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Critiques de Jean Birnbaum (42)
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Hériter, et après ?

Réunir une flopée d’intellectuels et développer une notion, c’est le pari de ce livre. Réussi car s’appuyant sur une rencontre nommée Forum Philo ayant eu lieu en 2016 et réunissant ces contributeurs et bien d’autres sans doute... C’est donc bigrement intéressant, profond comme on peut s’y attendre, même si le niveau et l’intérêt que l’on peut porter à certains apports s’avèrent inégaux. Un petit trait d’humour : il manque juste la vision d’un économiste pour circonscrire entièrement le périmètre de l’analyse. Un Piketty ayant de remarquables idées sur la question aurait clôt l’affaire. Mais il est vrai que le focus de cet essai se situe plutôt du côté culturel et civilisationnel.

Du « legs » inquiet de Renouard pour qui la langue est primordiale : « à chaque fois que nous perdons une forme, un temps verbal, nous perdons une nuance dans la façon de dire le monde ; à chaque fois que nous adoptons sans examen un mot de l’anglobish, nous diminuons la capacité d’invention de la langue, qui est notre principal et plus précieux héritage, puisque c’est par lui que nous pensons » à l’engagement culturel de Chantal Del Sol : « Les théories postmodernes de l’individu sans héritage ne valent même pas la peine d’être récusées, tant elles sont hors-sol, et discourent sur un monde qui n’existe pas. La récusation de tout héritage particulier pour gagner la liberté entière (par exemple : nous ne lui apportons aucune croyance, il choisira quand il sera grand) est un leurre manifeste. L’enfant apprend à aimer à travers l’amour imparfait qu’il porte à ses parents, il apprend à croire en adhérant pour commencer aux croyances de ses parents, il apprend à parler à travers la langue dite maternelle, etc. Tout apprentissage se réalise à travers un héritage particulier, donc imparfait, partiel et partial, subjectif. »

en passant par Mona Ozouf et la révolution française qui souligne que « la nation est faite de la longue sédimentation des habitudes communes » ainsi que la très belle interrogation de Anne Cheng sur le cas contemporain de la Chine : « sur l’ère actuelle de la prétendue « post-modernité », force sera de constater que l’opération en cours de réappropriation du passé et d’invention d’une « spécificité chinoise » sert en réalité à entretenir l’amnésie d’un passé récent » , ce tour d’horizon des différents questionnements relatifs à ce que nous sommes, à ce que nous souhaiterions que nos enfants soient, aux systèmes d’organisation pouvant permettre cette dualité du passé/futur émancipatrice est vraiment très bien questionné ici.

La conclusion est laissée à Pierre Rosenvallon qui rappelle fort à propos : « L’Europe a été le continent des totalitarismes. Réfléchir à la démocratie, c’est donc réfléchir à cet héritage problématique, tant à cause du flou de ses définitions que du fait de ses perversions. Cela veut dire une chose fondamentale : personne ne possède l’idée de démocratie. Personne ne peut dire : je sais ce que c’est que la démocratie. ». Pour éviter le piège de la dictature, qui naît bien souvent d’une mauvaise interprétation de l’accomplissement ultime de la démocratie, Pierre Rosenvallon met en garde « Si on veut être un bon « apprenti » en démocratie, il faut donc être extrêmement vigilant et comprendre qu’une critique, même radicale, doit aller de pair avec la reconnaissance du fait que c’est à l’intérieur de ce système qu’il faut travailler et non pas contre lui. »

A bon entendeur salut !

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Le courage de la nuance

Alerte : cet ouvrage est d’utilité publique. Veillez à vous le procurer d’urgence, surtout si vous passez du temps sur les réseaux sociaux.

Il est désormais impossible de débattre sereinement. Parce qu’aux interlocuteurs trois choses font défaut : le temps, la politesse et la culture générale. Nous vivons à l’heure du manque de recul, de la polémique et du vite mâché-retweeté. Quiconque ose formuler un point de vue nuancé est taxé de laxisme, accusé de « faire le jeu de ». C’est le triomphe de « langue de bois et cœur en toc », dixit l’auteur.

Pour parler de nuance, Jean Birnbaum convoque des grandes figures de la pensée (mes idoles…) : Georges Bernanos (et ses aveuglements surmontés), Hannah Arendt (et son goût de l’ironie), Georges Orwell (et sa franchise assumée, son refus de la complaisance), Raymond Aron (et l’incertitude comme vertu héroïque), Germaine Tillion (et la mesure, telle une bravoure sacrée), Roland Barthes (et le mépris des stéréotypes) et enfin Albert Camus, le plus grand, dont il reprend cette citation célèbre : « Nous étouffons parmi des gens qui pensent avoir absolument raison ». Le « absolument » a, ici, toute son importance.

Où est passé le doute ? Qu’est-il advenu du plaisir de converser, de confronter les points de vue ? Pourquoi faut-il prendre parti à tout prix ? Ou pourquoi a-t-on peur de donner une mauvaise opinion d’un livre, par crainte de quoi, de qui ? J’ai évidemment apprécié cette dernière question que Jean Birnbaum aborde aux pages 47-49. La « clanisation » du débat tétanise les penseurs et fait de la franchise une qualité désuète, l’attribut des idiots.

Ce magnifique éloge de l’argumentation et de la mesure appelle un autre livre auquel, j’espère, Jean Birnbaum s’attellera un jour : le courage de dire non, l’audace de nager à contre-courant.

Bilan : 🌹🌹🌹

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Le courage de la nuance

Ce livre est un essai, c'est-à-dire "un livre inclassable, à la charnière de la littérature et de la pensée...qui, au sens propre, essaie, tâtonne, tente quelque chose, et dont la force n'est pas de trancher mais d'arpenter ces territoires contrastés où la reconnaissance de nos incertitudes nourrit la recherche du vrai".

Un essai donc sur la "nuance", ce "devoir d'hésiter", cette "éthique de la mesure, de l'équilibre, du doute", ce "courage des limites", cet "aveuglement surmonté", ce "tact du coeur", cet "héroïsme de l'incertitude", un héroïsme ordinaire, cette "discipline de l'esprit", cette "liberté critique", cette "bravoure sacrée".

Car pour Jean Birnbaum "dans le brouhaha des évidences, il n'y a pas plus radical que la nuance".



Cette nécessité pour l'auteur d'écrire un essai sur la nuance est née d'un sentiment d'oppression : "nous étouffons parmi les gens qui pensent avoir absolument raison".

Ces gens-là et leurs certitudes inébranlables, il les a croisés sur les réseaux sociaux et plus particulièrement sur Twitter" où "de féroces prêcheurs préfèrent attiser les haines plutôt qu'éclairer les esprits", où "la propagande prend le dessus, l'insulte le dispute à la calomnie", où "à force de fréquenter cet espace où triomphaient des meutes vindicatives, soudées par des préjugés communs, des haines disciplinées, je commençais à être traversé, moi aussi, par des réflexes détestables".



Ces gens-là, il les a croisés en passant du "virtuel" au "réel" ; cette oppression et cette nécessité d'écrire ont donné naissance à "ce bref manuel de survie par temps de vitrification idéologique et vitrification de la pensée". Car il y a, dit Birnbaum, "urgence à remettre de la complexité dans le débat public parce que notre monde se brutalise, il est de plus en plus dur".



Ce manuel de survie qui célèbre la nuance, cette vertu essentielle, l'auteur l'a réfléchi, pensé, écrit en faisant appel à quelques figures familières, à quelques-uns de ceux qui incarnent à ses yeux cette vertu.



Ces "figures aimées appelées à la rescousse parce qu'elles illustrent cet héroïsme de la mesure, qui ne se sont jamais contentées d'opposer l'idéologie à l'idéologie, les slogans aux slogans", ce sont Albert Camus, George Orwell, Hannah Arendt, Raymond Aron, Georges Bernanos, Germaine Tillion et Roland Barthes.

Des amis de choix (aux deux sens du terme)...



Je vais prendre trois de ces figures pour illustrer l'approche de Birnbaum ; les "autres" relevant du même processus d'analyse.



- George Orwell, comme Georges Bernanos a fait l'expérience de la guerre d'Espagne.

Cette guerre a été pour beaucoup, un marqueur, un révélateur.

Pour Orwell, ce révélateur ou cette révélation se fait dans les tranchées.

Il aperçoit la silhouette d'un messager du camp ennemi qui court.

Il le met en joue et au moment où il s'apprête à tirer, il se rend compte que l'homme qu'il est sur le point d'abattre "perd son froc"...

Orwell qui s'est engagé pour combattre les franquistes soutenus par les fascistes de Mussolini et les nazis d'Hitler ne peut se résoudre à tirer sur cet homme qui perd son pantalon ; il baisse son arme.

Cet évènement qui pourrait relever de l'anecdote fait partie de ceux qui vont générer la "conversion du regard" chez l'auteur de - 1984 -, lequel va refuser de ne pas voir ce qu'il y a à voir.

Il refuse alors de ne pas voir les crimes des "siens", la propagande, les mensonges (racines inspiratrices de la "novlangue"), surtout des staliniens, des anarchistes qui se livrent à des exactions contre les Républicains.

Il va dénoncer tout cela dans un de ses livres - Hommage à la Catalogne - et se mettre à dos son camp.

Un exemple de cet exercice de la nuance, qui oblige à se tenir en équilibre sur la corde raide et d'accepter de voir et de dire le réel dans sa complexité.





- Celui qui pourrait ou même devrait faire figure d'exception, c'est Bernanos, ce chrétien militant royaliste "à la droite de la droite", Maurrassien, membre de l'Action Française, qui a fait de la prison pour avoir frappé "à la canne" des personnes aux idées opposées aux siennes.

Qui voua toute sa vie durant une admiration passionnée à son "vieux maître" Édouard Drumont, cet écrivain et homme politique d'extrême droite, antidreyfusard, antisémite, qui participa à la fondation de la Ligue nationale antisémitique de France...

Sa prise de conscience, sa "conversion du regard", va s'opérer à Majorque où vivait avec sa famille pour des raisons d'argent, à l'occasion de la guerre d'Espil agne.

Lorsque Franco déclenche son coup d'État, Bernanos de par son identité politique est un sympathisant des Républicains, ces anticommunistes qui vont restaurer le pouvoir de l'Église. Son fils s'engage par ailleurs dans la Phalange ; son père l'approuve.

La guerre est atroce. Des crimes, des massacres sont commis au nom de son idéal, bénis par des prêtres "aux bottes ensanglantées".

Le regard de Bernanos change.

Il écrit : "il est dur de voir s'avilir sous ses yeux ce qu'on est né pour aimer".

Son pamphlet - Les Grands Cimetières sous la lune -, "Cela brûle, mais cela éclaire", dira Pie XI qui refusera de mettre le roman à l'index, signe la prise de conscience de cet homme contre son camp, lequel lancera une violente campagne contre lui ; les journaux d'extrême droite le qualifieront "d'aigri", de "dévoyé", d'égaré" ; sa famille politique le bannira.

Cette conversion du regard aura d'autres occasions de s'exprimer.

Comme nous le rappelle Jean Birnbaum, " cette expérience pamphlétaire péremptoire rend fascinante la dissidence bernanosienne et sa façon de se soustraire aux orthodoxies de sa famille politique. Le monarchiste a démasqué Maurras. Le fervent Chrétien a exhibé les compromissions de l'Église. Le contempteur de la démocratie a choisi de Gaulle contre Vichy. L'antisémite a honoré les combattants du ghetto de Varsovie. En même temps !

Voilà pourquoi Bernanos occupe une place importante dans cet essai parce que "sous la lumière de Bernanos, la nuance est un aveuglement surmonté".



- Roland Barthes, sémiologue éminent, permet à Jean Birnbaum de prolonger ce qu'avait initié sa référence à Orwell, à savoir la "novlangue". Pour désigner les mots lorsqu'ils sont figés, "durs comme un bloc de préjugés", Barthes fait appel à celui de "brique".

Il a cette expression pour parler des gens qui sont enfermés dans leurs préjugés ; il dit d'eux qu'ils sont "briqués".

Pour Barthes la "conversion du regard" va se faire lors d'un voyage au pays de Mao Zedong où lui et ceux qui participent à ce voyage vont être très bien accueillis.

Barthes qui a un a priori plutôt favorable pour ce pays et pour son régime politique va, petit à petit, en visitant les fermes, les usines "somatiser", être pris de malaise et souffrir de deux pannes : une panne de l'écriture et une panne sexuelle "aucun mouvement du sexe", griffonne-t-il dans ses carnets.

Dans ce pays tellement souriant, tout est en réalité figé, autoritaire et nulle littérature n'est possible.

Lui pour qui les couleurs occupent une place essentielle, refuse de parler de ce monde en noir et blanc, ce qui va lui être reproché.

Corde raide, la nuance est passée par là.



Ce qui unit ou réunit les écrivains et intellectuels à la rescousse de l'auteur dans son ouvrage, c'est outre l'expérience de la souffrance chez chacun d'entre eux ( la maladie, la mort d'un proche ), c'est cette conscience qui en résulte qu'on n'est pas complètement maître de soi-même, que nous sommes traversés par des forces obscures "les eaux boueuses et vénéneuses de l'âme", c'est aussi la conscience de leur finitude, et le tout ne peut que conduire à la nuance.



Ils ont tous été accusés de "faire le jeu de" en acceptant de voir et de dire le réel dans sa complexité.



Étienne Klein nous dit de son côté que la nuance, c'est " "emmerdant", que les gens qui parlent sans nuances donnent l'impression d'avoir raison", alors que quelqu'un qui doute, qui réfléchit, qui est prudent, mesuré donne, lui, l'impression contraire. "On dit, ce type-là, il ne sait pas ce qu'il pense."

Klein d'ajouter : "Un propos nuancé donne l'impression de se fragiliser par la forme qu'il prend."

Comme Jean Birnbaum, Étienne Klein pense que "l'apparente disparition de la nuance manifeste une crise du langage."

Tous les deux opposent le slogan à la réflexion et tous les deux appellent Proust à la rescousse... lequel disait : "J'ai toujours honoré ceux qui défendent la grammaire et la logique. On se rend compte cinquante après qu'ils ont conjuré de grands périls.

Les phrases sont courtes, l'argumentation disparaît, on provoque des clashs plutôt qu'on ne laisse place à la nuance"...l'un et l'autre constatent que la vérité n'est pas simple à dire.

Pour Klein, une des difficultés d'être pour la nuance tient dans la masse d'informations en continu que notre cerveau est inapte à traiter.

En conclusion, il affirme - et je crois que Birnbaum et son cercle "d'amis" s'associeraient à cette assertion - que "le salut consisterait à ce que les gens modérés s'engagent dans les débats sans modération. Il faut que la modération s'exprime de façon immodérée."



Je ne pouvais faire appel à meilleur plaideur pour défendre la cause de la nuance qu'Étienne Klein.

Pardonnez-moi si j'ai fait appel à ce physicien, philosophe des sciences ; je n'ai fait que prendre exemple sur le procédé choisi par Jean Birnbaum dans cet essai que je trouve riche et dont l'invitation à penser contre soi-même est un de mes mantras.

Être nuancé, quel beau programme ! Courage, ne fuyons pas !



Vivement conseillé.



PS : désolé si ce billet a pris des allures de billetterie ; j'ai l'enthousiasme débordant...
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Le courage de la nuance

Tout est bon dans le dernier livre de Jean Birnbaum, Le courage de la nuance ; tout, sauf peut-être le titre : non pas l’appel au courage, bien sûr, mais la célébration de la nuance qui donne le sentiment d’un entre-deux, d’un « en même temps », d’un clair-obscur sans consistance ; certes il s’agit pour lui de dénoncer les méfaits des débats manichéens, des dualismes simplificateurs qui décrivent la réalité en blanc et en noir ; mais qu’on ne s’y méprenne pas l’auteur ne leur substitue pas les innombrables nuances de gris que peuvent produire le mélange de ces deux couleurs extrêmes. En fait ce que recouvre pour lui le mot nuance, c’est ce que je préfère appeler la complexité des choses, et qui peut conduire à ce que des interprétations contradictoires soient également vraies. La nuance pour l’auteur ce n’est pas le gris, c’est la coexistence du blanc et du noir. Alors va pour la nuance, si c’est ce qu’elle veut dire. Et, de Raymond Aron à Roland Barthes en passant par Germaine Tillon, d’Hannah Arendt à Georges Orwell, en passant par Georges Bernanos, ce sont, en commençant bien sûr par Albert Camus, sept auteurs qu’il convoque pour explorer les différentes facettes de cette nuance dont il nous fait l’éloge : des spectateurs engagés, selon la belle formule de Raymond Aron, et pour qui la nuance c’était d’abord de penser contre soi même pour ne pas être prisonnier de son camp.



En interlude à chacun de ces sept chapitres, il tire une sorte d’ordonnance énonçant ainsi la liste des remèdes à l’hystérisation des débats, que je reformule à ma façon en puisant dans la pharmacopée de l’esprit :



D’abord bien nommer les choses, pour éviter « d’ajouter aux malheurs du monde », et donc fuir comme la peste toutes les formes de novlangue ou d’euphémisation

Pratiquer l’humour, cette forme d’hygiène de l’esprit, un exercice intellectuel mais aussi spirituel nécessaire, une forme d’assouplissement des neurones et de la pensée.

Se sevrer de la dépendance à la crainte de « faire le jeu de l’adversaire », qui conduit à la cécité intellectuelle et au déni des réalités, de ces « méchants faits qui viennent détruire les belles théories ».

Avoir conscience de la part d’inconscient qui nous anime, cette part d’ombre inatteignable qui structure nos émotions et nos réactions, et qui a « ses raisons que la raison ignore ».

Complémenter par la littérature et la poésie les potions de l’argumentatif, car elle disent des choses de l’humanité qui seront toujours inaccessibles à la raison, ce « supplément d’âme » qui « donne son sens à la vie ».



http://www.daniel-lenoir.fr/le-courage-de-la-nuance-ou-de-la-complexite/
Lien : http://www.daniel-lenoir.fr/..
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Le courage de la nuance

Le courage de la nuance – Jean Birnbaum, Éditions du Seuil mars 2021 *****



Le livre qu’il nous faut, constamment, il nous réapprend ou nous réveille la mémoire sur l’amitié, l’honnêteté, l’humour et la nuance, « dans le brouhaha des évidences il n’y a pas plus radical que la nuance. »

Dans l’introduction, l’auteur révèle la « bravoure » de ce qui est souvent pris pour une faiblesse : « la puissance de la nuance s’épanouit au mieux dans ce type de livre inclassable, à la charnière de la littérature et de la pensée, qu’on appelle l’essai. Autrement dit qui, au sens propre, essaie, tâtonne, tente quelque chose, et dont la force n’est pas de trancher mais d’arpenter ces territoires contrastés où la reconnaissance de nos incertitudes nourrit la recherche du vrai . »

Oui, la force n’est pas de couper sec, mais dans la recherche, dans le doute même, dans l’interrogation, dans l’ouverture d’esprit qui bannit les certitudes lourdes et paralysantes.

Pour illustrer cet « héroïsme de la mesure », Jean Birnbaum appelle « à la rescousse » quelques intellectuels comme Albert Camus, Hannah Arendt, Germaine Tillion, Raymond Aron, Georges Bernanos, Roland Barthes, tous des « figures aimées qui pourraient nous aider « à nous tenir bien. »

Nos limites, les connaissons-nous ? Avons-nous le courage de les accepter ? Une réponse affirmative peut aller de soi et pourtant il y a souci et Camus se révolte contre certaines certitudes et des emballements revanchards. La voix de l’écrivain résistant se lève contre les âmes tièdes : »Notre monde a besoin de cœurs brûlants qui sachent faire de la modération sa juste place… parfois, l’éthique de la mesure est une éthique du silence. » et la nuance est pour Georges Bernanos « un aveuglement surmonté ». L’écrivain fore d’une manière implacable notre « nuit intérieure », scrute « la part honteuse, boueuse, vénéneuse de nous-mêmes… les eaux dormantes et pourries de l’âme... » « on ne se méfie jamais assez de soi-même… l’inconnu c’est encore et toujours notre âme » note-t-il.

Et Jean Birnbaum revient sur cet exercice de la nuance qui nous aiderait à mieux vivre ensemble : « nous ne sommes pas transparents à nous-mêmes, nous sommes mus par des élans innommables, des pulsions abjectes : le reconnaître oblige à une forme d’humilité, ou… vigilance critique ».

Germaine Tillion, ethnologue et grande résistante a fait de l’humour sa bouée de sauvetage et son chemin a toujours été une quête de vérité. Nuance : de vérité et non de la vérité !

Pour Hannah Arendt l’héroïsme de la pensée se confond avec « le génie de l’amitié » : « C’est seulement parce que je peux parler avec les autres que je peux également parler avec moi-même, c’est à dire penser. » Pour elle, et elle n’est pas la seule à l’exprimer, l’amitié est le seul lieu où peut s’épanouir la pluralité qui nous définit, où il y a le désir d’une confrontation sincère. Aux certitudes arrogantes Hannah Arendt préfère « la lumière incertaine, vacillante et souvent faible des êtres chers ». Nuance radicale !

L’humour a le pouvoir de nous sauver la vie, car cette indépendance du jugement, le courage de rire nous aide à demeurer en mouvement, à nous délester pour pouvoir danser « dans un éclat ironique ».

L’imagination, la nuance joyeuse, le combat pour la nuance nous disent aussi Mathias Malzieu dans son « Guerrier de porcelaine », et Lydie Salvayre dans « Rêver debout ». Il faut du mouvement, sinon tout pourrit.

Un passage de cet essai, rappelant un moment vécu par George Orwell sur le front de la guerre d’Espagne, a tout l’humour et la bouleversante émotion de la nuance. Je le partage avec vous : « Après avoir bondi des tranchés ennemies, un messager s’est retrouvé là, en ligne de mire, totalement à découvert. Le voici maintenant qui se met à courir… en retenant des deux mains son pantalon. Orwell baisse son arme. « J’étais venu ici pour tirer « sur des fascistes », mais un homme en train d’empêcher son pantalon de tomber n’est pas un « fasciste » ». Orwell est connu pour son franc-parler et aussi pour le doute qui l’accompagne pour assumer ses propres failles « car la meilleure façon d’être honnête, c’est de renoncer à une illusoire « objectivité » et d’assumer pleinement son propre point de vue ». Chez Orwell la nuance est « comme franchise obstinée… jamais un désaccord ne devrait être tu, jamais une vérité ne devrait être occultée... ».



La littérature « maîtresse des nuances » fait place à la réflexion, à l’émotion à la compréhension et surtout empêche l’enfermement la rigidité et l’intolérance. « essayer de vivre selon les nuances que nous apprend la littérature », nous conseille Roland Barthes qui « nous transmet une certaine manière de se tenir dans le monde, une façon d’articuler le texte et la vie. » A la lecture de Barthes nos forces reviennent. « La science est grossière, la vie est subtile et c’est pour corriger cette distance que la littérature nous importe… Elle permet de se soustraire aux partis pris de ceux qui ont hâte de conclure, aux fausses alternatives des mauvaises polémiques, aux manichéismes qui voient le monde en noir et blanc... »

La poésie, nous sauverait-elle ? Oui si elle sait faire plus que mettre les mots en rime, si elle vient du cœur pour nous faire vibrer, si elle est honnête. La poésie, « le meilleur moyen de se connaître soi-même  et d’aller à la rencontre d’autrui », disait Hannah Arendt.

Pour finir, je laisse à nouveau la plume à l’auteur, Jean Birnbaum qui clôt son essai par un dernier et non moins émouvant hommage « Ici, j’ai voulu donner voix à cette marginalité, au moment où elle peut nous être d’un grand secours. Il s’agissait de faire entendre cette petite troupe d’esprits hardis, délivrés de tout fanatisme , qui ont accepté de vivre dans la contradiction, et préféré réfléchir que haïr. Avec à l’horizon, cet espoir : relancer un héritage fragile, lui donner la force d’être fort ou du moins assez solide pour qu’il fasse rayonner parmi nous, comme à travers ces pages, le désir obstiné de faire face, de se tenir bien. »
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Le courage de la nuance



Comment ne pas partager le point de vue de l'auteur quand , des pointures intellectuelles lui servent de support pour le goût de la nuance , l'éloge du doute contre le crétinisme des certitudes .



Rarissimement nos dirigeants s'ouvrent d'un doute quant à leurs actes et c'est bien décevant .



Camus qui ne s'autorisa jamais à défendre ni le communisme ni le capitalisme libéral disait plutôt choisir les objecteurs de conscience , ne prit parti pour les colons ou les algériens mais pour l'humanisme . Il est vrai que cela l'orienta vers ses " affinités libertaires " .



D'autres auteurs ont suivi la même voie : Arendt , Orwell , Barthes , Aron , Bernanos etc .... que nos dirigeants gagneraient à s'imprégner de ce genre de réflexion plutôt que de médiatiquement répandre leurs certitudes . Mais un ego surdimensionné , caractéristique commune à presque tous les " puissants " ne favorise guère l'humilité .
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Le courage de la nuance

Une sorte de charte.

Il faudrait sans doute une sorte de charte qui conseille à quiconque s’inscrit sur un réseau social de lire ce livre indispensable.

Ami(e)s de Babelio feriez figure d’exemples tant il est rare ,sur ce réseau ,de se faire vilipender.

Quoique je me souviens de réponses très hostiles à un petit billet concernant un livre que j’avais eu le malheur de ne pas aimé....

Mais pour l’essentiel le débat reste ici courtois même s’il est parfois vif. Et les arguments des uns et des autres sont souvent francs et étayés.

« Il s’agit de trouver le bon tempo, celui qui permet de se laisser bousculer par les «bouffées » afin de contourner les «briques ». » Jean Birnbaum cite ainsi Roland Barthes, pour en finir avec l’arrogance.

Alors oui le courage de la nuance, ce n’est bien sûr pas le gris, ni le brun et le rouge en même temps. Non je ne crois pas. Ce serait plutôt une palette infinie faite de complexité et de poésie.

Camus,Aron,Arendt,Bernanos,Orwell, Tillion et Barthes serait donc reliés par « une liberté intraitable, une éthique de la vérité, la conscience de nos limites,le sens de l’humour, un rapport conscient avec son inconscient, une morale du langage, le goût de la franchise, un art de l’amitié ».

J’espère que Babelio restera longtemps un espace de relations sincères, de remise en question, quitte à adopter le point de vue de l’autre et à s’interroger sur sa propre parole, sur son propre billet !!!

Mais je n’y suis que depuis quelques mois...



Un immense merci à Jean Birnbaum.

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Le courage de la nuance

J’ai acheté ce livre après avoir écouté Jean Birnbaum à la radio, séduite par l’idée que d’autres personnes s’intéressaient à un monde de nuances, dans lequel on ne serait plus obligé de choisir entre le noir et le blanc.

Bien m’en a pris. L’écriture de Jean Birnbaum est claire, précise et accessible à ceux qui, comme moi, aiment lire mais n’ont pas fait d’études littéraires. Le livre chemine d’un auteur à l’autre, et met en lumière leur souci commun de la nuance, qui est une certaine idée du vivre ensemble. Un espace commun où l’on débat, au grand jour et de manière respectueuse, quelles que soient nos opinions politiques ou nos expériences de vie.

J’ai aimé ce livre et je le recommande à ceux qui se sente isolés dans un monde où les extrêmes prennent trop de place, même au centre. Merci, M. Birnbaum, d’avoir pris le temps de remettre à l’honneur la nuance, elle en avait bien besoin, et nous aussi !
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Un silence religieux

Quel courage, ce Jean Birnbaum, dans le milieu qui est le sien, de pointer ainsi, dès 2016, la myopie vis à vis de l'Islam de cette gauche qui constitue pourtant, non seulement le courant de pensée dans lequel il a baigné toute sa vie, mais probablement aussi celui de l'essentiel de son entourage professionnel, de ceux qui lisent ses productions de journaliste dans un journal du soir autrefois perçu comme une référence.

Ne court-il pas un risque important de marginalisation, dans ces milieux peu connus pour leur tolérance vis à vis de la critique?

Ce livre, que je n'ai pourtant découvert que récemment, est d'un très grand intérêt.

L'on y apprend énormément, et les connaissances comme la documentation de l'auteur ne laissent pas d'impression. Ses analyses développées donnent vraiment à réfléchir, ce qui est le critère premier pour un essai.

Mais on ne peut manquer de se demander si les pays de culture musulmane sont vraiment condamnées, comme semble le penser M Birnbaum, à voir leur champ politique capté par l'islam. Il est vrai que ça a été le cas dans des situations où chacun attendait tout autre chose, par exemple pour l'Algérie où le combat de libération avait été perçu comme un combat pour le progrès des libertés et de l'avancée sociale, alors que qui aurait eu les yeux pour voir la réalité aurait perçu, dès le temps de la guerre d'Algérie, qu'il s'agissait d'une lutte contre l’infidèle.

Mais il a existé, dans les pays de culture musulmane, des élites authentiquement nationalistes (l'Égypte de Nasser, la Turquie jusqu'à Erdogan...), et il existe bien, en Iran, par exemple, une partie tout à fait substantielle de la population qui ne rêve que de se faire débarrasser des contraintes imposées par les Mollah, et de rejoindre le mode de vie occidentale.

La question importante serait de savoir pourquoi ces mouvements ont toujours échoué devant la poussée des structures islmisantes.

Et cette question, centrale, n 'est pas abordée, hélas, dans ce livre.
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Le courage de la nuance

Essai qui ose s’attaquer à un mal endémique qui ne fait qu’empirer avec les outrances simplificatrices véhiculées par « les réseaux sociaux », mais aussi par des médias d’opinion et des intellectuels engagés qui n’acceptent pas la contradiction. L’auteur se livre à une analyse des écrits de personnalités qui à rebours de beaucoup d’autres ont eu le courage d’accepter la nuance dans leurs écrits. On y découvre ainsi, Georges Bernanos, Albert camus, Anna Harendt, Raymond Aron, Roland Barthes…..Bel exercice qui remet un peu des pendules déréglées à l’heure !
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Le courage de la nuance

Petit essai très dense et délicat à résumer.

Jean Birnbaum convoque avec beaucoup d’intelligence les grands noms de la philosophie contemporaine qui ont milité par leurs vies, leurs écrits, leurs combats pour le triomphe de la mesure, de la nuance, du jugement tempéré : Camus, Aron, Orwell, Arendt, Bernanos, Tillion et Barthes. Même Bernanos, que l’on n’attendait pas forcément dans ce club très fermé, nous convainc du bien-fondé du propos. Rien que cela !



Tous en ont payé le prix : l’exil et la solitude.



Le propos est intelligent, parfaitement d’actualité, bien construit, convaincant s’il était besoin, et nous place, nous les lecteurs, devant nos responsabilités : que souhaitons-nous faire lorsque nous prenons la parole dans les livres, dans le cercle de nos fréquentations et dans les réseaux sociaux comme Babelio, pour ne citer que lui.

Au fond, que souhaitons-nous faire ?



Birnbaum nous livre Sa réponse. Une très belle réponse.

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La religion des faibles

Ce livre est plus passionnant encore, et ce n'est pas peu dire, que le précédent essai du même auteur, "un silence religieux", dont il prolonge à certains égards, la réflexion.

Les faibles ne sont pas ceux que l'on peut imaginer au premier abord.

Et "la Croyance" non plus. C'est celle dont sont imbibés ceux de nos semblables qui ne parviennent pas à voir ce qu'ils voient, pour reprendre la formule bien connue de Péguy.

L'auteur nous fait partager, sur ce point, son expérience personnelle et nous découvrons, dans un chapitre final qui, à lui seul vaut au livre d'être lu, la manière dont ses yeux se sont ouverts, à l'occasion d'un colloque organisé sur Derrida par des autorités algériennes gouvernementales et universitaires qui n'avaient pas grand chose à faire de la réalité de la pensée de ce philosophe qui est né et a grandi à Alger, mais étaient surtout préoccupés de s'appuyer sur la présence d'intellectuels occidentaux pour avancer leur propagande sans grand souci de vérité.

Mais ce qui frappe Jean Birnbaum, c'est l'attitude des participants Français, sympathisants de la cause algérienne, mais qui, comme l'explique bien l'auteur, par leur effort pour minimiser les mensonges qui s'ajoutent les uns aux autres au cours du colloque et des manifestations qui l'accompagnent, détournent leur regard, et montrent en réalité davantage "une indulgence teintée de mépris".

Jean Birnbaum dissèque avec précision cette attitude à travers bien des évènements où, face à la violence d'attaques de l'Islamiste qui les vise, des intellectuels (Rushdie par ex) sont abandonnés par la plupart de leurs pairs, dans un mouvement de grande lâcheté qui tente de se justifier par le désir de "ne pas faire le jeu de....".

Un livre éclairant, écrit dans un style d'une très grande clarté, seulement rendu obscurs lorsque l'auteur se sent, on ne sait pas bien pourquoi, obligé de citer Derrida, à qui l'attachent visiblement des sentiments forts.
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Le courage de la nuance

Ce livre reprend une série d'articles parus dans Le Monde. Chacun porte sur un auteur ou une autrice : Albert Camus, Bernanos, Hannah Arendt, Barthes, Raymon Aron, Germaine Tillion... Philosophes, écrivains, sociologues, humanistes en tous les cas, ils sont convoqués sur arrière-plan de guerre d'Espagne ou de 2nde guerre mondiale pour défendre leur goût pour la nuance, la sincérité, et leur haine du totalitarisme qui s'exprime par la prise en otage du langage, par la propagande et l'idéologie.

Cet essai, quoique assez désordonné et parfois un peu laborieux, nous transporte de façon poignante dans les heures sombres du vingtième siècle pour défendre une thèse qui est davantage suggérée que clairement énoncée. Par leur obstination à regarder la vérité en face et à la dire, sans pour autant vouloir démolir ceux qui ne ne pensent pas comme eux, ces auteurs et autrices seraient les vrais défenseurs de la démocratie. Mais le prix serait d'être condamnés à une éternelle solitude.

Cette pensée est bien entendu à mettre en regard de la montée actuelle des populismes, et de l'impact des réseaux sociaux sur le débat public. Si Birnbaum l'évoque deux ou trois fois, cela reste assez subtil. J'aurais pour ma part apprécié une formulation plus explicite de cette théorie sous-jacente.
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Un silence religieux

Cet essai déjà ancien (paru en 2016) est une sorte de réquisitoire contre les réactions jugées trop molles des autorités et médias français, juste après les attentats de 2015. J. Birnbaum y décèle un refus d'envisager un quelconque lien entre le terrorisme et la (vraie) religion musulmane. Tous les porteurs de la parole politiquement correcte ont mulitiplié les explications (sociales, économiques, psychologiques ou autres); ils ont répété « le djihadisme, ce n'est pas l'Islam », alors que tous les auteurs des attentats s'en sont réclamés.

Plus important et plus général: la gauche française n'arrive pas à se positionner par rapport à l'islamisme. Pour elle, encore imprégnée de la pensée de Marx, « la religion est l'opium du peuple », elle sera bientôt dépassée par les irrésistibles avancées du socialisme (avant l'avènement du vrai communisme). En attendant, on peut considérer la religion comme l'expression (inadéquate, mais authentique) de la misère des prolétaires. Dans cette optique, aucune religion ne joue un rôle essentiel dans la lutte des classes et ne constitue un ennemi vraiment dangereux pour les révolutionnaires. Or, au cours des dernières décennies, l'islamisme est devenu un puissant moteur de l'évolution géopolitique, en échappant aux analyses marxistes. Les djihadistes veulent imposer la loi de leur Dieu dans le monde entier, et non celle du peuple (tel qu'il a été conceptualisé par la gauche). On peut et on doit douter des capacités progressistes et révolutionnaires des fous d'Allah.

L'auteur illustre ses thèses par des considérations diverses. Il revient longuement sur la pensée de Marx. Mais aussi il décrit la position difficile des progressistes français pro-FLN en face des ambiguïtés religieuses des nouvelles autorités algériennes: c'est un sujet intéressant. Plus tard (en 1979), la gauche a été prise à contrepied par la révolution iranienne qui a abouti à la domination des mollahs. J. Birnbaum compare aussi le djihadisme à l'engagement des volontaires dans les Brigades Internationales dans la guerre civile espagnole. Il remarque que les terroristes musulmans déclarent aimer la mort (héroïque), alors que nous aimons la vie…

L'intérêt de certains développements dans le livre m'a semblé discutable. Par exemple, je trouve qu'il s'attarde trop sur la polémique liée à une candidate voilée, présentée en 2010 par le parti NPA (trotskiste). Depuis lors, il s'est passé beaucoup de choses; il me semble que le jeu politique de J.-L. Mélenchon parait beaucoup plus significatif. Une autre étude - actualisée - du problème soulevé ici m'intéresserait beaucoup. Mais, même s'il est daté, le présent ouvrage aura eu le mérite de questionner les relations ambigües entre le religieux et le politique: c'est un sujet très important. Comme il est écrit p. 225, « Selon les critères de Marx, chaque fois que l'histoire s'enraye, la foi fait retour »

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Seuls les enfants changent le monde

Comment commencer cette critique ...

Il faut dire que je ai eu peu de cours de philosophie et donc je me sens parfois démuni pour en comprendre tous les concepts. Et cette fois, ce fut le cas. Mais mon ressenti, bizarre d'en parler ainsi ? C'est plus ce ressenti qui m'a fait adhérer au contenu de ce livre. Père et grand père, j'ai toujours cru important de transmettre. Ce sont les enfants qui nous portent à nous interroger sur l'avenir, le leur mais également le nôtre.

Merci à l'auteur d'avoir nourrit ma réflexion.
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Le courage de la nuance

Qu'est-ce qui fait qu'un livre qui n'apprend pas grand chose au lecteur, ni sur les éminents penseurs qui en constituent la substance essentielle, ni sur le niveau lamentable du débat dans nos sociétés contemporaines, mérite tout de même d'être lu?

C'est que, s'il ne nous apporte pas beaucoup sur ce qui fait sa thèse, il nous en dit long, paradoxalement, sur quelque chose dont il ne parle pas du tout : ce que doivent être les difficultés et les angoisses d'un journaliste qui occupe une place éminente dans un organe de presse qui contribue largement à créer le climat qu'il déplore dans son livre.

Quand Birnbaum déplore "l'orthodoxie dominante fixée par la gauche" et rappelle ce qu'écrivait Orwell sur les "étiquettes qu'il vous faut absolument éviter de vous faire coller (bourgeois, réactionnaire, fasciste)", quand il appuie sur le fait que "personne n'est à l'abri, même et surtout ceux qui voudraient se réclamer de la gauche sans endosser ses mensonges", n'est-ce pas de lui-même qu'il parle? n'exprime-t-il pas ici une douleur qu'il lui est interdit de faire voir en clair?
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Un silence religieux

Un ouvrage stimulant, à lire d’urgence, qui dénonce le « rienàvoirisme » mais pêche peut-être par excès d’ambition en abordant trop de sujets vastes (en 234 pages) et en affichant trop de thèses, dont certaines semblent contradictoires.

Les 100 premières pages m’ont convaincu car elles affirment des évidences, trop souvent niées pourtant, et elles replacent le djihadisme dans le contexte d’un monde arabo-musulman qui n’a pas connu la sécularisation qu’a connue l’Europe occidentale. En revanche, c’est quand l’auteur s’éloigne de cet objet – le djihadisme dans l’islam – qu’il est le moins convaincant.

En premier lieu, Jean Birbaum l’affirme : les djihadistes tuent au nom de Dieu et de l’islam ! A leurs cris ne répond qu’un silence des autorités de l’Etat ; silence résumé par le slogan « le terrorisme n’a rien à voir avec l’islam ! ». La gauche, en particulier, ne veut pas « faire le jeu du Front national », mais elle aboutit à l’effet inverse, le FN apparaissant comme le plus déterminé à dénoncer l’islamisme. Plus profondément, la gauche – c’est la thèse principale de l’auteur – ne parvient pas à prendre la mesure du poids de la religion dans l’ensemble du monde musulman. Aussi Birnbaum va s’intéresser à l’évolution intellectuelle de l’islam, il montre que l’islamisme tel que nous le connaissons n’est pas une survivance d’un passé très ancien, mais une réaction aux efforts menés par des intellectuels, depuis le XIXe siècle, pour moderniser l’islam et ne pas le laisser à l’écart des transformations du monde (cette partie nous fait découvrir de nombreux spécialistes de l’islam peu connus, et l’on peut regretter l’absence d’une bibliographie qui rassemble leurs ouvrages).

Thèse n° 1 : l’islamisme répond à une modernisation ratée de l’islam, à la fois au plan théologique, économique, démocratique…

Puis, l’auteur, dans un passage fort original, revient sur la guerre d’Algérie et l’aveuglement des intellectuels anticolonialistes français quant à la dimension religieuse du combat de FLN. Si, au dehors, le FLN tenait un discours laïc et socialiste, au-dedans il s’appuyait sur la religiosité des masses paysannes pour chasser les « mécréants » (ce qui rendait bien improbable la cohabitation des communautés dans l’Algérie indépendante).

L’étape suivante du parcours nous conduit en Iran en 1978, sur les pas de Michel Foucault, qui réalise un reportage pour un journal italien. L’insurrection populaire est en train de renverser le régime du chah et Foucault ne nous laisse aucun doute sur les ressorts qui mettent en mouvement les insurgés : « Nous voulons un gouvernement islamique » « Il faut que l’imam vienne » disent-ils. Foucault montre que l’Iran n’est pas en train de vivre un 1789 ou un 1917, mais plutôt un mouvement d’essence religieuse qui aspire à un ordre islamique, tant au plan collectif qu’au plan individuel. Mais Birnbaum passe vite sur deux points : l’écart qui s’est créé entre ces aspirations populaires et le nouveau régime de Khomeiny, d’une part, et, d’autre part, l’attitude de Foucault lui-même face au nouveau régime (sa présentation semble bien indulgente et ce point mériterait à lui seul d’amples développements).

Ensuite, Birnbaum veut absolument « remonter à Marx », à qui il consacre un long détour philosophique. Et, à ce point, il me semble qu’il lâche son objet. Car Marx ne traite pas du tout de l’islam mais de la religion chrétienne dans une société d’après la Révolution française qui est engagée dans la sécularisation. De plus, tout en critiquant la formule « la religion c’est l’opium du peuple » (qui serait à l’origine du dédain de la gauche pour la religion), Birnbaum lui rend hommage en considérant que c’est le recul de l’espérance révolutionnaire qui explique le retour du spirituel. Il écrit en effet :

«Plus la perspective de l’émancipation sociale s’éloigne, plus celle d’une renaissance spirituelle est inévitable. A mesure que la mobilisation anticapitaliste recule, l’époque devient mûre pour le soulèvement des âmes. » (Un silence religieux, p. 139)

Thèse n° 2 : la pérennité du capitalisme, le recul de l’espérance révolutionnaire expliquent que le besoin de croire prenne la forme d’une politique spirituelle.

Birnbaum va revenir à l’islamisme en montrant que l’anticapitalisme des marxistes révolutionnaires les conduit à pactiser avec les djihadistes, sous prétexte que l’ennemi principal est constitué par les démocraties occidentales (« l’impérialisme »). Au passage, il faut noter que quand l’auteur dit la gauche, c’est à cette gauche la plus imprégnée de marxisme qu’il pense (ce qui couvre de moins en moins le champ de ce que l’on appelle la gauche aujourd’hui).

Enfin, l’auteur se livre à une comparaison bien discutable entre les engagés dans les Brigades internationales d’Espagne, qui s’opposaient à Franco et au fascisme qui gagnait l’Europe, et les djihadistes qui partent en Syrie. Il oublie au passage que ces djihadistes, empêchés de partir ou revenus, tuent au sein de la société où ils ont grandi : le juif, le chrétien, le caricaturiste, le militaire, le policier…, tous mécréants (et pas spécialement les athées comme l’auteur le suggère p. 228).

En conclusion, Birnbaum présente une troisième thèse où il semble plaquer sa construction intellectuelle - la revanche du religieux sur le matérialisme marxiste - sur la réalité géopolitique.

Thèse n° 3 : le djihadisme est la revanche de la religion sur une société qui depuis la Révolution française a prétendu se débarrasser de Dieu.

Thèse bien discutable car c’est au sein de sociétés profondément musulmanes que le djihadisme porte la guerre civile (Algérie, Afghanistan, Syrie, Irak) et, le 11 septembre, il s’attaque à une société encore profondément religieuse.

Dans les dernières pages, l’auteur note qu’il est malaisé et peut-être pas souhaitable de séparer le politique et le religieux, mais il oublie de traiter de la laïcité…

On le voit, l’ouvrage ouvre de nombreux chantiers, sans les exploiter, mais, du fait même de son excès d’ambition, c’est un remue-méninges qui oblige à réfléchir face au terrorisme.
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Le courage de la nuance

Jean Birnbaum dirige "Le Monde des livres" et a déjà écrit divers essais. Ici, il réagit à l'outrance et aux excès de violence verbale qui règnent maintenant, dans les réseaux sociaux notamment. Pour promouvoir l'usage d'une communication plus intelligente, il convoque quelques célèbres intellectuels du XXème siècle, très différents entre eux: Camus, Bernanos, H. Arendt, Aron, Orwell, G. Tillion, Barthes. Tous ont su trouver les mots justes pour exprimer leur pensée. Tous ont refusé un alignement idéologique outrageusement partisan (et pourtant, certains étaient très engagés politiquement). Et en cela, ils se sont bien démarqués d'autres intellectuels, volontairement extrémistes. J.-P. Sartre se faisait une gloire de choquer et d'insulter; avec le recul, ses postures paraissent absurdes et même risibles. J'aime bien ce qu'écrit J. Birnbaum. Mais j'ai des doutes concernant l'influence actuelle de ces auteurs qui ont eu le courage de la nuance...
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Le courage de la nuance

En s'appuyant sur les textes de plusieurs grands intellectuels et écrivains du 20ème siècle, Jean Birnbaum démontre que faire preuve de nuance, n'est pas une faiblesse. Au contraire, il faut du courage pour émettre une opinion nuancée, dans le respect d'autrui, d'admettre que l'on s'est trompé, même s'il faut pour cela renier ses propres convictions, dire les choses avec empathie, parfois avec humour, sans se soucier qu'elle fasse le jeu d'un opposant, reconnaître que celui-ci peut avoir raison. C'est la radicalisation de la parole sur les réseaux sociaux, dans les médias, dans le débat politique ou l'invective, l'affirmation, ont remplacé l'échange d'idées constructif, qui l'ont amené à écrire ce livre.

Le premier de ceux qu'il nomme les « héros de l'incertitude », c'est Albert Camus, communiste pour avoir connu la misère, qui dénonce le régime stalinien, alors qu'en France les milieux communistes avec Jean Paul Sartre en tête soutiennent encore la politique de l'URSS. Raymond Aron jeune pacifiste, dans les années 30 découvre la tournure que prend la politique d'Hitler, ralliera très tôt de Gaulle, et sera également dans le premier à dénoncer le goulag. Georges Bernanos, catholique, royaliste, dénonce, dans les « Grands cimetières sous la lune », au mépris de ses convictions, les atrocités commises par les franquistes, ainsi que le silence et la complaisance de l'église chrétienne et de la droite française à l'égard de Franco. Les parcours et les prises de positions de Georges Orwell, de Hannah Arendt, de la résistante Germaine Tillion, de Roland Barthes complètent ce tableau des chantres de la nuance, qui ont toujours préservé une discussion constructive en opposition à la haine par la parole. Construit essentiellement sur des citations ce livre est une vraie bouffée d'air, il conduit à prendre du recul par rapport au brouhaha de notre époque.
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Le courage de la nuance



“Le courage de la nuance” est un essai écrit par Jean Birnbaum. Dans ce livre, l’auteur explore le concept de la nuance et nous invite à réfléchir sur son importance dans notre société actuelle.



Il part des exemples de Camus, Hannah Arendt, George Orwell ou encore Roland Barthes.



Cinq points à retenir

1. L’asphyxie des certitudes : l’auteur souligne que nous vivons dans un environnement où chacun pense détenir la vérité absolue. Les réseaux sociaux, en particulier, sont devenus des arènes d’invectives plutôt que de débats constructifs. Face à cette asphyxie intellectuelle, la nuance devient essentielle.

2. La nécessité de l’hésitation : La nuance implique de ne pas se précipiter vers des conclusions tranchées. Elle nous encourage à douter, à peser le pour et le contre, et à accepter nos incertitudes. C’est un devoir intellectuel qui permet d’explorer des territoires contrastés.

3. Le courage des limites : La nuance n’est pas une faiblesse, mais une force. Elle exige de reconnaître nos propres limites et de ne pas céder à l’aveuglement idéologique. L’auteur la qualifie d’« héroïsme de l’incertitude ».

4. La radicalité de la nuance : Dans un monde saturé d’évidences, la nuance est radicale. Elle nous pousse à sortir du brouhaha des certitudes pour explorer des zones grises. C’est une discipline de l’esprit et une liberté critique.

5. Écrire pour survivre : L’auteur a ressenti une oppression face aux certitudes inébranlables des autres. Cette nécessité d’écrire sur la nuance est née de son expérience sur les réseaux sociaux, où la propagande et l’insulte l’emportent souvent sur la réflexion.

En somme, “Le courage de la nuance” nous rappelle que la nuance est un antidote à l’intolérance et à la polarisation. Elle nous invite à respirer dans un monde où l’air devient irrespirable



Parler avec nuance est un art subtil qui requiert une approche réfléchie et attentive. Voici quelques conseils pour y parvenir :

1. Écoute active : Lorsque vous engagez une conversation, soyez attentif aux nuances des mots et des émotions exprimées par votre interlocuteur. Écoutez sans préjugés et soyez ouvert à différentes perspectives.

2. Évitez les généralisations : Évitez de catégoriser les choses en noir et blanc. La vie est rarement binaire, et il existe souvent des nuances et des exceptions. Soyez prêt à reconnaître la complexité des situations.

3. Utilisez des mots précis : Choisissez vos mots avec soin. Évitez les termes absolus comme « toujours » ou « jamais ». Préférez des expressions comme « parfois », « généralement » ou « dans certains cas ».

4. Reconnaissez les limites de votre compréhension : La nuance implique de reconnaître que nous ne pouvons pas tout savoir. Soyez humble et ouvert à apprendre davantage.

5. Acceptez les contradictions : La vie est pleine de paradoxes. Parfois, deux idées apparemment opposées peuvent coexister. Soyez prêt à accepter ces contradictions sans chercher à les résoudre immédiatement.

La nuance est un signe d’intelligence et de maturité.

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