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Critiques de Jean Carrière (54)
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L'épervier de Maheux

.

Retour aux sources...



C'est un désir , un besoin , de revenir parfois vers les belles œuvres littéraires qui ont l'esprit de Gracq , de Giono ou de Ramuz .

Et , cette fois , c'est " L'épervier de Maheux " qui surgit de ma bibliothèque ...



Ici , au cœur des Cévennes , dans les terres hautes , il y eut un temps où les hommes naissaient et survivaient dans un berceau minéral .

Une existence vouée à l'effort pour survivre : l'eau il faut aller la puiser à des kilomètres malgré la faim , le froid ou la fournaise , malgré les souffrances ...

Quant aux animaux , eux , voient toujours leur sort étroitement lié au service de l'humain ...même les plus sauvages .

Pas ou peu de mécanisation . Les cultures sont livrées aux caprices du temps ou des terres .



Et , quand la misère s'installe , les hameaux sont abandonnés , ne demeurent que quelques rares irréductibles qui , malgré tout , resteront jusqu'à leur dernier souffle , tenus par leurs racines ancrées dans le roc et la solitude .



Un peu comme un hommage , la prose de Jean Carrière , épouse les caractères de ses héros et offre une immersion subtile dans ce monde sans âge .

Il se veut parfois poète , parfois conteur , souvent humaniste et toujours merveilleusement sensible .



Au fil du récit , on pense à Giono bien sûr : les deux auteurs furent proches . Mais , Pagnol n'est pas loin non plus ( j'évite de déflorer le récit en citant certaines scènes ... liées à la recherche de l'eau ...)

Enfin , j' ajouterais un zeste de Zola .



Mais , c'est avant tout le talent de Jean Carrière qui m'a transportée . L'union à la nature est si puissante , qu'ici règne toujours une atmosphère de combat : l'humain , éphémère et fragile face l'intemporel .



Un magnifique voyage dans le passé , dans un pays sublime parce que sauvage et authentique .

Un émouvant portrait de la Lozère d'antan à la fois sensible , fort et beau mais , qui aussi nous ramène aux sources de l'humanité .

A faire découvrir , vraiment .











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L'indifférence des étoiles

Dans ce roman, Jean carrière met en scène son personnage, Gabriel, avec toute sa démarche métaphysiques, particulièrement autour du temps, qui le hante dans tous ses écrits.



Ainsi, il se préoccupe du fait que dans une cinquantaine d’années, d’autres seront assis à sa place, indifférents à son existence passée qu’ils méconnaissent, mais n’est-ce pas un peu le cas pour nous-mêmes, chaque jour, lorsque nous visitons des lieux anciens où ont vécu tant de personnes. Bien sûr, s’il s’agit d’un personnage célèbre, Victor Hugo à Paris, Mozart à Vienne, De gaulle à Colombey, on va les imaginer installés dans les lieux. Mais si ce sont des anonymes qui ont occupé ces vieux murs où nous vivons maintenant que reste-t-il d’eux ? Des arbres qu’ils ont plantés, des bords de rivière qu’ils ont fréquentés, des rochers où ils ont lu un livre, dormi, aimé...



Carrière sensibilise inévitablement son lecteur à cette mélancolie qui le hante, il la transfère au lecteur, particulièrement quand il évoque l’automne, cette saison dramatique où la nature s’habille d’ultimes splendeurs avant le pourrissement inéluctables. L’automne, il le porte en lui, en donne de sublimes descriptions, toujours chargées de cette nostalgie permanente et de la peur du froid de l’avenir qui arrive, du frois du tombeau.



Un aboutissement dans l'écriture de Carrière avec ce roman dans lequel il revisite tous les démons qui l'ont perturbé, fuite du temps, destinée, esthétique de la nature et de ses plantes, art, grandeur, décadence. Son écriture m'a paru plus riche que jamais, l'ordonnancement de ses idées magistral, dans un livre sublime.

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L'épervier de Maheux

L’épervier de Maheux ! Comme j’aurais été triste et dépourvue si j’étais passée à côté. Du Giono, du Faulkner mais surtout du Jean Carrière ; il faut bien lui en laisser la teneur.

C’est curieux comme un froissement d’aile, ici l’épervier, parfois un chien, un cheval m’attirent et tout aussi curieusement, à bon escient. Pourtant, l’épervier n’est pas cité souvent. Il plane haut dans le ciel, complètement intégré au paysage tant et si bien qu’aucun titre n’eût valu celui-ci. La dureté de la subsistance le dispute à la beauté de la nature pour ces quelques habitants isolés, comme scellés dans le roc. Abel, son frère Joseph, le père et la mère, héritiers d’un lieu, d’une histoire, d’une rigueur.

N’avoir rien ou avoir plus n’occulte pas ici la misère quand c’est seulement le fait d’avoir, juste de quoi subsister qui aurait pu tout changer ; de quoi vivre et aussi de quoi aimer tout en restant à sa hauteur, soi-même et pas un autre. Abel aime les bois, le dur labeur et il s’en serait bien contenté s’il avait pu manger à sa faim et dignement sustenter sa femme, assurer la vie du couple. Joseph lui, part à la ville, s’y nourrit bien, y travaille et se trouve entouré bien que solitaire, célibataire, désabusé. Il en est qui se remettent en question dans nos grandes métropoles suite à une épidémie, à croire que ces gens sont passés à côté de leur destin et qu’ils exercent un métier, vivent une vie qui guère ne leur convient ; un fait qui n’est en rien assimilable à de la roublardise ; c’est juste qu’à un moment on s’interroge, je crois, sur le sens de la vie, de sa vie et peut-être qu’à tant posséder on en oublie d’aimer.

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L'épervier de Maheux

L’Épervier de Maheux nous invite dans le Haut Pays Cévenol, au « commencement de hautes solitudes », quand « brusquement tout change, les torrents disparaissent, les sources se raréfient, le schiste et le granit cèdent la place au calcaire marin, le sol s’éclaire et clapote comme une vieille toiture, l’air acide nettoie les sous-sols clairsemés où le ciel apparaît avec les derniers fayards.»

« De l’os partout, un soleil africain, des ombres qui ont la fraiche amertume de l’Armorique : voilà le Haut Pays. Les vieux meurent, les enfants s’en vont, les maisons ferment : voilà son histoire. »

Le lecteur partage avec les personnages «  (…) un continuel tête à tête avec un monde abandonné à sa torpeur géologique. »

Les femmes y « passent sans transition d’une adolescence fanée (…) à une sécheresse active et sans âge. » ; et « Il n’est pas de maîtresse branche ni de poutre à portée de main qui n’aient offert au moins une fois la tentation d’y accrocher une bien vilaine corde. »

« À Maheux (…) Ni grandes joies, ni grands malheurs : des emmerdements à n’en plus finir, ça oui, mais tant que les châtaignes ont assez de goût dans l’assiette, on a sa place dans le monde. » Et, « Joseph Reilhan a bouffé sa part de vache enragée : du corbeau pour tout dire. »,  pense : « Quand le présent montrait tant d’exigences, qui se serait soucié du futur.» ?

« Ce n’était pas exactement la misère ; c’était une frugalité traditionnelle avec laquelle on avait l’habitude de s’entendre et de faire bonne figure, puisque tout le monde, ou presque, était logé à la même enseigne. »

Un roman hallucinant, végétal et minéral où l’humain ne trouve sa place qu’en acceptant « l’harmonie imposée » par la nature. Où, « ce que l’on faisait aujourd’hui, on n’était pas sûr de pouvoir le refaire demain. »

Comme une avalanche, l’écriture de Carrière nous ensevelit sous un déluge de sentiments contradictoires, colère-nostalgie ; rage-désespoir ; fureur-compassion ; impuissance-admiration ; peur-renoncement.

À plusieurs reprises le lecteur se prend à évoquer la chanson de Jean Ferrat, pourtant que la montagne est belle, où la résignation des personnages le dispute à la majesté de la nature immuable que l’humanité ne peut qu’humilier en essayant de la réduire à un rôle d’esclave. Piteuse vengeance.

Très louable initiative du journal Le Figaro et sa collection « Le meilleur du Prix Goncourt ».

Un livre à lire et relire.

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L'épervier de Maheux

le 21 novembre 1972, le Nîmois Jean Carrière, 44 ans, obtenait le prix Goncourt pour son deuxième roman, « l’Epervier de Maheux »,

Il a eu plus de mal que de bien.

--Le bien tout d'abord , Ce livre à eu un succés énorme et une vente très grande , normal car pour moi

c'est un livre plus que du terroir c'est un homme qui est à la recherche de soi dans une nature aride et dure .

j'ose le dire un chef d'oeuvre!

-- Le mal ? pourquoi ? il est catalogué '"écrivain régionaliste ",cela le chagrine!il ne le supporte pas

Il sombra dans la dépression, (difficile à comprendre ) c'est une gratitude envers lui qui à tourné à la malédiction –

c’était, dit-il, le prix à payer: Il confie : "L'écriture devient inabordable. On ne peux plus écrire

car on ne peut plus vivre et pour moi vivre et écrire c'était une seule et même chose...

On est perdu pour la littérature mais on est perdu pour la vie

Et il pensa même à se suicider en se jetant du haut de l’Aigoual.



Tout ça pour dire que moi même je ne sais pas ,c'est pour moi une énigme ! sa jeunesse peut être ? mais bon !

La trame de ce livre précieux, pour moi, classé dans ma biblio comme un des meilleurs.

Il y a un homme ,un épervier ,une famille qui vit dans la pauvreté (etait ce la sienne ? ) dans une région rude ,les Cévennes loin de toutes les commodités .

C'est une histoire tragique , une écriture superbe qui relate des évenements des personnages vivant là ou la vie est difficiles , des paysages tristes ,sombres.

J'ai trouvé quand même , des notes poètiques et philosophiques ,dans ce récit que nous livre Jean Carrière ,

avec une telle profondeur que pour s'y intégrer , j'ai eu une disposition d'esprit s'inclinant à porter une bonté indulgente à tous les membres de cette famille le père,la mère le fils ainé ,le fils cadet. On les voit ! au travers des mots , on les comprend .

J'ai pensé aux "âmes grises "de Philippe Claudel

En définitive ,c'est un livre que une fois commencé on ne le lache pas !

alors lisez et plonger vous dans les Cévennes ,rude et sauvage ,riche dans son histoire grandiose.

Suivez le vol majestueux de "l'épervier de Maheux"
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Les années sauvages

Les années sauvages, parenthèse enchantée dans la mémoire du narrateur, mais également symbole d'un abandon qui n'aura jamais été digéré. Roman magnifique de Jean Carrière, à la fois roman d'amour, passion ardente ou émoi d'adolescent, mais également roman historique se déroulant en partie pendant la seconde guerre mondiale.

Livre formidablement bien écrit, semé de réflexion sur la vie, l'existence.

La littérature mais surtout la musique sont des personnages à part entière, présent tout du long, références distillées suivant l'état d'esprit des protagonistes.

La famille, la trahison, l'amour, le destin, la fuite, autant de thèmes mêlés qui vous toucheront sans doute.

En tout cas, cette lecture m'a donné envie de redécouvrir un autre livre de cet auteur "L'épervier de Maheux", prix Goncourt 1972.
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L'épervier de Maheux

Si les paysans de Maheux ne parviennent pas à « lâcher » cette terre aride des Cévennes, force est de reconnaître qu’il n’est pas facile non plus de lâcher ce livre somptueux.

« L’épervier de Maheux », c’est l’histoire de ces familles qui se meurent sur leurs terres, en quasi-autarcie, sur fond d’exode rural ; mais avaient-ils le choix : « là où la chèvre est attachée il faut qu'elle broute » dit-on.

Deuxième ouvrage de Jean Carrière après « Retour à Uzès », « L’épervier de Maheux » valut à son auteur les honneurs du Prix Goncourt, assorties de critiques acerbes et l’étiquette régionaliste qu’on tenta de lui faire porter ; inconcevable pour ce proche de Giono. Giono, régionaliste lui aussi sans doute, qui dépeint si bien « sa » Provence ?

Qu’importe, le prix Goncourt lui apporta la célébrité, mais aussi profonde dépression ; preuve que les Hautes Terres cévenoles ensoleillées ne préparent pas forcement aux feux de la rampe.

« L’épervier de Maheux » reste un roman d’une rare force qui ne soffre pas de la comparaison avec Jean Giono. A lire et à relire.

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L'épervier de Maheux

Il faut s’accrocher pour démarrer. Les phrases ne sont pas simples. Jean Carrière nous offre une langue râpeuse, rude et tellurique, toute de cailloux et de douleurs. Le pays est lourd, âpre, peu enclin à la présence humaine. C’est un endroit où « il n’est pas de maîtresse branche ni de poutre à portée de main qui n’aient offert au moins une fois la tentation d’y accrocher un bien vilaine corde ». Une peinture du pays cévenol qui sort des sentiers touristiques.



Le vieux Reilhan, taiseux lunaire, trouve sa consolation dans la « navigation à travers les grands espaces » « avec enfin le ciel immense pour lui seul » quand il peut emprunter un cheval pour labourer ses champs hauts. Samuel, le benjamin, cultive son handicap par mollesse et se débat avec une mère omniprésente. Abel, l’aîné, est un ours des montagnes buté. Il s’acharne à « tirer avec un mauvais fusil sur une cible inaccessible ». Les personnages secondaires ont autant de densité que les personnages principaux. Ils marquent, frappent l’imagination de leur réalité.



Le médecin, surtout, personnage cynique, cultivé, au regard distancié, parsème le roman de ses commentaires, témoin désabusé mais aimant à sa façon. L’irréalité des apparences matérielles face à la vie de l’esprit, la valeur dérisoire de l’être humain écrasé par les parois de la montagne, la superficialité de la vie courante, l’habitent à le hanter.



« Il vaudrait mieux être une pierre que ce nous sommes. » (315)



Un de ces bouleversements littéraires qui remuent l’intérieur comme il en arrive rarement. J’ai été soufflée.
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L'épervier de Maheux

Rudesse cévenole.



Les derniers vestiges d'une humanité immémoriale se tapit encore dans les Cévennes des années cinquante. Malgré les ravages de l'exode rural, des êtres attachés encore à cette terre ingrate vivotent dans un paysage minéral.

La dernière génération reste tiraillée entre le confort relatif promis par une fuite vers une vie plus douce et ce lien multiséculaire avec ce pays austère et implacable.

C'est l'histoire de la fin d'un monde, avec toutes ses contradictions et ses souffrances existentielles...
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L'épervier de Maheux

Prix Goncourt de Littérature 1972



ISBN : 2 253 00111 2



"... Et Reilhan le Taciturne engendra Abel,

Puis il engendra Joseph Samuel,

Et ensuite il mourut loin de tout secours,

Une grâce que Yahveh lui accorda

Parce qu'il s'était toujours soumis à Sa Volonté.

Et Abel engendra une fille qui mourut à la naissance.

Et Joseph-Samuel n'engendra personne.

Parce que, à l'inverse du Taciturne,

Abel osa défier l'Eternel

Et parce que Joseph-Samuel

0sa se poser trop de questions sur Ses Voies.

Ainsi Jehovah les brisa tous deux

Comme l'homme brise de simples noix,

Car telle était Sa Volonté,

Que celle-ci soit faite à jamais."



Cette courte litanie, entièrement de mon invention (et qui ne vise pas à la rime), résumerait assez bien "L'Epervier de Maheux" et le destin abominable de ses héros. Autant vous recommander, dès le début, de n'offrir cet ouvrage ni à un dépressif, ni à un pessimiste. A moins que Jehovah ne vous ait soufflé de les pousser au suicide, bien sûr. Et même dans ce cas-là, méfiez-vous du retour de bâton ...



Ce jugement, que j'estime lucide bien qu'impitoyable, ne m'empêche en rien d'approuver la remise du Goncourt 72 à Jean Carrière. Son "Epervier de Maheux" est l'un des textes les plus puissants que j'ai pu lire sur la vie rurale. Et l'on voit bien, dans la poésie de son style et le naturel apparent de ses descriptions de ces terribles Cévennes où se déroule l'action qu'il ne fut pas pour rien le secrétaire du grand Giono. Mais là où Giono maintient l'espérance, Carrière laisse son lecteur nu, livré à lui-même aussi bien dans la sécheresse atroce de l'été que dans la glace infernale de l'hiver, le tout sous l'oeil d'un Jéhovah tout-à-fait fidèle à son profil biblique : hostile, perpétuellement courroucé, indifférent à la souffrance, et l'encourageant même, d'un orgueil luciférien et doté d'un mépris envers ses créatures que Zeus lui-même n'afficha jamais.



Les Reilhan, comme la plupart de leurs voisins, sont protestants. Je serais même tentée, sans preuve aucune, d'ajouter calvinistes purs et durs. Passons sur les persécutions que subirent leurs ancêtres dans les siècles passés : si cela explique peut-être certaines de leurs lâchetés, cela ne justifie en rien leur passivité révoltante face celui qu'ils nomment l'Eternel. C'est bien simple : plus ledit Eternel se révèle hargneux et injuste envers eux, plus ils le glorifient . Puisque l'Eternel le veut, laissons-nous piétiner et, si possible, trouvons le moyen de nous piétiner nous-mêmes ...



Chez Reilhan Père, surnommé le Taciturne, qui n'a trouvé à se marier qu'en recopiant sans vergogne - et donc, en mentant à celle qui espérait en lui - les modèles de lettres trouvés dans un antique paquet de "Veillées des Chaumières", le piétinement de soi, l'écrasement volontaire sous la volonté soi-disant divine, se manifestent par un attachement quasi obsessionnel à sa terre. Si encore il s'agissait d'une terre relativement normale, comme celle de "La Terre", ce roman de Zola (peut-être le plus dur, à bien y réfléchir, de la saga des Rougon-Macquart), mais non : la terre du Taciturne fait toujours des siennes. Aussi maussade que le Dieu vénéré par son propriétaire, elle se dessèche à plaisir, ou alors se convulse avec volupté sous des pluies qui tuent les éventuelles récoltes. Ne parlons pas des mois les plus terribles de l'hiver où tout gèle, glace et expose tout un chacun à grelotter dans son coin en avalant son assiettée de bajara - un mélange de lait et de châtaignes. Quand encore il y a du lait ...



Reilhan aurait pu, avec un peu d'effort et un peu plus de jugeote, vivre avec plus de dignité. Mais bon, puisque Jehovah a voulu que ce soit ainsi, n'est-ce pas ? ...



Joseph-Samuel, son second fils, prendra avec le temps celui de s'interroger sur ce Dieu si sévère. Sa mère rêve de le voir devenir pasteur mais il devra se contenter, grâce d'ailleurs à l'appui du pasteur de Florac, le hameau voisin, lequel a de la famille en Suisse, de devenir vendeur dans une librairie religieuse, au pays du chocolat et des montagnes, des vraies. A la fin du roman, on se demande encore si Joseph croit ou non en un Dieu, quel que soit Celui-ci. On sait en tout cas que, s'il s'est fait à l'idée de reposer un jour à côté des membres de sa famille, dans le cimetière qui jouxte les bâtiments délabrés de Maheux où il passa sa jeunesse, jamais il n'acceptera de revenir vivre là en attendant la Camarde.



Ainsi, en quelque sorte, Joseph parvient à s'échapper. En est-il plus heureux ? Un peu sans doute. Mais à peine : le Dieu terrible de son enfance et de sa jeunesse, les conditions dans lesquelles il a grandi, l'abandon dans lequel il a laissé sa mère, laquelle a pourtant tout sacrifié pour lui, le mépris qui est né en lui envers tout son passé à Maheux et ses origines paysannes, ce reniement presque total en fait l'en empêcheront à jamais d'abord parce qu'il possède une certaine sensibilité et ensuite parce que, bien que le plus intelligent des deux frères, ce n'est tout de même pas une flèche.



Abel, lui, par contre, esprit beaucoup plus simple (pour être franc, les gens de Maheux apparaissent souvent au lecteur comme des êtres primitifs perdus en plein XXème siècle), se satisfait de son mode de vie. Jusqu'au jour où, pour qu'elle s'occupe de sa mère, laquelle a perdu la raison, la malheureuse, après le départ pour la Suisse de son cher Joseph (son préféré de toujours), il épouse Marie la Noiraude, la fille d'un ami de son père. Au début, la jeune femme met de l'ordre et essaie d'arranger les choses. Mais, née et élevée plus bas, chez un fermier plus riche, moins soumise également (les femmes ne sont-elles pas des créatures du Démon ? ) à la Loi de l'Eternel, elle se rend très vite compte que le sempiternel combat d'Abel est perdu d'avance. Et le jour arrive où elle le quitte pour retourner chez son père ...



Je passe sur la fin : vous n'aurez pas grand mal à la deviner mais vous en aurez peut-être plus à imaginer l'abominable tour que Jéhovah, toujours lui, joue au malheureux Abel, lequel, en une scène de révolte que j'ai beaucoup aimée bien que sachant qu'elle venait trop tard, hélas, tant pour Abel que pour le lecteur, refuse enfin de se coucher devant celui qui lui a donné des dés pipés pour jouer sa vie.



Âpre, sans concession, le style de Carrière, derrière lequel on devine, en parallèle à l'influence de Jean Giono, les démons personnels de l'auteur, nous donne probablement l'un des plus grands romans de la littérature française - non, je n'exagère pas - et l'une des remises en question les plus incisives et les plus implacables de la religion et de Dieu, particulièrement le "Dieu de Colère" du protestantisme. On y décèle aussi la révolte personnelle de l'écrivain face à la passivité, encouragée, et pour tout dire imposée, par cette religion haineuse (désolée mais je vois mal quel adjectif utiliser à la place) à un peuple à qui il voue une tendresse et une admiration profondes mais auquel il en veut tout aussi profondément de se soumettre sans protester à une parole qualifiée de "divine" alors qu'elle ne cesse d'humilier et d'amoindrir la créature au profit de son supposé Créateur. le seul avantage reste la déresponsabilisation, en tout cas envers les vivants, des gens de Maheux. (Mais ils n'en demeurent pas moins responsables de tout devant leur cher Eternel, cela va sans dire .)



Un avantage aussi ténu en vaut-il la peine devant la Folie qui les guette tous et qui finit par les toucher, un jour ou l'autre ? D'ailleurs, cet épervier qu'Abel ne cesse d'apercevoir, tournoyant au dessus de lui et de ses travaux divers (et qui échoueront tous) pour donner satisfaction à son épouse, n'est-il pas le symbole de cette Folie, de ce Mal qui le guettent comme ils ont guetté son père, sa mère et tant d'autres ? Et n'est-ce pas au moment où il le croit enfin mort qu'Abel est, sans le savoir, pris au piège de son destin ? Et pour finir, cet épervier est-il réel ou n'est-ce qu'une hallucination engendrée par un cerveau très simple, harassé de soleil et de fatigue, et qui n'aspire plus qu'à libérer une fois pour toutes l'esprit, si simple soit-il, qu'il abrite ? ...



A vous de vous faire une opinion. Mais accrochez-vous bien : "L'Epervier de Maheux", avec son rythme lent et l'horreur larvée et aussi vieille que le monde qu'il nous dépeint, est un roman redoutable. ;o)
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L'épervier de Maheux

Le chef d'oeuvre de Carrière, couronné par le Goncourt qui lui apporta plus de perturbations que de gloire qu'il ne recherchait d'ailleurs pas. Son écriture pose parfaitement les personnages, principalement celui d'Abel que l'on suit au long du roman, dans ses errances cévenoles, au fond de ce village de Maheux, sous l'oeil de l'épervier qui tournoie dans l'azur. Les landes des Cévennes brûlent sous le soleil, comme la Provence de Giono, idole de Carrière, et comme la cervelle d'Abel. Ouvrage d'une amplitude unique qui méritait largement sa récompense.
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L'épervier de Maheux

Lors d’un dîner, un ami me demande : « Mais attends Benjamin, c’est quoi pour toi un style exceptionnel ? »





Dans mon cas, quand je surligne sur la tablette, prends des photos ou annote dans la marge, cela prouve mon admiration.



Cela n’a rien à voir avec l’histoire (qui peut être banale ou ennuyeuse). Ce n’est pas toujours lié avec l’accessibilité du texte (un style exceptionnel peut être simple), c’est un ensemble de tournures, de mots, d’idées et de rythmes.



Je viens de finir l’Épervier de Maheux, de Jean Carrière, et quelle puissance, quelle densité, quelle force dans l’écriture ! Je retrouve mon livre préféré : 100 ans de solitude de Gabriel García Márquez. Certes, l’histoire en elle-même ne m’a pas emporté sur presque toute la première partie et certains passages m’ont paru longs, mais cela n’empêche pas le chef-d’œuvre.



L’Épervier de Maheux raconte le sacrifice d’une vie, courte, de 4 membres de la famille Reilhan. Dans une terre maudite (ce raccourci, trop facile, n’est pas employé par Carrière), un enfer vécu sans se plaindre (encore d’autres raccourcis). Je vous préviens : les descriptions s’éternisent tout comme l’hiver local ; l’humour reste exceptionnel, comme une unique menthe à l’eau savourée dans toute leur vie ; le vocabulaire est riche, du coin et parfois désuet comme tout semblait l’être à Maheux.



Ce Goncourt 1972 (immense succès avec plus de 2 millions d’exemplaires vendus, tombé de nos jours dans l’oubli, sauf dans le Gard) mérite une lecture et une relecture pour ceux parmi vous qui l’ont lu il y a 50 ans. J’ai connu Jean Carrière, quand j’étais un garçonnet, dans son chalet à Camprieu. 35 ans après, je le lis enfin et j’espère pouvoir le relire dans 50 ans.
Lien : https://benjaminaudoye.com/2..
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L'épervier de Maheux

Voici un prix Goncourt (1972) amplement mérité mais qui semble bien oublié, aujourd'hui !

En effet, je ne connaissais ni l'oeuvre, ni l'auteur et quelle belle découverte, dans mon défi "prix Goncourt".

Après avoir sillonné les Cévennes, sur le chemin de Stevenson, il y a quelques années, j'ai beaucoup aimé la découverte approfondie de cette région isolée, pauvre, au climat rude. Les êtres sont façonnés par cette rudesse et l'austérité de cet environnement, que l'on trouve au plus profond d'eux même et que l'on ne peut comprendre si l'on reste à la surface des choses. L'attachement à leur pays n'apportait que la misère à ces hommes et ces femmes qui ne choisissaient l'exode vers les villes et le progrès des trente glorieuses.

Une écriture splendide, à la Giono, à découvrir ou redécouvrir.



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L'épervier de Maheux

Quel roman, un tout grand roman, prix Goncourt 1972. L'auteur nous raconte la vie dans les Cévennes, le hameau perdu de Maheux pas loin de Florac. Les descriptions sont majestueuses, les étés torrides, les hivers qui quelques fois n'en finissent pas, et dans ce décor vit la famille Reilhan, des personnages un peu sauvages, rustres qui à l'époque se nourrissaient de châtaignes à longueurs d'années.
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Le prix d'un Goncourt

Récit autobiographique, comme “Le nez dans l’herbe”, qui l’a précédé, “Le prix d’un Goncourt” est beaucoup plus douloureux. Le ton est plus réaliste, plus proche du récit. Plus intimiste aussi.



Jean Carrière reprend beaucoup d’éléments déjà abordés mais en les approfondissant. Sur son enfance, notamment. Il raconte en détail le passage, à l’âge de 8 ans, de l’état de “larve musicienne” à celui de papillon ivre de vent, de terre et d’herbe. Puis le basculement, 10 ans plus tard, la perte du lien vivant avec la réalité, la plongée dans l’angoisse, la décomposition des sens qui rend le présent inhabitable.



C’est cette faille entre un “présent désert” et un “passé luxuriant” qui l’amènera à l’écriture.



La réception du Prix Goncourt ne fera qu’aggraver cet état. Le petit monde parisien de “ceux qui s’imaginent avoir sucé la Tour Eiffel pour la rendre pointue” [Jean Giono] et les attentes des lecteurs mèneront Jean Carrière vers la panne, l’état de légume, “l’infirmité mentale qui me fourrait sous les couvertures”.



“Il n’y avait plus ni haut ni bas, ni envers ni endroit, ni dedans ni dehors.” (987)



Il connaîtra une résurrection en 1984, grâce à l’arrivée sur le marché d’une nouvelle molécule qui jugule ses états maniaco-dépressifs. L’Aigoual lui tend alors les bras.



“En somme j’étais devenu un homme à peu près normal, c’est-à-dire capable de s’utiliser sans brûler vif.” (999)



Un témoignage déchirant où l’auteur se met à nu.
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Les années sauvages

Un de mes romans préférés de Jean Carrière car j'y trouve tout ce que j'aime chez lui, ses références autobiographiques, l'enfance, l'adolescence, les premières choses vécues qui ne reviendront jamais telles quelles, la fuite du temps, les Cévennes. Son écriture, riche, porte avec tellement de puissance tous ses sentiments que je suis ébloui à chaque page, par exemple l'arrivée dans la maison de sa mère, les ronces, les conserves et le message de mise en garde contre le botulisme. En plus, dans ce roman, il insère une histoire d'amour positive qui ajoute encore à la plénitude ressentie en le lisant.
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L'empire des songes

Roman qui au premier abord parait simple, de lecture aisée, intéressant.... mais qui en fait est un vrai noeud, une pelote, une spirale plutôt où se cotoient différents temps du même personnage, sans que l'on sache jamais si ce qu'on est en train de lire est en train de se dérouler, va se dérouler ou s'est déjà déroulé; et en même temps, si ce qu'on lit est la réalité ou le monde fantasmatique du héros Emmanuel.



L'histoire, s'il faut la résumer, tient en une phrase : à l'âge de 10 ans, le père d'Emmanuel l'emmène en randonnée pour gravir une montagne qu'il nommera "le mont Sinaï", mais l'expédition echouera; cet échec hantera Emmanuel toute sa vie, et il ne cessera de vouloir revivre cette expérience (en rêve et puis en vrai, avec son propre fils) pour la mener à bien.



C'est habile, car le roman part de l'idéalisme un peu fou du père, des névroses de la mère pour les choses qui ont rapport à la sexualité, deux personnages qui du départ ne sont pas bien "dans les clous"; à côté de ça une grand-mère modèle, et voilà l'environnement pas très épanouissant du petit Emmanuel qui est posé, et qui lui déclenchera à lui aussi de drôles de réflexions (sur Dieu notamment), prémice d'une sorte de folie, d'une confusion continuelle entre la réalité et le rêve qui fait que toute sa vie, il passera à côté de la sienne (sic!).



Au-delà de la confusion volontaire des époques, des lieux et des personnages grâce à laquelle on plonge progressivement dans la folie du héros, l'écriture peint une nature riche (même si les descriptions n'égalent pas les Giono et autres!)



Au vu de mes connaissances bibliques (néantes...) il m'a fallu aller rechercher ce qu'était le Mont Sinaï (vu que c'est quand même, dans le roman, un point fondateur ("nous avons tous notre Mont Sinaï", comme un rêve intime, une quête) et donc là j'apprends que c'est là que Moïse reçut ses 10 commandements (allons bon, encore un truc à aller chercher!). Nul doute qu'il ne faille faire une analyse un peu plus poussée sur ce thème...Mais là va falloir que je bosse!



En tout cas c'est un livre déroutant... J'irai voir ce que ce monsieur a écrit d'autre...
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Un jardin pour l'Eternel

“Il était toujours prêt à voir un signe du ciel”



On ne sait pas si Pierre-Ézechiel est inspiré ou halluciné. Folie et ouverture spirituelle. Perte des limites habituelles, des repères sociaux. Tout entier habité de lumière, de joie et d’émerveillement. Tout entier aussi habité d’effort, de patience, de persévérance et de solitude. À tel point que la compagnie des hommes lui est une perte de temps.



On retrouve Abel Reilhan, son entêtement, son impuissance. On retrouve le Père Reilhan et ses pas dans le ciel quand il laboure les champs hauts. L’intrication mystique de la nature et des élans de l’homme est une fois de plus au cœur des interrogations de Jean Carrière.



J’ai été, comme lors de ma lecture de “L’épervier de Maheux”, soufflée par la puissance d’écriture de cet écrivain. Elle véhicule une dimension intérieure qui me parle au fond des tripes.
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L'épervier de Maheux

Un livre âpre, difficile, qui ne se donne pas facilement au lecteur. Les Cévennes sont rudes, y vivre ressemble à un exploit que la famille Reilhan va tenter d'accomplir sur deux générations. Maheux c'est le lieu-dit où ils vivent, où ils survivent, car leur existence est marquée par une misère subie comme une malédiction.

Le père Reilhan, le taciturne, épouse par correspondance une jeune fille qui pensait trouver là, dans ce lieu isolé, un ciel bleu, une nature accueillante et une autre vie que celle de la mine et de la poussière. Ce sera plutôt pour elle des privations, un silence hostile et de la duplicité. Deux garçons complètent la famille Abel et Joseph-Samuel. on les suit donc d'avant la seconde guerre mondiale aux années cinquante.

Le récit ne se déroule pas d'un façon linéaire, disons plutôt qu'il met en avant des scènes capitales et frappantes passant plus vite sur le reste ou l'éludant complètement, c'est un peu déroutant et alors on ne peut pas s'attacher aux personnages, sans doute est-ce volontaire, ils n'auront même pas eu droit à notre empathie, leur désespoir n'en est que plus absolu; donc on assiste à des moments clés : la chute de Joseph, son passage en Suisse, la mort du père ( sous les étoiles en sorte de régression bénéfique, c'est poignant et très beau), l'arrivée de l'épouse d'Abel, la recherche désespérée de la source...

Maheux est hors du monde, là où la nature semble se fermer où vivre est forcément une lutte contre les éléments marquée par une fatalité. La mère subit cette fatalité et son attitude avec joseph, le gâtant à l'insu des deux autres le gavant alors que le père et l'aîné se nourrissent de châtaignes, cette attitude donc est une toute petite victoire, une façon de penser échapper au destin sordide de mourir de faim et de solitude.

Abel croit pouvoir lui aussi s'en sortir et se lance dans la captation d'une source pour pallier la sécheresse, il s'y épuise mais y puise aussi la force d'affronter une forme de désespoir.

Tout est si sombre, si dur, si pessimiste, le texte , par sa beauté et son exigence, compense la noirceur de tout cela.
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La Caverne des pestiférés, tome 1 : Lazare

Dans ce premier tome de La caverne des pestiférés, Jean Carrière conte l'histoire d'un groupe d'hommes, femmes, enfants qui fuit le choléra sévissant dans la région de Marseille au début du XIXème siècle, pour s'installer dans les Cévennes, au-dessus du Trévezel dans une caverne, en position dominante, à l'abri des miasmes et, l'espèrent-ils de tout autre danger. Très belle expression de l'écriture nature de Carrière qui construit des personnages forts que l'on suit avec plaisir dans leur odyssée.
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