Le côté sensitif ne peut être exclu. Bien sûr, on peut dire d'un alpiniste qu'il se prépare comme un autre sportif. Mais pour lui, se préparer, c'est établir aussi une relation avec la montagne, s'en imprégner.
Le précipité des événements est instantané. La corde, fouet désemparé, file et claque à proximité. Et je vois Pierre partir, la tête tournée vers le ciel, les bras impuissants, le dos lesté par son gros sac. Il est emmitouflé dans sa capuche, Bibendum indéfinissable, et pourtant ses yeux sont là qui me transpercent ! Deux lumières qui s'éternisent dans le vide. Deux interrogations habitées par l'effroi. Pierre disparaît, son corps se dérobe, sa silhouette est aspirée par le néant, mais ses yeux sont toujours là qui m'interrogent.
L'utilisation de l'oxygène n'est pas qu'une contrainte, c'est un mensonge. Les pionniers n'ont pas profité de cet avantage. Bien qu'on ne sût même pas si un être humain normalement constitué pouvait ou non vivre au-delà de 7 000 mètres, dès avant la guerre des tentatives très poussées à l'Everest ou au K2 avaient été menées à plus de huit mille sans oxygène. Ensuite c'est l'esprit de conquête qui a tout faussé : il fallait donner toutes les chances à la victoire. Il me semble, aujourd'hui, totalement injustifié d'utiliser cette "béquille".
Dans les Alpes, il existe toujours une soupape de sécurité : l'existence des secours. En Himalaya, dès que vous vous engagez dans une face, même sur des parcours "balisés", comme peut l'être la voie sud de l'Everest, le candidat au sommet est obligé de couper le "cordon ombilical" qui le relie au camp de base et donc au monde des vivants.
Les mystères de l'alpiniste sont aussi impénétrables à ses pratiquants qu'à ceux qui ne mettent jamais les pieds en montagne. La seule explication que j'avance : me retrouver là-haut après avoir tout donné me permettait de rêver encore, de rêver plus fort.
En réalité la fascination pour cette montagne n'a rien à voir avec l'escalade. Le K2 est une mise à l'épreuve. Le grimper est une confrontation permanente avec la peur de la mort. Le K2 est une personnification géologique de l'angoisse.
(Greg Child, dans "Théorème de la peur")
Assis sur ma vire, pourquoi L’insoutenable légèreté de l’être, ce titre de Milan Kundera me revient-il à l’esprit ? Parce qu’il rapporte des destins qui sont précisément le jouet des circonstances ?
Que disait Messner ? Que si l'alpinisme ne se posait que la question de la fin et pas celle des moyens, il était foutu. Grâce aux pitons à expansion qui se placent dans des trous préalablement forés et tiennent dans dans n'importe quel rocher, toutes les parois devenaient accessibles. Il fallait donc les proscrire sous peine de voir notre terrain d'aventure se réduire à une arène pour vaniteux.
Au pied d'une paroi, les grimpeurs ressemblent à ces gamins qui essayent de trouver le courage de s'élancer d'une branche d'arbre dans l'eau profonde. Ils se regardent l'un l'autre et le pacte prend la forme d'un défi : "Je sauterai si tu le fais". S'encorder, c'est sauter. (David Roberts, dans "Moments de doute")
En 1996, le Suédois Goran Kropp a gravi l’Everest avec une idée bien à lui : parti de Stockholm à bicyclette, il a effectué le trajet jusqu’à Katmandou de cette façon, gagné le camp de base à pied et atteint le sommet sans oxygène. Plus fort encore : il est redescendu au camp de base, a rejoint Katmandou toujours à pied et est revenu chez lui à bicyclette évidemment !