- Petit, me dit-elle, les hommes politiques sont tous des vendus, et quand ils ne le sont pas on les assassine.
Je m'appelle Antonin Maillefer. Je suis né le dixième jour de janvier 1900 à la ferme de la Baraille, hameau de Cassagnettes, deux cent trois habitants, une école, deux Jésus et un bâtard : moi.
Ma mère, Adélaïde Maillefer, avait commis le péché d'amour avec un photographe ambulant, pas beau du tout, mais qui parait-il parlait aussi bien qu'un jésuite. Déjà, à l'âge de seize ans, elle faisait tourner la tête aux hommes, à tous les hommes, et les vieux du pays disent encore aujourd'hui que pas une fille depuis n'a égalé pareille beauté.
Pour vous le décrire, ce village, il me faudrait savoir inventer des mots, des phrases d’intelligence comme ce poète de renom qui séjourna ici, autrefois. Ce village, écrivit-il, ressemble au souffle d'une âme sur un duvet de soie.
En voilà une pensée à vous donner le vertige. Nous, on disait tout simplement : Qu'il est beau, notre village !
- Antonin, me dit-elle, nous allons au-devant d'une guerre.
- Comment le savez-vous, madame Alice ?
Elle ne répondit pas. Elle regarda seulement le soleil qui en couchait en enflammant la cime des arbres.
- Quel dommage, dit-elle simplement, de gâcher un si bel été.
Une graine de bonheur, c'est rare.Tellement rare même que, lorsqu'on en trouve une, il faut en prendre grand soin, comme si c'était une âme.
Car si vous n'en prenez pas grand soin, il y a cette garce de misère qui rôde, sournoise, et qui d'un seul coup vous l'étouffe comme un rien, votre petite graine de bonheur.
Délicatement, j'ouvre l'enveloppe. J'en sors une carte postale, un peu abimée dans un coin, repeinte de couleurs vives. C'est la photo d'une rue, dans une ville, avec des petites maisons toutes sales. Sur un côté, deux palmiers rabougris et un homme habillé d'une grande robe. Il tient un âne par la bride. L'âne, il est tellement maigrichon qu'on n'en voudrait pas pour tout l'or du monde. De la rue non plus, on n'en voudrait pas, même si on vous la donnait toute.
Voilà, que je me dis, voilà toute l'Afrique des rêves d’Adélaïde. La pauvre, elle a dû être déçue, si c'est tout ce qu'elle a trouvé au bout du voyage. De penser à elle, seule au milieu de cette rue, avec ses bottines de chevreau qui pataugent dans la boue, et cet âne qui ne la regarde même pas, j'en ai les larmes aux yeux.