un sous-fifre des bureaux, entrait dans la police. A 28 ans. La brigade criminelle. Adieu le cinoche ! Un crève-cœur, pour lui. Et la honte ! La rage ! Une rage folle de se voir flic, fonctionnaire, avec le futal rayé, la gabardine, le melon et les écrase-merde, tenue des poulets en civil à l'époque, alors que son rêve le plus cher avait été de devenir un Boris Karloff ou un Lon Chaney !
A présent que vous venez d'atteindre les quarante-cinq ans, il vous faut faire preuve de civisme et laisser la place aux jeu-eû-eû-nes.
Mon père s’inquète de savoir si, par hasard, le père Toussaint et M. Radoux ne seraient pas xénophobes.
Nectar lui demande d’expliquer ce terme, qu’elle juge barbare et qu’elle n’a jamais entendu. Moi non plus, je ne l’ai jamais entendu.
L’explication de mon père me laisse songeur. Si je comprends bien, nous, les Sarian, nous serions tous des étrangers.
Maman, mon père et ma grand-mère ont fui les massacres des Armeiens en Turquie pour venir vivre en Belgique, où ils seraient, depuis de leur arrivée à Anvers dans les années 1930, considérés comme des réfugiés politiques. Ils n’auraient pas la nationalité belge. Ils n’auraient, du reste, aucune nationalité du tout. Ils seraient sans-patrie.
Apatrides.
Je le serais également.
De la boîte à gants de la voiture, j’ai sorti un compact des Quatre derniers lieders de Richard Strauss. La version d’Elisabeth Schwartzkopf avec le Philarmonia Orchestra dirigée par Otto Àckermann. La meilleure selon moi. Oû avais-je lu un jour à ce sujet que cette version était “définitive” et qu’il s’agissait là d’un disque pour l’éternité?
Le temps s’est tout à coup figé. Je roulais au pas mais je ne m’en rendais pas compte. Et je n’entendais même plus le vacarme des voitures, les millions, les milliards de bruits de la ville.