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Citations de Jean Clair (210)


En saisissant un moment, les Impressionnistes croyaient avec lui, saisir le réel : mais ils n'en prélevaient que la peau lumineuse. Leur art ne fut qu'un illusionnisme de la surface, qu'un jeu pelliculaire. Le propos de Bonnard était bien différent qui, désarmé devant le motif, consistait à s'en laisser pénétrer pour ne le faire revivre que plus tard, lorsque la décantation de la mémoire n'ayant gardé de lui que ses qualités les plus fines et les plus insistantes, sa lumière et son parfum, il brillerait de tout son éclat dans l'air plus pur du souvenir, goûtant en lui la félicité que, trébuchant sur les pavés grossiers de Guermantes, Proust éprouvait à s'imaginer transporté sur les dalles de la place Saint Marc ou bien encore, percevant le choc d'une cuiller contre une assiette, à revoir surgir autour de lui un petit bois vert et parfumé. p 51
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Les souffrances, les peurs, les humiliations subies dans l'enfance, on les retrouve parfois comme une vieille blessure, avec un pouvoir intact de faire mal. Sur le coup, quand on les avait éprouvées, anesthésié par le choc, on n'avait rien senti, tout entier mobilisé pour survivre à ces années noires. Mais longtemps après, des décennies plus tard, parfois dans le bonheur et l'opulence et tout souci disparu, la douleur que l'on croyait éteinte se réveille, aussi vive que dans le passé, plus mordante encore d'insister, comme un membre fantôme qui vous dévore alors qu'il n'est plus là,comme si le mal ne vous avait jamais quitté et qu'il n'avait servi à rien de vieillir.
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Devant cette épouvante, Music se souvenait d’avoir été un peintre. Interdit, effrayé, privé de mots devant les cadavres, le vieux besoin de figurer remontait en lui. Si témoignage il y avait, il passait par le regard. Le peintre avait en charge ces corps dont personne ne s’occupait, à qui nul ne rendrait le devoir de les ensevelir. Il les portait dans ses yeux comme on porte un corps dans ses bras. Les regardant, il leur témoignait les derniers égards. Les dessinant, il les voyait. Les découvrant, il posait sur leur nudité scandaleuse le voile miséricordieux du regard.
(…) C’était aussi, cette « grâce » que l’art nous donne, un moyen de vivre en paix avec soi, de survivre en paix. On pouvait se sentir coupable d’avoir survécu, non d’avoir témoigné. « Je suis en paix avec moi-même parce que j’ai témoigné », devait dire Primo Levi. p 39-40
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La théorie des germes confirme la pensée symboliste selon laquelle la réalité visible n'est qu'illusion, et les grandes vérités relèvent de l'invisible. Les effets d'ombre et de flou qui caractérisent les travaux de certains symbolistes, comme Eugène Carrière et Redon à ses débuts, évoquent une matière qui n'est ni massive ni imperméable. Les microbes invisibles sont également associés à une présence insidieuse, malveillante.
Dans son "Là-bas" satanique, Huysmans écrit : " L'espace est peuplé de microbes ; est-il plus surprenant qu'il regorge aussi d'esprit et de larves ? L'eau, le vinaigre, foisonnent d'animalcules, le microscope nous les montre ; pourtant l'air, inaccessible à la vue et aux instruments de l'homme, ne fourmillerait-il pas, comme les autres éléments, d'êtres plus ou moins corporels, d'embryons plus ou moins mûrs ".
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Le calembour est une fausse monnaie. Il circule dans les fins de siècle, mêlé aux objets surchargés, ridicules, inutiles et laids qui encombrent les intérieurs. Il relève des curiosa, cette catégorie de la littérature pour esprits énervés qui caractérise ces époques. Mais il peut aussi, à tout moment, circuler dans les petits cercles des dandys, des oisifs, des parasites, où il faut surtout ne jamais rien prendre au sérieux. Le journalisme et la télévision sont aujourd’hui son terreau d’élection.

Et maintenant, mêlées au tutoiement d’usage, ce sont les informations à la radio, les interviews à la télévision dont on entend ricaner les auteurs, d’une oreille incrédule, quand tout entretien sur les affaires du monde n’est plus guère qu’assaut de plaisanteries, magasin de farces et attrapes, succession de sous-entendus graveleux. De proche en proche, c’est tout l’entendement qui s’en trouve gangrené. Si le calembour est la fiente de l’esprit qui vole, les journalistes sont devenus les nouveaux Adulateurs de l’instant, ceux que découvrait Dante, baignant dans leurs excréments, au fond de la seconde bolge de l’Enfer.
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p 102 103 Cet homme qui confiait, il y a dix ans : « Il faudrait pouvoir travailler les yeux fermés », se tient aujourd’hui, frappé de cécité, dans un éloignement qui est aussi la plus éclatante des proximités.
(…) peindre les yeux fermés, c’est alléger encore ce corps trop lourd, le mettre en balance, de façon à trouver le juste équilibre entre le petit peu de terre que porte le pinceau et le grain de lumière dont on aspire à retrouver l’éclat. Peindre les yeux fermés, c’est peindre par coeur, comme un musicien exécute un morceau qu’il aime sans regarder sa partition. C’est la musique qui habite le corps tout entier, du creux de l’oreille au bout des doigts, et il suffit de la laisser jaillir de soi sans plus se référer à l’écriture qui la conserve au dehors. Ainsi est-il des visages, le sien et ceux qu’on a aimés, imprimés si fort en soi que c’est en aveugle que la main en trace fidèlement le contour sur la toile.

Tel est cet homme, redivivus et vir clarissimus, qui se dessine, dans la solitude de sa chambre, et l’abandon d’une époque anonyme et massive, songeant aux milliers de visages qui l’ont annoncé, aux yeux brûlés de fièvre, comme à ceux qui lui succéderont.
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Quelle langue fut plus délectable, traversée de traits féroces, que la langue de Voltaire, de Diderot, de Beaumarchais, de Mirabeau ? De fait, nous ne pourrions pas aujourd'hui, dans notre société démocratique, écrire ne serait-ce que la moitié de ce qu'ils se permettaient de publier sous la surveillance constante de la censure royale. Mieux valait être lu par Malesherbes que par les chroniqueurs d'aujourd'hui qui décident de ce qu'il convient de dire et de taire.
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"Du culte à la culture, de la culture au culturel, du culturel au culte de l'argent, c'est tout naturellement qu'on était tombé, on l'a vu, au niveau des latrines ! Jeff Koons, Damien Hirst, Jean Fabre, Serrano et son Piss Christ, et avec eux, envahissant, ce compagnon accoutumé, son double sans odeur : l'or, la spéculation, les foires de l'art, les entrepôts discrets façon, Schaulager, ou les musées anciens changés en des Show Room clinquants, façon Palais Grassi, les ventes aux enchères, enfin, pour achever le circuit, faramineuses, obscènes...." p 102
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Le plaisir d'habiter sa langue fait aussi que l'on se sent chez soi partout où on la parle. On la retrouve, au-delà des mers et des frontières, comme une maison de famille, lointaine et oubliée, mais où tout serait resté à peu près en place et vous attend. Son architecture, son élévation, ses matériaux peuvent être différents : plus basse ou plus haute, à toit pentu ou bien plat, mais une fois qu'on a franchi le seuil, on y retrouve des meubles familiers, une façon de disposer les objets, des lumières ou des coins d'ombre qui rappellent ceux qu'on trouvait dans sa langue, autrefois.
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Le problème n'est pas : "il n'y a plus d'écrivains", le problème est qu'il n'y a plus de lecteurs. Si la question manque, comment risquer la réponse ?
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Dans le temps où l’Union européenne ratiocinait sur le diamètre des trous des fromages pour sauver la vallée de la Gruyère, la Belgique avait cessé d’exister.
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Picasso, le peintre, de son regard noir, de ses petites mains courtes, de sa peau, de ses poils, de ses pores, à chaque nouvelle femme qui se découvrait à lui, sur fond d'une femme idéale et toujours déniée, sur découpe d'une forme éternelle, saisissait l'aspect singulier, et à partir de lui, proposait un agencement inédit, un bricolage de membres et d'organes inouï,
scellait à terme, dans l'obscurité du corps et la chaleur des muqueuses, un destin.
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Ce sont des passages de La Divine Comédie que Primo Levi, à Auschwitz, se remémore. Et à mesure que les mots reprennent corps, l’horreur semble céder.
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I L'INTRUS


Extrait 22

Enfant, je croyais savoir qui j’étais : j’étais celui qui
étendait sa main vers sa mère ou du même mouvement,
parfois, et de la même main, au dernier instant, tentait
de la frapper, le gamin qui saisit un objet pour le lancer
loin de soi. Que saisir sinon qui s’échappe ? Quelle peur
de perdre ce que l’on est sur le point de gagner ?
La mort au cœur de la possession. Je retirais ma main
au moment même où j’allais toucher au but. Comme
s’il existait un but plus désirable encore que celui qu’on
découvre a portée. Je différais la prise d’un geste capricieux.
Et comme anticipant ma déception, je frappais
celle que je jugeais responsable de ma peine, alors qu’elle
n’avait jamais été que l’occasion de ma joie.
Plus tard, quand on écrira, c’est le même mouvement
absurde, désespéré, qui fait qu’au moment de saisir la
phrase que l’on cherchait, comme assuré de s’emparer du
trésor, au lieu de l’inscrire sur le papier, on se lève
brutalement, et l’on quitte le bureau, comme si la joie était
trop forte, le cadeau trop inattendu, ou que le fait même
qu’il vous soit donné lui retirait d’un coup sa valeur…
Et quand on reviendra calmé, vers la table de travail, le
don du ciel se sera envolé et c’est seul et livré a soi-même
qu’il faudra tout reprendre, mais il n’y aura plus rien.

p.26-27
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Il est étrange de ressentir combien la musique, Mozart surtout, semble toujours sur le point de confier quelque chose, et qu'au moment de se prononcer, elle se brise, se tait et se reprend. Ce qu'elle veut dire est au-delà du repos des mots et c'est dans cette tension que réside son inépuisable ravissement.
C'est ce que répète obstinément Orphée à Eurydice :
Dût-il m'en coûter la vie,
Non je ne parlerai pas...
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Qu’en est-il du sens de pareille existence, sans échappée possible, ni vers les au-delà de paradis promis jadis par les religions, ni vers les satisfactions de l’esprit fournies par une culture aujourd’hui rabaissée au rang de loisirs, mais dont le seul et unique soin restera l’entretien de cet organisme précieux qu’est son corps, enchaînant jour après jour de pénibles exercices musculeux rassemblés sous le nom de fitness, la pratique des sports devenue obsessionnelle dans la poursuite de plus en plus nauséeuse de la performance, de sorte que, née de rien et promise à rien, cette carcasse soit un jour encore, un jour de plus, capable de satisfaire pleinement, sans erreur, sans retard, sans humeurs, aux horaires, aux agendas, aux commandes, aux impératifs d’une profession et aux illusions d’une vie sociale – clubs de rencontres et « réseaux sociaux » - dont la nécessité et l’utilité auront cependant cessé d’être visibles ?
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Je ne peux m’empêcher, lorsque j’entends battre tambours, sonner trompettes, vociférer jeunesses et ronfler haut-parleurs, au cours de ces carnavals assourdissants dont Paris est devenu le lieu, « Nuit des musées », «Fête de la musique», «Nuit blanche», «Parade» de ci et «Techno» de ça, de penser que j’assiste au déroulement rituel de funérailles où, célébrées par des corps nus et peinturlurés, on va enterrer joyeusement et sauvagement les restes de ce qui a été notre culture.
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Protégées par plusieurs couches de verre épais, tenues à distance respectueuse de la foule, La Ronde de Nuit ou la Joconde sont désormais des abstractions aussi lointaines et inaccessibles au regard et aux sens que l'était l'hostie quand, hier encore présente à l'adoration de tous, on la protégea derrière les barrières du choeur et les apparats multipliés des autels. Le chef d'oeuvre, en ce qu'il a de sacré, s'éloigne de nous. Il n'a jamais aussi été caché à nos yeux qu'en ce moment où l'on célèbre si fastueusement sa présence.
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Le projet d'un Louvre des sables a ainsi le mérite considérable de reposer avec acuité, et brutalement, en ce début de troisième millénaire, le problème du sens de ces masses prodigieuses d'objets que sont les musées en Occident, et d'abord du sens de ce qui les compose et qu'on nomme du terme follement flou d"oeuvres d'art". A quoi peut donc servir une oeuvre d'art? Quelle est sa nature? D'où vient-elle? A qui, à quoi est-elle destinée? Quelle différence entre une oeuvre d'art et une relique? Une oeuvre d'art et une offrande? Un objet précieux? Un instrument liturgique? Un outil technique ou scientifique? Un artefact, une merveille naturelle? Une idée cynique à la Duchamp? Qu'est-ce, au bout du compte - ou à la fin de son inventaire - qu'un musée, là où l'on conserve et expose ces divers objets, en s'efforçant d'oublier ce qu'ils furent et pourquoi ils furent créés, en ne voulant plus considérer en eux que la caractérisation d' "art" qui aurait présidé à leur rassemblement?
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Avant de commencer d'écrire, j'ai pris l'habitude de lire quelques pages de mes écrivains préférés, pour me laver l'oreille du charabia du jour, et me mettre dans le ton juste, comme un musicien s'accorde sur le premier violon avant de commencer à jouer. (p. 113)
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