Citations de Jean-Claude Ellena (36)
Je crois au bonheur, à l'homme, à une spiritualité laïque, je me méfie des religions. Je préfère de longs regards à de longs bavardages. Et, si j'aime séduire, j'ai la pudeur des mots. En écrivant ces lignes, je pense surtout à Camus, écrivant dans « L'Exil d'Hélène » : « La pensée grecque s'est toujours retranchée sur l'idée de limite. Elle n'a rien poussé à bout, ni le sacré, ni la raison, parce qu'elle n'a rien nié, ni le sacré, ni la raison. Elle a fait la part de tout, équilibrant l'ombre par la lumière. » Je n'ai jamais cherché à imposer. Ma recherche est dirigée par le souci constant de trouver l'équilibre entre le sensible et l'intelligible. Je suis méditerranéen.
2669 – [p. 124]
Spéracèdes, vendredi 23 juillet 2010
Je crois ... que la meilleure situation pour développer sa créativité est de travailler seul et sans évaluation, ce qui ne veut pas dire sans échange. La majorité des idées sont la conséquence d'un travail assidu et quotidien, parfois le résultat de rencontres, de promenades, de flâneries, de lectures, de moments de disponibilité d'esprit. Mon carnet de Moleskine, servant à recueillir idées, mots ou débuts de formule, me quitte rarement.
2662 – [p. 114]
17 août 2010
La pluie libère les odeurs que le soleil avait condamnées.
2667 - [p. 119]
Cabris, 30 juin 2010
Je n'aime pas les termes « unisexe » ou « mixte », l'emploi ne définit pas un genre. Aussi je propose des parfums à partager, des parfums-romans, des parfums-nouvelles, des parfums-poèmes.
2659 - [p. 108]
26 août 2010
Quant à l'image du Provençal hâbleur, chauvin, bruyant et généreux, qui a fait le charme des films de Pagnol, je ne me reconnais pas dedans. Je préfère le monde de Jean Giono. Pagnol le parisien portait au régionalisme, Giono le Manosque visait à l'universel.
2668 – [p. 123]
Cabris, jeudi 25 février 2010
La mode est, par définition, ce qui se démode.
2591 - [p. 50]
Dans l'avion, samedi 31 octobre 2009
Giono
Je prends la navette, destination Nice. Mon laboratoire est situé à Cabris. Pour tout bagage un sac, et un livre : Les Trois Arbres de Palzem, recueil de chroniques écrites par Jean Giono, qui n'ont pas été reprises dans l'édition de la Pléiade des Récits et Essais. Lorsque je me sens « égaré » je lis Giono pour retrouver mon chemin. Il m'habite, me sert de repère, d'« heureux père ». Je le lis du bout des lèvres articulant les mots en silence. J'ai besoin d'entendre dans ma tête la musique des mots, le rythme des phrases, les silences.
J'aime sa plume, son invention, sa sensualité ; et, quand il s'exprime sur les odeurs, je suis admiratif. Ses pages sur les parfums sont en résonance avec ma façon « d'écrire » les parfums. (...)
Pour invoquer Jean Giono, « le travail d'expression se fait dans l'intelligence du lecteur ; de là son plaisir et la satisfaction, le contentement, la joie qu'il en éprouve ».
2576 - [p. 11/12]
1er septembre 2010
Ce que je sais, c'est que je donne beaucoup lorsque je me sens libre.
2670 – [p. 125]
2 août 2010
Au commencement, l'image d'un piano avec ses quatre-vingt-huit touches. Si je plaque en même temps l'ensemble des touches, j'obtiens un bruit sonore déplaisant. Mélanger quatre-vingt-huit composants non choisis risque fort de provoquer un « bruit » olfactif identique. Maintenant, si je frappe seulement trois touches du piano au hasard, quel est le nombre de possibilités offertes sur un clavier de quatre-vint-huit touches ? Cent neuf mille sept cent trente-six selon un calcul mathématique. Si je reporte ce calcul au nombre d'accords possibles en trempant trois touches au hasard dans une collection de matières premières, même restreinte, le nombre de possibilités est considérable.
2666 - [p. 117]
.. être seul, c'est aussi savoir gérer la solitude et le risque de perte d'entrain qui peut lui être liée. D'humeur constante, j'aborde la moindre idée avec allant, j'ai toujours plusieurs projets, formules, en cours. La régularité du travail, la discipline horaire et l'exigence de résultat que je m'impose sont autant de moyens pour moi de répondre à ce repli. Je vis cette solitude comme une liberté choisie.
2663 - [p. 114/115]
Paris, jeudi 14 janvier 2010
Fin d'après-midi, je passe à la Fnac m'acheter pour quelques euros des Maigret en format de poche - une agréable soirée en perspective. J'en profite pour me procurer également une édition bilingue des « Aventures de Pinocchio » de Collodi. C'est mon désir de me remettre à la langue italienne qui a orienté ce choix. J'ai l'habitude de feuilleter les pages des livres que j'achète et d'attraper au hasard une phrase. Ce livre de Collodi est un classique, au sens où Italo Calvino le définissait : « Un classique est un livre qui n'a jamais fini de dire ce qu'il a à dire. »
2578 - [p. 32]
L'odeur est un mot. Le parfum est la littérature.
Si, traditionnellement, le parfumeur est comparé à un compositeur de musique, je me suis toujours senti écrivain d'odeurs.
Oui, j'aime les odeurs dont il n'est pas aisé de parler, et dont on juge l'évocation indécente, voire dérangeante. Comme compositeur de parfum j'en jouis et j'en joue. Goudron de bouleau, castoréum, cèdre de l'Atlas, civette, cumin, indole, jasmin, labdanum, mousse de chêne, sauge, sclarée, scatol, autant d'extraits et de molécules qui affichent ou dissimulent les odeurs de notre corps.
2646 – [p. 93]
Le plaisir est de nature égoïste, le luxe est le partage. La parfumerie, comme tous les métiers d'art, a pour objet de créer des produits dont la finalité est avant tout pour le plaisir des sens. Comme homme et compositeur de parfums, il me faut prendre du plaisir pour en donner à mon tour. Plaisir de surprendre, d'évoquer, de suggérer, de laisser deviner peu à peu. Le parfum est une histoire en odeurs, parfois une poésie du souvenir.
(p.61)
Paris, 30 mars 2010
Chantal Jaquet (philosophe) invite le public à comprendre le monde par le nez, et non seulement par les yeux, et à remettre en cause les préjugés sur l'odorat, comme sa prétendue faiblesse et son caractère primitif. Elle cite longuement Nietzsche pour qui philosopher, c'était « avoir du nez ». Le mot « sagace » revient souvent dans son discours sur l’odorat, et éveille ma curiosité. Le soir même, je m'amuse sur mon ordinateur à en lire la définition et à en trouver les synonymes. « Esprit sagace », qui a la faculté de saisir rapidement les choses, fait d'intuition et de finesse d'esprit. Mais aussi « flair » : perspicacité, discernement, intuition, pénétration, sensibilité, subtilité. Tout l’art du parfumeur résumé en un seul mot. Ainsi les parfumeurs auraient pour caractéristique d'« avoir du flair » ? L'expression me fait sourire, mais aussi me comble.
2603 - [p. 64/65]
Cabris, lundi 2 novembre 2009
Le désordre est pour moi lié à la pensée. Quand tout est classé, alors j'oublie.
2577 - [p. 13]
Les essences de menthe sont nombreuses en parfumerie-menthe verte, menthe poivrée, menthe pouliot, menthe des champs, menthe bergamote-, et sont utilisées par les aromaticiens pour les bonbons, dentifrices et chewing-gums, parfois pour les produits d'entretien ménager; ces supports déprécient l'émotion éprouvée à sentir l'odeur de la menthe. Il en va de même pour l'odeur du citron qui, utilisée pour la première fois en 1969 dans un liquide vaisselle du nom de JOY aux Etats-Unis, deviendra signe olfactif des produits nettoyants. Le citron est, depuis, rarement utilisé dans les eaux de toilette.
Pour les non-initiés, découvrir un parfum par la liste de ses matériaux, c'est comme lire les ingrédients d'une recette de cuisine avec la frustration de ne pouvoir imaginer le goût du plat.
J'ai cherché la liberté en composant des parfums, et les odeurs m'ont asservi.