Le voyage était presque parfait : Essai sur les voyages ratés de
Jean-Didier Urbain
Des causes, des formes et des effets de l’échec en voyage
D’hier et d’aujourd’hui, et même de demain, nul n’est épargné dans cet essai. Avant tout consacré à l’homme ordinaire, tout un chacun avec un peu de bonne foi devrait s’y retrouver. « Héros commun. Personnage disséminé. Marcheur innombrable », comme l’a évoqué Michel de Certeau1, cet homme sera ici le plus souvent une multitude anonyme de voyageurs sans qualités particulières. Contrairement aux voyageurs de Baudelaire, ceux-là ne sont pas étonnants. Ils ne sont que surprenants et surpris, pris en flagrant délit d’imperfection dans leur quête d’idéal.
En fait, quant à l’étonnement, le participe passé leur va mieux. Car ces voyageurs sont en général d’éternels étonnés. Leurs galères, péripéties, tribulations et autres mésaventures, bien qu’elles soient banales, et même fort prévisibles, les étonnent toujours. Depuis des lustres, ils ont pour coutume de tomber dans les pièges signalés ; de se heurter aux obstacles connus ; de faire des erreurs grossières ; et de recommencer. Rien n’y fait. Franchement, ce qu’ils font et disent est si habituel, pour ne pas dire convenu, que ces voyageurs n’ont rien d’étonnant, sauf leur acharnement ! Leur goût immodéré de la récidive ! Le mystère de leur opiniâtreté ! Est-ce celle de la revanche ? De la poursuite de la perfection ? De l’addiction ?
Surpris sempiternels, tour à tour stupéfaits, sidérés, consternés, les stupéfactions de ces voyageurs sont stupéfiantes ; leurs sidérations, sidérantes ; et leurs consternations, consternantes. Ce sont leurs surprises qui surprennent et leurs étonnements qui étonnent, portés qu’ils sont par ce qui semble être une aptitude à la désillusion ; une vocation à tomber des nues ; une prédilection ou une attraction indéfectible, voire une compétence, pour le fourvoiement et le désenchantement, laquelle, irrésistiblement, les pousse vers ce qui loupe, rate et déçoit ; passe à côté, échoue et frustre ; percute de plein fouet ou manque d’un rien et désole d’autant plus.
De l’insuccès au ratage, incontestables maestros du fiasco, ces voyageurs sont donc surprenants en ce que, invariablement, ils sont les responsables de leurs échecs. Agaçants de morgue ou désarmants de naïveté face au Monde et à l’Autre, les uns sont horripilants et les autres touchants. Mais par-delà, ils sont surtout d’une remarquable obstination dans l’infortune, ce dont on aimerait bien saisir les raisons…
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