Il est temps que les acteurs des mouvements sociaux et les citoyens conscients des défis de notre époque se souviennent des expériences de l’entre-deux-guerre pour se donner les moyens de conjurer les périls qui nous en rapprochent : le creusement des inégalités et l’irruption de la misère, l’explosion du chômage et les ravages de la précarité, la résurgence du racisme et la réinvention d’un nationalisme « identitaire », l’obsession sécuritaire et la restriction des liberté publiques. Rien ne serait pire, en effet, que de baisser les bras devant les vents contraires qui forcent aujourd’hui les droits sociaux et démocratiques à la retraite
L’engouement saisissant de dizaines de milliers d’hommes pour les Brigades internationales renvoie d’ailleurs clairement au caractère étroitement imbriqué de la contestation sociale à l’échelle mondiale, dont le caractère massif et incontrôlable fait si peur aux conservateurs britanniques, français et américains, comme aux responsables nazis et aux dirigeants staliniens » sans oublier qu’après la victoire des fascismes en Italie et en Allemagne « La lutte armée des travailleurs d’Espagne contre le putsch de Franco constitue un exemple et une occasion de revanche aux yeux des militants italiens et allemands vaincus sans avoir pu livrer bataille
Dans la soirée du 9 novembre 1932, des unités de l’armée, dépêchées à Genève à la demande du pouvoir cantonal – une coalition de droite et d’extrême-droite -, ont ouvert le feu sur un attroupement, faisant treize morts et une centaine de blessés. Au moment de la fusillade, les soldats faisaient face à quelques deux cent civils désarmés, dont la majorité n’était que des badauds, formant des groupes clairsemés. Parmi eux, au premier plan, plusieurs dizaines de manifestants invectivaient les militaires, jetaient du gravier dans leur direction, et les appelaient à se débander
Entre stigmatisation des partisans de l’idéologie mortifère de Staline, ou des artisans d’une violence révolutionnaire indiscriminée, et la glorification des héros romantiques, dernières incarnations de l’internationalisme prolétarien avant qu’il ne soit vraiment minuit dans le siècle, les volontaires n’ont cessé d’occuper une place centrale dans l’imaginaire collectif européen
comment a-t-on pu si longtemps expliquer la fusillade de Plainpalais par un dérapage fortuit, alors que des centaines de manifestations plus massives, plus menaçantes, et surtout plus violentes, ont pu être contrôlées par les autorités des autres pays démocratiques et stables, voire des autres cantons suisses, sans faire appel à des moyens aussi disproportionnés ?
Il ne faut pas pour autant confondre l’univers mental du 1er lieutenant qui ordonne le tir – voire son état de stress au moment de prendre cette décision – avec le faisceau de déterminations politiques et sociales qui a rendu un tel drame possible