Citations de Jean-Claude Pirotte (411)
On devrait toujours écrire comme à un très vieil ami
Parfois le temps s'arrondit
comme une clairière
dans le demi-jour inespéré
les nuages vont lentement
au rythme du feuillage
qui se penche et prend la lumière
venue d'on ne sait quelle source
toute cette lenteur vous caresse
endort toute inquiétude
alors que vous êtes perdu
et qu'il n'y a pas de chemin.
Ce que je me dis à moi-même
jamais ne passe mes lèvres
de ce que je lis dans les livres
ne naît pas l'oubli de mes peines
or mes peines sont ordinaires
pourquoi résisteraient-elles
à la grâce d'un vol d'oiseaux
sauvages au bord du ciel
les oiseaux migrateurs sont loin
la peine toujours se réveille
et je ne peux tendre la main
qu'à cette ombre inconnue qui m'appelle
Comment les mots les plus simples
dévoilent soudain la lumière
le saurons-nous jamais
nous n'apprenons à vivre
qu'avec le murmure et l'éclat
des pluies sur les toits à lucarnes
ou le frisson du vent dans l'ombre
comme une source ou comme un baume
et quelle voix surprise à l'aube
nous invite à nous recueillir
dans l'attente des lointains
ouverts sur l'infini des deuils
(" Passage des ombres")
Je t'aimerai toujours chantait mon amoureuse
et le vent tournoyait autour des jupons clairs
et la mer se levait en un grand souffle d'ailes
et les moulins soumis tendaient leurs toiles bleues
le ciel se dėversait sur les toits éblouis
le polder était jaune et la mer était verte
elle allait répétant je t'aimerai toujours
le vent chassait le sable au coeur des rues désertes
et la mer arrachait les digues de la nuit
Il n'y a que les morts qu'on peut aimer toujours
("Passage des ombres")
Le rêve d'être ailleurs
toujours le mobilise
et celui d'être ici
confiné dans l'obscur
le tient dans ses filets
rien ne va comme il veut
l'oreiller du silence
le rend sourd à lui-même
(" Une île ici")
Le vieil homme ne renonce pas à se chercher, et se trouve peut-être.
J'ai beau convoquer le romanesque en toute candeur, il n'en fait qu'à sa tête, et souvent il s'échappe quand j'imagine le tenir. Je crains n'être pas doué. Je dois l'être pour autre chose, la paresse, la fuite, les plaisirs de lecture qui sont une forme de désintéressement, non ? ou plutôt une manière élégante de disparaître à ses propres yeux. (p.58 / Le Cherche-Midi, 1999)
Ecrire pour moi, pour l’unique plaisir de voir se former les mots sous ma main, de découvrir des vocables que je croyais ignorer, des tours de phrase inédits, des surprises. Il va de soi que consciemment ou non je puisais dans mes lectures à l’improviste, inspiré par une mémoire confuse, et le dictionnaire devait m’apprendre le sens réel du mot dont je m’étais servi. C’était un bonheur de se procurer son propre étonnement.
Toujours je me redis ce vers de Paul de Roux:
"et tout a la tristesse des choses abandonnées"
je le relis dans le recueil intitulé
"entrevoir" je le médite et le répète
à mi-voix et même parfois je le chantonne
et me retiens alors de le dénaturer
car il est fragile comme ces choses tristes
qui dans leur abandon semblent vivre encore
d'une vie intermittente à quoi notre regard
distrait donne une chance infime de durer
une chance d'attendre et d'émouvoir
un autre regard que le nôtre
un jour lointain un jour de ciel clair
et d'ombre feutrée dans un repli du temps
(" Cette âme perdue")
Or, il dit ailleurs que si le vin enivre, c'est la poésie qui enchante... (p. 70)
C’est que j’avais encore envie de vivre, et de voir passer les nuages, et d’écrire ceci, ou autre chose. Il arrive que la douleur soit en voie d’excéder mes forces. Mais je m’obstine, je tiens la fenêtre ouverte, au moins je respire et un chien aboie.
Le chat l'unique élu
du dieu de l'immanence
on le trouve assis
sur le manuscrit perdu
Il le quitte la nuit
pour nourrir sa mémoire
en flânant dans les rues
il est maître du temps
Il explore les lieux
qui sont toujours nouveaux
et l'herbe des talus
que défroisse la lune
(" Autres séjours")
protégez le secret
des ombres qui s'étreignent
dans les plis de la nuit
et l'or des souvenirs
Les images de l'enfance
ont traversé les campagnes
le vent les poursuit et la pluie
vient ternir les couleurs
parfois une aile de lumière
les frôle et redonne vie
quelque détail ignoré
dans un lointain silence
l'instant des oiseaux s'envolent
de la mémoire et de l'oubli
vers les ombres et les mirages
que le souffle du soir efface
( " Passage des ombres")
Je parcourais des paysages verts aux ciels immenses, gorgés de vent, les yeux baignés de cette lumière sourde aux larges mouvements qui est celle de la Hollande, et je m’arrêtais pour déjeuner de concombres et d’omelettes aux chanterelles dans des auberges aux longs toits de chaume où des paysans polis et laconiques trempaient leur moustache claire dans de petits verres évasés au fond desquels une pincée de sucre attendrissait l’âpreté jaunâtre du vieux genièvre. Il me semblait que je n’avais pas assez de mon regard pour m’éblouir de toutes les visions que je recueillais au long de ces journées où j’allais seul, superbement disponible, joyeux et neuf, en quête d’un pays dont l’âme était mon âme, et je me découvrais en lui, sachant déjà qu’à jamais je lui resterais fidèle, dussé-je le perdre, comme je devinais que soi-même on se perd dans les méandres de la vie et des phrases, en dépit de toute fidélité. Mon bonheur s’aggravait de se savoir fragile. Je rêvais que plus tard, je reviendrais parcourir ces Gueldres et ces Frises avec celle que j’aimerais, et que, de cette beauté confuse qui m’étouffait, je pourrais alors faire don; ce partage recréerait les jours perdus de l’enfance, et le coeur serait enfin satisfait. La possession du monde ne pouvait être illusoire. p 63-64
les choses que tu ignores
encombrent pourtant tes rêves
et quelquefois débordent
au grand jour indécis
tu ne peux jamais être
absolument toi-même
ni comme tu l'espères
absolument un autre
tu es à mi-chemin
entre l'âme et la chair
la torture et la paix
tu ne sais à qui tendre
la main, frère ou mendiant
que s’entrechoquent dans l’esprit
les raisons de déraisonner
il reste la saveur des fruits
du passé l’humour des damnés
il faut apprendre à désapprendre
la vraie syntaxe est le temps comme il vient
se souvenir meubler l’attente
et s’inventer le jeu du rien
Je t'écris chaque jour
je sais que tu peux lire
d'instinct, d'un seul coup d'oeil
entre toutes les lignes
pensez-vous dit la voisine
il écrit à son chat
s'il vivait passe encore
mais son chat il est mort
( poème écrit pour son chat, qui venait de mourir)
- Je suis psychologue. Chargée d'évaluer votre état ( elle n'ose pas prononcer " mental " ).
- Je vais très bien.
- On ne dirait pas ( mezza voce ).
- Lautréamont, Verlaine, Cros, Corbière...
- Des amis à vous ?
- En effet.
- Et votre famille. Vos parents.
- André Dhôtel, Henri Thomas.
- Épelez les noms, s'il vous plaît.
- Ouvrez un dictionnaire.
- Vous moqueriez-vous de moi ?
- Je suis très sérieux, au contraire.
- Recommençons, alors.