Parfois notre psyché ne résiste pas aux pressions
qu'elle subit, ou bien notre corps à la naissance ou
à un accident ultérieur
de Jekyll & Hyde à Miles
Vorkosigan en passant par Hulk, petit traité de la
pathologie mentale ou physique en science-fiction.
Avec : Killoffer, Jean Baret, Claire Duvivier,
Karim Berrouka
Modération : Olivier Gechter
L'un des écrans affiche en quatre par trois le message "Avez-vous consommé aujourd'hui ? Consommer est un devoir civique. Ne pas consommer est passible d'une amende. - Art. L.643-2 ter du Code de la consommation".
— Tu ne trouves pas que c’est quand même un paradoxe ?
[…]
— Hein ? Qu’est-ce qui est un paradoxe ?
— Ben, le fait que travailler est nécessaire pour qu’on ait un pouvoir d’achat suffisant, mais que travailler ne nous laisse pas assez de temps pour consommer !
— Ah… Ouais en effet… Tout est une question d’équilibre. Consommer, c’est aussi donner du travail aux autres. Te faire plaisir en t’achetant tout ce que tu veux, c’est la garantie d’un taux de chômage faible.
— Oui, mais reconnais qu’avec le boulot qu’on a, c’est pas toujours facile.
— Personne n’a dit que ça le serait.
Ne vous laissez plus faire, contrôlez vos émotions, faites confiance à nos stimuli ! Si vous souhaitez en savoir plus, clignez sur ce code.
— Tu ne te demandes jamais à quoi ça sert, tout ça ?
— C’est-à-dire ?
— Eh bien… Notre société… La vie en société… La vie tout court.
— Non, jamais, quelle idée ! Nous vivons dans la plus belle société du monde. Nous avons de l’argent, du pouvoir, nous sommes libres, nous accomplissons tous nos rêves. Regarde, moi par exemple, j’ai décidé d’être un surhumain, et je le suis ! Qui, si tu regardes dans toute l’Histoire, a eu le droit et les moyens technologiques de se reconstruire ? De se penser différemment ? De forcer la réalité à suivre ses envies ?
L'univers est sans doute froid et vide. Mais notre monde intérieur est infiniment riche. Et c'est ça, l'être humain. Une machine à fabriquer du sens.
Après avoir avalé un antidépresseur, bien calé sur son banc, il ferme les yeux sous le pont délavé par une pluie acide tombant d’un ciel noir et repense à l’affaire Xerox. Des fonds occultes, des fraudes à la consommation, des hackers anarchistes rêvant de faire tomber le système, une guerre économique sans frontières, des surcouches et des surcouches de réalités numériques constituant un labyrinthe sans fin… Où tout cela nous mène-t-il ?
Il ne saurait dire si avoir suivi cette nouvelle étape du séminaire a été une bonne ou une mauvaise chose. Peut-être que si Dieu n’existe pas, rien n’a de sens et que de fait, même l’absence de sens n’a aucun sens. Peut-être même que cette pensée n’a aucun sens. Peut-être même qu’il ne faut pas le confondre avec quelqu’un qui en a quelque chose à foutre.
L’expérience humaine n’a aucun sens. Or, la société, en fournissant une infinité de distractions, donne l’illusion d’un sens, celui du ludique. Les hommes idolâtrent les algorithmes parce que ces derniers leur fournissent du divertissement. Et les hommes sont dépendants de divertissements, et donc des algorithmes, ce qui donne l’illusion d’un sens et asservit l’humanité.
La vie ne vaut pas la peine d’être vécue et les distractions détournent l’humanité de cette vérité : la vie ne vaut pas la peine d’être vécue, elle ne vaut la peine que de se reproduire indéfiniment. Rien d’autre n’a d’importance ni d’intérêt. Il faut donc sortir l’humanité de l’illusion et l’aider à assumer le fait qu’elle n’a d’autre rôle à jouer que de se reproduire. Ainsi parlait Zara Foutra.
Les panneaux surplombant les façades des magasins ouverts jour et nuit clignotent agressivement pour attirer le chaland. Il y a des panneaux rédigés dans sa langue, mais aussi en mandarin, en arabe, en russe, en latin, en grec, en uzbec, en runes nordiques, en farsi, en hébreu, en sumérien, en puxian, et il se dit que la tour de Babel s'est effondrée et qu'ils vivent dans ses ruines.
Telle est la base de toute religion. Croire sans avoir l'orgueil de penser pouvoir comprendre.