Il ose une croissance à 6 chiffres sur 8 ans.
Le problème n’a pas été moral, mais pratique, continua Lucie. Les résultats des expériences se sont avérés catastrophiques. Non sans effroi, les chercheurs ont constaté que les enfants élevés sans contacts humains développaient des traumatismes psychologiques graves. En grandissant, la plupart se sont révélés psychotiques et ont dû passer le reste de leur vie sous camisole chimique. Pour des raisons éthiques évidentes, ces expériences désastreuses ont été bannies avant qu’elles ne fassent davantage de dégâts.
- J’avoue que j’aime bien l’idée que la machine ne pourra jamais complètement remplacer l’humain, souligna Jenna.
Comme la plupart des passagers qui quittaient la Terre pour la première fois, elle (Mélissa) avait été prise d’un violent mal de l’espace qui l’avait indisposée pendant tout le trajet. De quoi lui gâcher complètement son stage en apesanteur. Lucie l’avait alors réconfortée d’un café épicé et de quelques paroles chaleureuses. Elle avait souvent entendu les touristes se plaindre de l’inconfort du voyage sur la Lune, au regard du prix exorbitant dont ils devaient s’acquitter. Mais, compte tenu des énormes contraintes de sécurité, il était difficile pour la compagnie de faire beaucoup mieux.
la doyenne les avait quittés, et, avec elle, c’était une partie de la mission Columbus qui disparaissait. Ils avaient tous naïvement pensé que leur vraie vie allait débuter en posant le pied sur le sable de Kanuta, mais c’était un leurre. Jusque là, cette planète n’avait été que le prolongement du vaisseau, une pièce en plus qu’ils avaient découverte un matin en poussant une porte dérobée. Leur nouvelle vie venait seulement de débuter, avec le glissement de terrain, les problèmes alimentaires et, maintenant, l’irruption de la mort.
Qu’attendait-elle finalement de cette Terre promise ? Entre le vaisseau et Kanuta, qu’y avait-il de si différent ? Pour Yuko, l’aventure avait tenu du miracle. Certes, le programme avait envisagé la faible possibilité qu’une Terrienne foule le sol de la planète, et Yuko pouvait mourir avec la satisfaction d’avoir vécu l’improbable. Avoir partagé l’émotion des premiers pas sur le sable ocre, avec un vrai bruit de crissements sous les pieds et la poussière qui se collait sur leurs vêtements, celle de la première nuit si froide qu’ils en avaient tous longtemps conservé le souvenir frissonnant, tous ces moments, Yuko les avait reçus en récompense de l’abnégation de leurs glorieuses aînées disparues dans la nuit de l’espace interstellaire.
Pour remédier au syndrome de l’enfermement de l’équipage, il n’était pas surprenant que l’Agence ait investi dans le nec plus ultra de l’immersion sensorielle. Voilà qui était plutôt prometteur. Elle se voyait déjà se livrer à de furieuses sessions de ski de descente. Ce sport était l’exemple favori de Bocquet lorsqu’il voulait plaider les bienfaits de la modernité. Il lui avait expliqué qu’en 2160 les écologistes avaient réussi à faire fermer les dernières stations de haute altitude. Il faut dire que cela faisait déjà des décennies qu’elles ne fonctionnaient plus que grâce à de la neige artificielle, et maintenir ces coûteuses installations était devenu une totale aberration.
On a chacun cette capacité intuitive de reconnaître que quelque chose est intrinsèquement vrai, même quand on ne sait pas le démontrer.
Pour vivre l’expérience ultra-réaliste du Full Life, Lucie enfila une combinaison spéciale munie de senseurs qui couvraient ses mains et tous les points névralgiques de son corps. Cette seconde peau lui faisait ressentir n’importe quelle texture, ainsi que le froid et le chaud. Elle pouvait réellement serrer la main de son interlocuteur sans faire la différence avec une vraie poignée de main. Ce qui parachevait la sensation de réalité du Full Life, c’était le puissant générateur d’odeurs en prise directe avec son cerveau. Pour se mouvoir dans l’espace, le sol de la pièce était équipé d’un tapis malléable multicouche. En déformant en temps réel le terrain sous ses pieds, Lucie pouvait marcher, courir ou sauter en toute liberté sans s’apercevoir qu’elle demeurait tout le temps dans le carré de trois mètres de côté que formait la cabine.
Les humains se bercent d'illusions en pensant qu'ils ont toujours le contrôle de leurs inventions.
Le genre est en effet de plus en plus perçu comme une construction sociale qui enferme dans des stéréotypes parfois réducteurs. Les individus revendiquent de pouvoir choisir librement leur identité de genre...
On peut néanmoins compter sur l'industrie d'armement pour produire à l'avenir de petits gadgets létaux toujours plus vicieux. La limite viendra de l'opinion publique, certes manipulable, mais qui aspire profondément à la paix. D'ailleurs, dans tous les pays développés, la tolérance pour les morts au combat n'est plus de mise. En investissant massivement dans des drones de guerre, les dirigeants américains ont été les premiers à assigner à la technologie l'objectif du zéro mort. Contrairement à ce qui a été parfois suggéré, ce n'est pas pour autant que cette robotisation du champ de bataille permettra de refaire la guerre à outrance. La baisse régulière de victimes de guerre dans le monde suggère, au contraire, que le conflit armé à l'ancienne est une tragédie en voie de disparition. On peut remercier les arsenaux nucléaires qui sont, de manière paradoxale, une invention extraordinairement efficace contre la guerre(1).
(1) Certains spécialistes des relations internationales vont d'ailleurs jusqu'à prêcher en faveur de la prolifération nucléaire comme moyen de promouvoir la paix, notamment Kenneth Waltz. Voir son article : «Why Nuclear Proliferation May Be Good» dans l'ouvrage collectif de Richard Betts : Conflict After the Cold War.
[NB : la note bibliographique est de l'auteur]