L’amour s’extorque tout autant qu’il se mérite, se mendie ou s’attend. Ce qu’en son nom chacun inflige aux autres ou à soi-même lui semble depuis toujours pleinement légitime. L’amour est un crime parfait !
Dans un restaurant un homme attend. En lui deux voix s’opposent, celle du Pour et celle du Contre.
Pour — Être ici, quel bonheur ! Je l’aime…
Elle va venir. Et en attendant, je peux penser à elle.
Contre — Tu tiens à te monter la tête ?
P — Mais… je ne suis venu en avance que pour penser à elle, à son visage… ses yeux… son cou… ses mains… ce que j’ai aperçu d’elle.
C — Vaudrait mieux penser à rien !
P— Pas facile ! C’est drôle, ça, qu’on ne puisse pas s’empêcher de penser à quelque chose. À quoi ça sert de penser ?
C — Ça, c’est une question !
P — Ça, ce n’est pas une réponse !
C — Penser… ça sert à… s’accrocher !
P — À s’accrocher… ?
C — Oui, à s’accrocher à ce qu’on pense.
P — Comme si on se faisait la courte échelle tout seul ?
C — Un peu. Penser, c’est se soutenir soi-même.
P — Penser à elle voudrait me soutenir quoi ?
C — Que tu l’aimes, qu’elle va venir. Parce que tu en doutes.
Quel malheur que les voies de l'instinct maternel ne soient pas plus impénétrables, parce que nos première expériences du monde commencent avec ce qui nous semble faire réagir notre mère. Comment ne garderions-nous pas en nous la trace de cette emprise première ? Fasse la chance que nos interlocuteurs ultérieurs ne nous encouragent pas à réactualiser ces pénibles offrandes, et particulièrement l'analyste en se montrant trop sensible à nos souffrances, même à celles qui nous ont conduit chez lui.
Lorsque ce qui est refoulé approche de la conscience, c'est pour rencontrer ce qui l'interdit. Ce qui se donne ainsi à penser pourra se faire accepter sous la forme de son rejet.
Ce qui assure la continuité de l'organisation mentale ne pérennise pas moins ce qui est préjudiciable que ce qui est profitable.
Que le mot d'esprit, s'affranchissant des contraintes habituelles du discours, de la raison et du sens, puisse par cette émancipation même taper dans le mille du discours, de la raison et du sens, voilà qui dérange le belle ordonnance qui paraît gouverner le fonctionnement de l'intellect !
Chaque jour, la mode me prodigue, comme à vous, sa ration d'écrits et d'enseignements. Des doctrines plus ou moins nouvelles se côtoient, s’enchevêtrent ou s'affrontent. Toutes veulent convaincre ou séduire. Toutes m'invitent à prendre leur parti, comme si j'étais à même de me faire une opinion sur elles ! Les inepties qu'il m'arrive d'entendre à propos de l'étroit domaine dans lequel je me situe [La psychanalyse] me retiennent d'y aller des miennes sur ce qui ne m'est pas familier.
S'il m'est difficile d'accepter ce que je ne peux pas comprendre, il ne m'est pas plus facile de comprendre ce que je ne peux pas accepter. Le ramassis disparate qui a finit par s'implanter dans mon esprit m'impose des façons de voir qui m'engagent dans des combats, si ce n'est des croisades, dont je ne peux éviter d'être la recrue obstinée.
[…]
Si « je » est un autre, « je » est bien plus encore un piège. Il y a peut-être des bénéfices à croire qu'on est ce qu'on pense et qu'on est pas ce qu'on ne pense pas. De cette courte vue, source du refoulement, il résulte pas mal de servitudes. La fierté et la culpabilité ne sont que des moindres maux, au regard de l'énorme résistance à changer : changer d'idées serait perdre toute identité.
Evidemment que je sais comme toi que l'amour est un trompe l’œil, mais 'est un trompe l’œil à ménager parce que c'est une source d'énergie et de bonheur.
Le mirage de toute façon de voir découle de ce qu'une façon de voir ne prend sens que par une façon de dire.
La particularité de l'écoute psychanalytique est de centrer le sens de toute formulation sur ses raisons d'être formulée comme elle est formulée, au moment même où elle est formulée.