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Critiques de Jean Echenoz (1213)
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Je m'en vais

Alors c'est donc ça un prix Goncourt ? Eh bien dites donc, c'est rudement impressionnant ! Sans aller jusqu'à prétendre qu'il s'agisse d'une nullité absolue, reconnaissons sans honte que c'est tout de même très, très faible voire un peu en-dessous. Pas certaine qu'on sache encore que ce bouquin existe dans cinquante ans.



À propos de honte, je ne crois pas qu'il serait une honte, quand vraiment une année de production littéraire est particulièrement creuse — ce qui est arrivé quelquefois — de ne pas attribuer de prix Goncourt. Car l'attribuer à un tel livre, c'est forcément décrédibiliser un prix qui se voudrait prestigieux. Essayez de trouver, par exemple et par curiosité, Les Loups de Guy Mazeline (vous savez bien, celui qui a honteusement ravi le prix Goncourt à Céline). Absolument plus personne ne lit ce bouquin (sous réserve que quelqu'un l'ait lu un jour, même à l'époque) et plus aucun éditeur ne prend même la peine de l'imprimer tant cette oeuvre était marquante.



Bref, je prédis à ce livre le même genre d'avenir. D'après moi (mais ce n'est que mon avis, et vous connaissez la ritournelle) voici un livre creux, gratuit, avec des personnages qui sonnent faux du début à la fin, des situations à l'avenant et absolument sans intérêt. À aucun moment je n'ai pu rentrer dans l'histoire, et ce n'est pourtant pas faute d'avoir réellement essayé : je n'ai cessé de voir l'écrivain en train de l'écrire, ce qui, à mon sens, est très problématique, voire, frise la faute professionnelle.



L'écrivain est tellement là, tellement présent, pesant, occultant, il veut tellement qu'on ne l'oublie pas qu'il cherche à tout prix à devenir le véritable héros de sa création. Pierre Bayard écrit à ce propos dans Comment améliorer les œuvres ratées : « Un excès de présence de l'auteur, dans la diversité des désordres qu'il suscite, perturbe chez le lecteur, en tout cas chez nous, le mouvement d'adhésion à l'œuvre. » Ici, Jean Echenoz ne se fait jamais discret, on ne l'oublie jamais tandis que ses personnages, eux, en revanche, on va se dépêcher de les oublier tant l'empreinte qu'ils font sur notre esprit est inexistante, insipide. Je l'ai terminé hier et ne suis pas certaine de m'en souvenir encore dans une semaine tant toute cette lecture fut un électro-encéphalogramme plat, électro-cardiogramme plat… (Tout ce qui traduit les émotions et la passion était plat.)



Un profond ennui, donc, un écrivain que j'ai eu le sentiment de voir jouer au plus fin avec rien dans les mains, mais ce qui s'appelle rien. Pendant toute ma lecture, j'ai eu la sensation que malgré le fait qu'il n'avait rien à dire, Jean Echenoz avait absolument besoin de pondre un livre pour gagner un peu sa croûte… Ça se sent malheureusement beaucoup, beaucoup trop. Vous savez, on a tous eu un voisin ou un parent qui vous tenait la jambe pendant des heures pour ne rien dire, eh bien pardonnez-moi, ami Echenoz, mais en ce qui me concerne vous avez appartenu à cette catégorie dans ce livre.



De quoi l'auteur essaie-t-il de nous parler ? Un galeriste parisien, la cinquantaine et pas attachant pour deux sous, fait tomber toutes les nanas un brin canon qu'il croise. Son couple néanmoins capote et l'activité économique de la galerie n'est pas florissante. Son assistant lui dévoile un coup intéressant : un bateau échoué depuis des décennies dans l'arctique canadien et recelant des tas d'oeuvres d'art inuit d'une valeur considérable.



Notre galeriste va donc entreprendre cette mission, alors qu'il est malade du coeur, qu'il n'a aucun enthousiasme particulier pour l'aventure, et puis… enfin bon, je ne vais pas vous en dire plus, tant cela me semble boiteux, tant les personnages m'apparaissent peu crédibles (la rencontre avec Hélène à la fin vaut son pesant de caramels mous tellement elle est mal ficelée et totalement brinquebalante), tant l'écriture fait un écran entre les personnages et le lecteur (alors qu'elle devrait être un facteur d'adhésion et de persuasion).



Bref, selon moi, ce roman est raté et c'est bien dommage, car j'aurais aimé aimer, mais franchement, non, vraiment non. En somme, circulez, y a rien à voir, d'ailleurs ce n'est que mon avis, c'est-à-dire pas grand-chose, si bien que, incontinente, je m'en vais.
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Vie de Gérard Fulmard



Une lecture éphémère.

Je me dépêche d’écrire ce billet sur le dernier roman de Jean Echenoz car j’ai peur qu’une seule nuit de sommeil suffise à me faire oublier des pans entiers de cette histoire. Les récits de cet auteur me font toujours le même effet : un plaisir fugace de lecture, un joli château de sable abandonné à marée basse, une intrigue dont le souvenir ne dépasse pas l’espérance de vie d’un insecte.

Minute Papillon ! Tu parles d’un auteur Goncourisé, encensé par la critique et publié aux Editions de Minuit. Ce n’est pas un almanach abandonné dans une boîte à livres recouverte de graffitis à la qualité artistique douteuse.

J’ai conscience de tout cela mais si les bons mots et le ton détaché de l’auteur enrichissent ma collection de citations amusantes, cette prose ne franchit jamais l’emballage des personnages et me laisse en rade d’émotions.

Je m’en veux un peu car j’apprécie d’ordinaire les romanciers qui ne se complaisent pas dans la psychologie positive et qui évitent les tons trop partisans et moralisateurs. Jean Echenoz colle à ce portrait-robot mais j’ai l’impression qu’il filme plus qu’il n’écrit ses personnages et je suis resté une nouvelle fois spectateur de cette histoire.

Côté scénario, Gérard Fulmard, ancien steward passé par le hublot, s’improvise détective privé avec la conviction d’un paresseux neurasthénique. Il est embauché par un parti politique miné par des magouilles, les luttes de pouvoir et dont une des responsables vient de se faire enlever. Ce mouvement à l’idéologie poreuse semble néanmoins pencher très à droite de l’échiquier politique. Les échecs, Fulmard les collectionne comme d’autres les timbres et il parvient sans trop de difficultés à tâcher le sale boulot qui lui est confié.

Les passages les plus réussis concernent l’évocation burlesque des évènements qui ont animé la rue Erlanger où vit le héros. Il faut reconnaître à l’auteur cette capacité à introduire dans ses intrigues des épisodes improbables. Jean Echenoz n’est pas un homme de statistiques ou de probabilités, c’est un fantaisiste, et il n’hésite pas incruster dans son histoire un requin mangeur d’hommes ou la chute d’un satellite russe. En revanche, le lecteur et Gérard Fulmard restent en orbite face aux évènements et j’ai trouvé que la description des officines politique se limitait à une visite guidée de lieux communs, une sorte de florilège sans philtre du Canard enchaîné.

Pour ce roman, difficile de compter les étoiles quand on observe une comète.

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Envoyée spéciale

Le style Echenoz, c'est de la haute couture, du cousu main. Et l'on sent qu'il pourrait raconter n'importe quoi sur n'importe quel sujet, le résultat serait identique. (Il le dit lui même : « l'intrigue est un mal nécessaire »)

Et ce n'est pas n'importe quoi : mettant de côté les biographies innovantes, Echenoz renoue avec l'espionnage comme dans Cherokee ou Lac.

Un général sur la touche qui souhaite finir en beauté, des petites frappes décérébrées, un avocat véreux et un artiste à la Patrick Fernandez (un seul titre et c'est la retraite nantie) gravitent autour d'une jeune femme d'une constance (bon sang mais c'est bien sûr, c'est en l'écrivant que je n'en rends compte : constance, c'est son prénom!) parfaite quels que soient les circonstances. Et pourtant, elle ne tarde pas à se faire kidnapper. le général a en vue de déstabiliser le régime de Kim Jong, et c'est Constance qui sera infiltrée là-bas. il faut préciser qu'elle est totalement novice dans ce secteur d'activité, consacrant l'essentiel de sa recherche spirituelle à assortir son rouge à lèvre et son vernis à ongles.

On va découvrir peu-à peu les liens qui unissent tous ces personnages, et l'auteur s'amuse un peu à nous perdre sur des fausses pistes à coup de pseudo, récompensant cependant le lecteur attentif à l'aide d'indices savamment dispensés .



Le projet est tellement fou qu'il ne peut qu'éveiller l'intérêt : et la réalisation est à la hauteur. le formatage de la jeune femme, sa feuille de route, et la mise en oeuvre de sa mission sont pour le moins particuliers, et géographiquement dispersés : Paris, la crise et Pyongyang!

Le récit fourmille de détails réjouissants : qui penserait à planquer un kidnappé dans une éolienne?



Les personnages relèvent de la bande dessinée : pas que pour leur côté « Pieds nickelés », mais pour leur portrait proche de la caricature et l'utilisation de détails de reconnaissance très graphiques : un tatouage, une couleur de maquillage, une description précise des coiffures.



Quant au style, il est unique. Très travaillé, j'en veux pour preuve les zeugmas, personnifications et autres figures de style qui ne peuvent se trouver là par hasard.

Son regard sur les détails, avec un angle d'approche particulier confère à une situation ou une anecdote insignifiante une étrangeté : c'est un peu le sentiment de vacuité que l'on peut ressentir lorsqu'on que l'on répète un mot isolément jusqu'à le vider de son sens.



L'écrivain est un personnage de l'histoire, incitant le lecteur à patienter :



« Quant à ceux qui n'avaient pas compris que le commanditaire se nomme Clément Pognel, nous sommes heureux de le leur apprendre ici. »



ou faisant part de ses limites pour expliquer un contexte, créant une mise à distance de l'histoire qui, somme toute, il est le premier à le reconnaître est légèrement extravagante.



La partie coréenne vaut son pesant de kimchi (légumes à la coréenne), ne serait-ce que par le portrait des personnages.



C'est donc à nouveau un rendez-vous jubilatoire, avec en prime un écrit un peu plus long que d'habitude, ce dont on ne peut que se réjouir



Merci à Babélio et aux éditions de Minuit pour ce partenariat très apprécié
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Courir

Emile Zatopek fut à la fois un coureur qui domina l'athlétisme après guerre, un officier tchèque héros du socialisme soviétique, puis un dissident condamné aux travaux forcés après le printemps de Prague.



Jean Echenoz rappelle le contexte troublé dans lequel grandit Emile qui subit l'annexion de sa patrie par le III Reich, puis l'occupation par l'armée rouge et décrit l'ascension de cet autodidacte au physique extraordinaire.



Une biographie à la gloire d'un homme discret, simple, modeste qui souffrit d'être encensé durant la décennie où il domina le sport mondial. Une évocation d'une époque où le fric n'avait pas mis la main sur le sport pour en faire un jeu ou un spectacle.



Une lecture saine en cette période d'olympiades !
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14

Un court roman de 125 pages et pourtant un longue histoire pleine de bouleversement qui débute par une ballade tranquille de Anthime le personnage central.

C'est un samedi après-midi comme les autres, Anthime prend sa bicyclette («un solide modèle Euntes conçu par et pour des ecclésiastiques, racheté à un vicaire devenu goutteux.»). Il cale un gros livre «trop massif pour son porte-bagage en fil de fer, sous un sandow», il grimpe en danseuse une colline, juste une butte vendéenne d'où il a une vue sur la campagne environnante et les villages dont elle est parsemée. Un vent rageur le surprend gênant la sérénité du moment et couvrant tout autre bruit. Il est quatre heures de l'après-midi quand un autre phénomène visuel celui-là accapare le regard de Anthime : «Au sommet de chacun des clochers, ensemble et d'un seul coup, un mouvement venait de se mettre en marche, mouvement minuscule mais régulier : l'alternance régulière d'un carré noir et d'un carré blanc se succédant toutes les deux ou trois secondes, ... Comme une lumière alternative, un clignotement binaire ... impulsions mécaniques aux allures de déclics ou de clins d'oeil, adressés de loin par autant d'inconnus.



Ce sont les cloches, le tocsin qui annonce la guerre dont «l'image venait de lui parvenir avant le son.»

On y croit sans y croire, on y songe et puis la guerre est là même si l'on est un samedi du début août.



Le ton est donné, humour (la bicyclette Euntes rachetée à un vicaire devenu gouteux) et précision (sandow à la place de tendeur) , tout est en place, se met en branle pour nous conduire progressivement de la fête et la fanfare qui accompagnent ceux qui vont prendre le train et rejoindre ensuite le front après une longue marche, où le poids du barda se fait de plus en plus lourd sur les épaules, jusqu'au déploiement de la machine guerrière qui va les broyer.



J'ai aimé l'image du gros livre qui tombe du vélo lorsque Anthime redescend vers le village. Signe qu'on laisse tout en arrière sans s'en apercevoir dans la précipitation du départ : «... le gros livre est tombé du vélo, s'est ouvert dans sa chute pour se retrouver à jamais seul au bord du chemin, reposant à plat ventre sur l'un de ses chapitres intitulé «Aures habet, et non audiet.» (Il a des oreilles et il n'entend pas). Ce titre est celui du chapitre II Livre IV du roman de Hugo, «Quatre vingt treize» qui se passe en Vendée pendant la terreur et qui relate une scène presque semblable à celle que vient de vivre Anthime losqu'il voit le tocsin avant de l'entendre. Tous ont pourtant eu dans les oreilles les rumeurs de la guerre à venir, ont senti les menaces mais ils n'y croient pas vraiment jusqu'à ce tocsin.



« 14 » est pour moi une perfection car on en sort en ayant l'impression d'avoir dévoré un énorme roman comme «Quatre vingt treize» par exemple (la proportion étant respectée jusque dans les titres, le bref 14 en chiffre face au long quatre vingt treize en lettres)...

Il y a des scènes inoubliables que ce soit des scènes intimistes (le regard qu'échange par deux fois Blanche et Anthime avant le départ) ou des scènes d'une grande violence comme le premier combat où disparaissent la plupart des membres d'un orchestre qui accompagne l'avancée des soldats.

La fin a surpris certains lecteurs et pourtant elle me semble s'accorder parfaitement avec le début....



Merci à l'auteur pour son livre et pour m'avoir donner envie de lire «Quatre vingt treize» !!!
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Vie de Gérard Fulmard

Féroce et jubilatoire, cette vie de Gérard Fulmard, montre que l’on peut être un consultant apte à tout et donc bon à rien, avoir la chance de se dispenser de loyer grâce à la chute providentielle d’un engin spatial soviétique sur un centre commercial d’Auteuil qui satellise son propriétaire puis se recycler, à l’insu de son plein gré, dans le service d’ordre d’un parti politique.



Mouvement difficile à identifier ce FPI. Certes le mandat à Belfort fait penser au « Ché », (Chevénement) seul homme politique contemporain à être ressuscité, mais, en même temps, la suite évoqué davantage « l’andouille de Vire » (Strirn) qui payait des figurants pour remplir ses meetings, et, à vrai dire, il est à craindre que chaque parti soit envisageable depuis que les convictions ont disparu.



Quoi qu’il en soit toute ressemblance serait purement fortuite, dirait l’auteur, et le scénario, qui tient du pastiche littéraire, a le mérite de nous balader dans le Paris huppé de la rue Erlanger, de nous en livrer ses mystères et de nous peindre subtilement et cruellement la vanité de notre époque. La « scène de crime » à Auteuil nous vaut notamment une mémorable et savoureuse parodie des chaines d’information en continu.



Faisant penser à Modiano, les instantanés et les failles (le Bic en panne), les personnages tel le docteur Bardot, ces pages broient du noir avec humour, ironie, et talent, car l’auteur écrit avec une variété de styles, un luxe de vocabulaire, un rythme haletant qui font oublier la minceur de l’intrigue et le vide des personnages.



Cette source effervescente de bonne humeur, pouvant être mise dans toutes les mains, nous révèle un anti héros totalement méconnu dans un contexte de décadence que nous ne connaissons que trop.
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Vie de Gérard Fulmard

L’anti-héros est tendance. Gérard Fulmard, avec son nom qui, à une lettre près, évoque un oiseau de mer gris et terne s’inscrit sans conteste dans ce club peu envié des losers, des perdants, souvent assortis d’une propension à se construire des châteaux en Espagne.



La scène inaugurale ne manque pas d’originalité, de l’inédit à ce jour, mais tout à fait plausible, compte tenu de la colonisation de l’espace qui entoure notre planète par d’innombrables déchets technologiques. Gérard Fulmard y voit un point positif : son propriétaire est décédé, un peu de répit pour régler son loyer…



Ce que l’on sait de sa vie passée, peu de choses, hormis qu’il fut steward, licencié pour faute.

Ne rêvons pas sur son physique, les années ont peu à peu étoffé une silhouette qui fût peut être un jour longiligne. « Je ressemble à n’importe qui en moins bien ». Au moins de ce point de vue, il ne s’illusionne pas .



Il habitue une rue triste, seul. Et décide donc de reprendre le contrôle de son destin : il crée sa propre entreprise, aussi peu spécialisée que possible : le Cabinet Fulmard Assistance, au sein duquel il se promeut détective.



De fil en aiguille, le suivi psychiatrique dont il bénéficie, (sans choix personnel, puisque c’est une injonction suite aux débordements de conduite en plein vol) l’amène à fréquenter de drôles de personnages. Et à découvrir les manoeuvres tactiques d’un petit parti politique, peu influant par le nombre mais remarquable par ses excès.



Gérard Fulmard, anchois au milieu des requins…



C’est presqu’un roman d’espionnage que nous propose là Jean Echenoz, toujours dans ce style particulier, fait de sobriété et de précision; toujours en décalage avec le propos.



Malgré le peu d’empathie que suscite le personnage, il est difficile de ne pas avoir envie de savoir ce qui va lui arriver. Le milieu politique décrit ne fait pas rêver non plus, mais malgré tout, le roman se parcourt avec plaisir. D’autant que l’humour, assez grinçant, agrémente cette partition d’une symphonie lugubre.



Inconditionnelle de l’auteur, j’ai apprécié cet opus, mêmes ce n’est pas mon préféré.
Lien : http://kittylamouette.blogsp..
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14

Echenoz n'a pas écrit un livre de plus sur la "grande guerre". Il a écrit 14 et son livre se posera à côté des plus grands. 14, c'est l'essentiel, la guerre au plus serrée dans une prose qui l'est tout autant.

Lorsque le tocsin fait descendre Anthime de sa bicyclette, son destin est joué. Le sien et celui de ses amis qui incorporeront tous le 93° régiment. Le laconisme d'Echenoz révèle le tragique des faits, sa désinvolture enchâsse l'épouvante et son humour révèle l'horreur. En dire peu afin de dire mieux. L'écrivain est passé maître dans cet art.

Car ce petit roman en nombre de pages (124) est un bouquin immense. Ses héros n'en sont pas. Mais certains en seront. D'autres pas. C'est étrange le destin. Ca ne répond à aucune logique. C'est ironique.

"Cinq hommes sont partis à la guerre, une femme attend le retour de deux d'entre eux. Reste à savoir s'ils vont revenir. Quand. Et dans quel état".



Je vous laisse avec cette quatrième de couverture. Je sais qui est revenu. Dans quel état. Mais je sais surtout que je n'oublierai pas Anthime, Charles, Bossis, Arcenel et Padioleau.

Je sais enfin qu' "on ne quitte pas cette guerre comme ça. La situation est simple, on est coincés: les ennemis devant vous, les rats et les poux avec vous et, derrière vous, les gendarmes."
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Courir

Lorsque les Allemands envahissent la Moravie, Emile a dix-sept ans et, tout en poursuivant ses études de chimie, travaille comme ouvrier dans les poussières et la puanteur de l’usine Bata à Zlin. Lui que le sport rebute doit participer à la course à pied annuelle organisée à des fins promotionnelles par son entreprise, puis, propagande nationale-socialiste oblige, au cross-country de la Wehrmacht. Il est le premier surpris d’y prendre un certain plaisir, mais, surtout, de se classer sans effort en tête des coureurs. Il décide de s’entraîner, commence à gagner ses premières courses nationales et, la guerre finie, s’attaque à des compétitions mondiales où, dans un style chaotique totalement atypique, il se montre bientôt invincible, accumulant les titres et faisant tomber les records mondiaux toutes distances confondues : Zatopek est devenu le nom le plus célèbre de l’histoire de l’athlétisme.





Mais le rideau de fer s’abat sur l’Europe de l’Est, enfermant la Tchécoslovaquie et son illustre athlète dans l’hermétique périmètre soviétique. Lorsque, exceptionnellement, il est autorisé à en sortir, c’est sous l’étroit contrôle d’officiels qui lui dictent mots et gestes, tout en usant de ses exploits inégalés et de son aura héroïque à des fins de propagande. Il flirte encore quelque temps avec les sommets, avant de commencer à raccrocher. Son soutien au Printemps de Prague précipite sa disgrâce. Envoyé comme manutentionnaire dans la terrible mine d’uranium de Jachymov où s’abrège la vie des opposants politiques, le grand Zatopek redevenu minuscule Emile sera autorisé à finir éboueur à Prague, avant, trop visible encore puisqu’on le reconnaît dans la rue, de se retrouver relégué obscur archiviste.





Cette boucle de vie, partie de rien et revenue à rien après avoir tutoyé les sommets, inspire ici à Jean Echenoz, non pas un simple récit d’inspiration biographique, mais une œuvre originale et romanesque qui, effaçant dates et chiffres, s’attache à transformer en abstraction le personnage historique ressuscité par le travail de documentation. Cet homme ordinaire qui n’a « l’air de rien », mais qui, toujours « l’air de rien », se montre capable de tout, l’écrivain l’appelle simplement Emile, avec un e ajouté qui parfait le concept générique. Son patronyme n’apparaît dans le récit que tardivement, lorsque « ce nom de Zatopek qui n’était rien, qui n’était rien qu’un drôle de nom, se met à claquer universellement » et que cela lui fait tout drôle de le voir imprimé dans les journaux, tel une « nouvelle identité publique » que la foule scande « sur tous les tons, comme pour l’en informer » et que la propagande lui vole avant de tenter de le détruire.





Sans esbroufe mais en y jetant toutes ses forces, de son pas bizarre qui le fait ressembler à « une mécanique détraquée, disloquée », ne faisant « rien comme les autres » au point d’avoir l’air de faire « n’importe quoi », l’Emile du récit n’en trace pas moins sa route, fort d’une liberté d’être lui-même que rien ni personne ne parvient jamais à lui enlever. Débarrassé de toute idéalisation héroïque, il devient une figure forte et symbolique que l’on accompagne conquis par le regard distancié et le ton délicieusement léger et ironique d’un texte qui boucle la boucle comme le coureur ses tours de piste et l’existence son tour de roue. Coup de coeur.


Lien : https://leslecturesdecanneti..
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Vie de Gérard Fulmard

Bienvenue en Echenozie !



Cette fois, l'auteur s'empare du genre polar, mais à sa manière, très personnelle , rien que pour le plaisir d'en détourner les codes. Il y a bien un détective privé, une disparition mystérieuse qui pourrait s'avérer un meurtre, et un marigot d'hommes et femmes politiques prêts à toutes les combines pour s'emparer du pouvoir interne au sein de leur parti.



Clairement passe ton tour si tu veux un polar conventionnel "suspense – rebondissements – dénouement surprenant". La trame enquête est une célébration de la cassure, de l'ellipse et de la digression. Cet art du zigzag totalement maitrisé – et souvent jubilatoire – te fait côtoyer pendant quelques pages un boulon géant issu d'un satellite soviétique obsolète qui s'écrase sur Paris, un Mike Brant défenestré et même un cannibale japonais ... autant de détails ou d'informations que le lecteur appréhende sans trop savoir comment les classer dans la hiérarchie des péripéties. C'est son style qui embarque le lecteur dans une intrigue complètement farfelue - ou pas, on peut ne pas adhérer au style Echenoz.



Car oui, Echenoz est un styliste de haute volée, un formidable fabriquant de phrases. Chacune est un bonheur. Chaque phrase possède sa propre histoire, avec ses changements de registre de langue ou d'échelle, avec son art prononcé de la ponctuation pour cadencer les ruptures narratives internes . Les mots fondent dans la bouche comme des gourmandises.



Et quel humour ! Tout est cocasserie, on rit beaucoup. Notamment dans la présentation des nombreux personnages, qui donne lieu à une galerie de portraits truculents, à commencer par celui de Gérard Fulmard, le narrateur, antihéros désoeuvré et dérisoire, improvisé détective privé : « je ressemble à n'importe qui en moins bien. Taille au-dessous de la moyenne et poids au-dessus, physionomie sans grâce, études bornées à un brevet, vie sociale et revenus proche de rien, famille réduite à plus personne, je dispose de fort peu d'atouts, peu d'avantages ni de moyens. Encore heureux que j'aie pu rependre ces deux pièces et demie après le décès de ma mère, elles étaient locativement les siennes et je n'ai pas changé les meubles. »



J'ai adoré les noms attribués aux personnages ainsi que leurs descriptions

, Luigi Pannone, Nicole Tourneur, Cédric Ballestertous, Guillaume Flax, Francis Delahouère ( assistant de Joël Chanelle «  aspect sphéroïdal voisin de celui-ci mais en version effilochée, imprécise, mal rangée. Sa cravate dépasse derrière le col de sa chemise, ses cheveux sont rétifs et ses vêtements, même neufs, paraissent élimés aux extrémités, il ressemble au portrait de Chanelle exécuté par un enfant psychotique. » ), les frères Apollodore et Ermosthène Nguyen, Dorothée Lopez ( «  ce genre de femmes un peu mûres qu'on doit croiser dans des soirées dont je me fais une idée lointaine et qui, coupe de champagne en main, voix de fumeuse et bas fumés, décolleté abyssal et rouge à lèvres extraterritorial, doivent laisser distraitement glisser une bretelle de leur robe en citant Plekhanov du bout de leur grosse langue rose et, en pareil cas, le mécanisme est immanquable : je dois regarder ailleurs sinon je bande. »



Un roman délicieux et drolatique à savourer pour ses extraordinaires qualités d'écriture. Le souvenir en sera sans doute fugace, mais peu importe, le plaisir est là.



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Pour Anthime, ça a commencé lors d'une promenade à bicyclette par une belle journée d'août, quand le son des cloches a résonné dans l'air chaud et qu'il a reconnu le tocsin. « Le tocsin, vu l'état présent du monde, signifiait à coup sûr la mobilisation. » Puis tout s'est enchaîné, Anthime et ses amis sont devenus des soldats — partant se battre la fleur au fusil, selon l'expression consacrée, car la guerre ils ignoraient ce que c’était. Et que de toute façon, on prédisait qu'elle serait courte. On connaît la suite, la guerre qui s'éternise, les tranchées, la boue, l'ennui, le froid et la faim, les rats et les poux, les blessures atroces, les morts toujours plus nombreux, et le peloton d'exécution pour les récalcitrants.



Jean Echenoz, l'air de rien, signe avec 14 un livre exceptionnel sur une des plus grandes absurdités du vingtième siècle. Concis, ironique, factuel, il raconte la Grande Guerre du point de vue des soldats, des millions sacrifiés, victimes de la folie des hommes.
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Sur les conseils d’Anna, après l’Acacia, je me suis lancée à la découverte de Jean Echenoz et quelle découverte ! Un choc ! Une stupéfaction devant un tel talent littéraire ! Deux récits à l’écriture diamétralement opposée mais qui sont complémentaires, deux talents, deux lectures exigeantes comme je les apprécie mais deux lectures qui se répondent.



J’ai beaucoup lu sur ladite Grande Guerre (la grande boucherie). Jusqu’à l’âge de huit ans, j’ai eu la chance de pouvoir profiter de mon arrière-grand-père paternel, Victor, morvandiau de son état avec ses bretelles, sa ceinture de flanelle et ses moustaches à la Henri Vincenot. Nonobstant l’amour que je vouais à mes arrières grands-parents, J’ai grandi avec les récits sommaires de cette guerre et j’ai toujours voulu comprendre, lire, m’imprégner au plus près, comme pour mieux me rapprocher de mes arrières grands-parents.

Victor était sur le champ de bataille, Chemin des Dames et Verdun. Pendant tout ce temps, Juliette faisait tourner l’usine du chocolat Menier. Il trône en photo sur mon bureau, fier dans sa tenue de Poilu. Que ce soit un documentaire, un livre, je ne peux le dissocier de ces récits, il ne me quitte jamais avec cette question lancinante « comment ont-ils pu ? » !



Si vous voulez vous sentir propulsé un siècle en arrière en Vendée, si vous voulez entendre sonner le tocsin, lisez Echenoz ! En 124 pages, l’auteur a l’art de vous faire mordre la poussière des tranchées mais aussi de vous faire prendre conscience de ce qu’était le quotidien de monsieur et madame tout-le-monde, pas de héros, pas de faits exceptionnels, simplement des hommes embarqués dans une histoire qui les dépasse et une femme qui attend.



A l’image du titre, l’écriture se veut dépouillée, axée sur le mot juste, parfait, des phrases courtes qui font mouche, qui vous projettent sur le champ de bataille au milieu de l’hécatombe. L’auteur s’attache à mettre en évidence les sentiments, les pensées, les émotions, à hauteur de ces quatre hommes mobilisés et une jeune femme, Blanche, restée en Vendée pour nous immerger dans cette terrible Grande Guerre.



C’est avec enthousiasme qu’ils partent sous les fleurs et les bravo de la foule combattre le boche soit disant pour peu de temps, tout va se régler en deux temps, trois mouvements, une guerre « éclair » en quelque sorte.



J’ai admiré cette écriture élégante, à distance, un peu comme un journal de guerre, écrit au quotidien, à la fois proche, fusionnel mais aussi de loin, comme si je tenais une caméra, et pourtant, les sensations sont là ; la chaleur sous l’uniforme et le casque qui blesse, la vermine, l’odeur de la mort, de l’urine, le (dé) goût du « singe en boite », la lourdeur de l’équipement, son évolution, le perfectionnement des armes au détriment des soldats, et la peur. Tout est précis, concis, jusqu’au retour de l'infirme où le membre amputé continue de faire souffrir.

Echenoz s’est beaucoup attaché au destin de ces quatre amis et de Blanche plus qu’à l’Histoire de la Grande Guerre. De ces 124 pages, derrière un cynisme affiché, une forme de désinvolture, j’entends un questionnement sur le sens, sur la destinée, et un discours à charge contre les officiers, les politiques qui ont sacrifié toute une jeunesse comme le démontre une scène où deux aéroplanes, un Ferman et un Aviatik vont s’opposer : scène exceptionnelle de réalisme avec une économie de mots ! J’en suis arrivée à me demander si Echenoz ne possédait pas « un truc », un petit quelque chose de magique qui puisse donner autant de relief, autant de force, à une écriture aussi minimaliste.



Je vais relire ce livre rien que pour le plaisir d’admirer avec quelle virtuosité Echenoz défie Proust ou Claude Simon ! Quel amour des mots et quelle connaissance pour parvenir à ce qu’un seul mot, à la nuance près, puisse suggérer l’idée tapie dans l’esprit de l’auteur.



Ce qui me fait dire que notre langue française possède un vocabulaire d’une richesse sans fin, qu’elle doit être préservée, respectée et aimée comme seuls de tels auteurs sont à même de nous le démontrer.

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Vie de Gérard Fulmard

Viré de son emploi de steward, Gérard Fulmard décide de se promulguer détective privé. Sans aucune expérience, il se retrouve embarqué dans une drôle d'affaire et, à son corps défendant, devient homme de mains d'un parti politique, dans des circonstances qui ne vont cesser de lui échapper.





Quel délice que ce roman qui s'amuse à détourner les codes du polar pour nous servir une histoire riche en rebondissements burlesques, centrée sur un anti-héros bien peu armé pour affronter les pièges d'un monde politique dangereusement marécageux, et rédigée dans un style jubilatoire et sans pareil : chaque phrase est une friandise, tant le choix des mots et des formules est ciselé, le tout sur un ton où transperce la délectation de nous surprendre et de nous faire sourire. Entre l'intrigue pleine de fantaisie dont on se demande avec curiosité quelle en sera l'issue, et l'irrésistible jeu de l'écriture, aussi drôle que virtuose, l'on parvient à l'excipit avec le regret d'en avoir déjà terminé avec ce pur moment de plaisir littéraire. Coup de coeur.


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L'occupation des sols

Que reste-t-il après la mort ? De Sylvie, un incendie a détruit jusqu’à la dernière photographie et l’ultime objet usuel. Pour son époux Fabre et son fils Paul, il devient de plus en plus difficile de se la représenter précisément, les mots sont impuissants à l’incarner et de leurs efforts ne naissent que « des hologrammes que dégonfle la moindre imprécision ». En vérité, une image de la disparue subsiste quand même : figurée en pied dans une fresque publicitaire couvrant tout le pignon d’un immeuble parisien, en surplomb d’un square formant le coin d’une rue, elle sourit, pour l’éternité semble-t-il, la main tendant en offrande un flacon de parfum.





Alors, le père et le fils prennent l’habitude, en un cérémonial réglé et réconfortant aux presque allures de culte marial, de venir se recueillir devant cette effigie, qui, le bras tendu dans sa robe bleue, semble leur accorder son inaltérable et bénévolente bénédiction. Il n’est pas jusqu’au ravalement de façade de l’immeuble, pour, par contraste avec sa nouvelle modernité, donner comme plus de prix encore à ce témoignage patiné, survivant au temps et à l’oubli. Pourtant, d’éternité il n’est plus guère question longtemps : devenu friche puis dépotoir, le square abandonné cache un temps sa honte derrière des palissades taggées, mais finit par laisser libre champ à un nouveau projet d’occupation de son sol.





L’image souriante qui, bravement, résistait au lent effacement programmé par les intempéries, se retrouve progressivement recouverte, comme le Zouave du Pont de l’Alma à la crue montante, par l’élévation des étages d’un nouvel immeuble résidentiel, destiné à combler le trou qui béait si vilainement dans la gencive de la rue. Il semble à Paul que la Sylvie de la fresque va suffoquer lorsque le catafalque de béton se referme enfin sur son visage et c’est comme une seconde mort qui survient, enfermant dans un sépulcre le dernier vestige concret de sa mère. Mais les Fabre n’ont pas dit leur dernier mot. Le père s’étant rendu acquéreur de l’appartement occultant les narines de Sylvie, les deux hommes s’empressent de gratter le mur, pour, tels des restaurateurs de fresques à Pompéi, permettre à l‘image de reprendre vie…





Une vingtaine de pages suffisent à Jean Echenoz pour camper magnifiquement cette histoire de temps qui passe et use jusqu’aux souvenirs, défiant les hommes, depuis toujours préoccupés d’éternité et de traces de leur passage. Des pyramides égyptiennes à toutes les œuvres d’art, les générations humaines qui se succèdent, occupant chacune leur tour le sol de cette terre, ont ainsi inventé la seule chose qui leur permettent de traverser symboliquement les âges : ces réalisations que les archéologues et les conservateurs de musées s’emploient avec passion à préserver…


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Je m'en vais

Mon premier Echenoz. Un livre dans lequel j'ai eu du mal à entrer. Je n'ai pas apprécié l'humour de l'auteur ni trop son écriture.Etant donné que ce roman a obtenu le prix Goncourt en 1999 je m'attendais à beaucoup mieux. Pour moi un livre récompensé par un prix doit être génial. Je n'ai pas trouvé ce livre au-dessus de la moyenne. Je le regrette. Je suis déçue.
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Vie de Gérard Fulmard

Ne me dites pas que vous n’en avez pas entendu parler ! La plupart des magazines consacrent au moins une page à Jean Echenoz et à son dernier roman, Vie de Gérard Fulmard. On crie au génie… Alors, véritable chef-d’œuvre ou coup de communication ?



Ecrivain atypique, ne recherchant pas spécialement l’exposition médiatique, Jean Echenoz est très apprécié dans une certaine élite littéraire. Au cours des vingt dernières années, ses œuvres ont été saluées par des prix éminents, mais relativement confidentiels. Le prix Goncourt lui avait été attribué en 1999 pour son roman Je m’en vais. En remontant plus loin dans le temps, on trouve aussi un prix Médicis (1983).



Son écriture est volontairement minimaliste. Les ellipses aménagées dans ses narrations confèrent à ses fictions une ambiance étrange, une absence apparente de sens, un je-ne-sais-quoi de surréel. Une particularité qui pourrait évoquer Patrick Modiano, chez qui l’essentiel d’un récit se situe aussi au-delà de l’histoire racontée. Mais chez Echenoz, et notamment dans Vie de Gérard Fulmard, pas d’introspection, pas de quête personnelle, pas d’interrogation spirituelle, juste le constat désinvolte de l’absurdité du monde, la démonstration ironique de la vacuité des choses humaines.



Une absurdité qui se retrouve dans l’incongruité des situations décrites tout au long du livre. Une vacuité partagée par tous les personnages : que des tocards, des losers, dont les projets ne peuvent qu’échouer, à commencer par Gérard Fulmard, le personnage principal ! Et les autres personnages, des politicards minables, membres d’un parti populiste, ne valent guère mieux. La médiocrité des personnages est un point commun avec Michel Houellebecq, mais alors que celui-ci prend un plaisir provocateur à en disséquer tous les aspects, Jean Echenoz reste au niveau de la suggestion floue. Avec le risque de se répéter et d’en affaiblir l’effet de dérision.



Peut-on parler d’intrigue dans Vie de Gérard Fulmard ? Au vu des nombreuses digressions qui se succèdent et qui m’ont à chaque fois embarqué, je me suis posé la question, même si l’auteur a l’habitude de déclarer que l’intrigue est un mal nécessaire du roman. Oui, il y a le fil d’une intrigue, un fil bien mince, une vague intrigue de roman policier dans la tradition des anciennes séries noires. Un polar, donc, à moins qu’il ne s’agisse d’un pastiche de polar. Mais peu importe.



L’écriture est exceptionnelle. Comme Houellebecq, Echenoz a une telle maîtrise de la langue, de la syntaxe et du vocabulaire qu’il est capable de s’abstraire des règles littéraires courantes et d’oser toutes les fantaisies, comme mêler dialogues et narration, ou changer de narrateur au beau milieu d’une phrase, ou encore insérer des mots rares dans une assertion d’une banalité affligeante.



Pourquoi Jean Echenoz écrit-il ? Pour le plaisir d’écrire, tout simplement. Et si on le lisait pour le plaisir de lire, tout simplement ? Car les deux cents et quelques pages du livre se lisent avec jubilation. C’est déjà ça. Pourquoi se priver du plaisir instantané d’une lecture sans arrière-pensées ? De là à parler de chef-d’œuvre…



Que me restera-t-il de Vie de Gérard Fulmard un mois après tourné la dernière page ? Juste que j’aurais pris beaucoup de plaisir à lire un roman dont je ne me souviendrai plus très bien de quoi il y était question.


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Courir

Forrest Gump, ça vous parle? Mais si, le gars qui court tout le temps et qui part dans des délires avec les crevettes, vous savez. Bon, pas grave parce que ça n'a aucun rapport avec le Courir de Jean Echenoz, si ce n'est qu'on parle d'un gars qui court aussi. Et qui court en traversant l'Histoire de son pays. Mais qui se fout royalement des crevettes.



Ce gars c'est Zatopek. Emile de son ptit nom. Né en 1922 en Tchécoslovaquie. Et naître dans la Tchécoslovaquie du XXème siècle, on ne peut pas dire que ça démarre comme un conte de fées. Donc rien ne le prédestinait à devenir un des plus grands  athlètes de l'histoire du sport. Mais le destin réserve parfois des surprises.



Emile, il n'est pas contrariant. On le met à trimer dans l'usine Bata, il dit ok. On le change de poste quand ça arrange la hiérarchie, il dit ok. On lui dit tu vas courir contre une sélection aryenne surentrainée, il dit ok. On lui propose de servir son pays et d'entrer dans l'armée tchèque, toujours ok. Pas contrariant le gars, je vous assure. 

Mais, dans ce même temps, Emile s'aperçoit qu'il adore courir en fait. Ça en devient même une obsession. Courir, se surpasser et s'entraîner dès que possible.

Et à galoper comme un lapin par tous les temps et tous les chemins, il finit par se faire remarquer. Pas par son style, il ressemble davantage à un pantin désarticulé qu'à un Usain Bolt majestueusement sculpté (qu'était même pas né çui-la de toute façon) mais par son endurance et sa vitesse. 5, 10, 20 kilomètres ou marathon, même pas mal. Il vous court ça tranquille le Emile, fingers in the nose.

Cours Emile, cours.



Compétitions locales, européennes, internationales, Jeux olympiques : les records du monde sont pulvérisés. On le surnomme alors la locomotive tchèque, juste parce que le Concorde et le TGV n'existent pas encore. Il laisse ses concurrents sur place, à cracher leurs poumons dans son dos, pendant que lui s'envole sur le toit de l'Europe et du monde.

En revanche, il ne fait toujours pas ce qu'il veut. Car en pleine guerre froide et rideau de fer bien enraciné, c'est le gouvernement tchèque qui décide pour lui de ses compèts, si oui ou non il ira ou pas courir ici ou là-bas. Et Emile ne se rebelle pas, il accepte. Pas contrariant le bonhomme on vous dit.



Jean Echenoz nous retrace quelques moments de cette vie hors du commun. Ce n'est pas une biographie à proprement parler car il s'attarde uniquement sur la carrière sportive de Zatopek, en la mettant en relation avec l'actualité et le contexte politique de l'époque. L'histoire de Courir court (arf arf) sur une trentaine d'années en démarrant avec l'invasion de la Moravie par les Allemands pendant la seconde guerre mondiale pour se terminer avec celle de la Tchécoslovaquie par les Russes fin des années 60.

De l'auteur, j'avais déjà aimé Ravel dans le même genre. Bon, il ne courait pas Maurice, faute de temps avec son Boléro à composer, mais l'écriture était assez semblable. Très accessible, fluide et légèrement teintée d'humour, on suit avec plaisir et sans grand effort l'épopée de ce grand athlète.



Et à en croire Gump mère : "la vie c'est comme une boîte de chocolats, on ne sait jamais sur quoi on va tomber". Donc Zatopek, lui, a chopé tous les bons chocolats au début de sa suprématie sportive, mais il s'est quand même enfilé un bon paquet d'indigestes ensuite (certainement ceux à la liqueur, ceux qui dégoulinent sur le menton) au vu de sa difficile après-carrière qui conclut le récit.
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Au piano

Max est un pianiste classique de notoriété internationale. Il vit avec Alice, sa sœur, dans un grand duplex à Paris, métro Château-Rouge. Il est un peu trop porté sur l’alcool, ce qui fait mauvais ménage avec sa profession. Il est amoureux d’une femme qu’il a perdue de vue et cherche à retrouver, Rose. Dès le début du récit, nous savons qu’il mourra « dans vingt-deux jours ». ● J’ai toujours plaisir à retrouver la prose si élégante et précise d’Echenoz. Elle est ici mise au service d’un récit très original et plein d’humour, où l’on se dit, à partir de la deuxième partie : « Est-ce bien ce que je crois ? Le personnage est-il bien là où je crois qu’il est ? » ● Eh oui, le roman va vers le fantastique, mais un fantastique si proche du quotidien qu’il est difficile à distinguer. C’est très réussi. ● Cette fois encore il ne faut pas lire la IVe de couverture, qui en dit beaucoup trop et lève des ambiguïtés savamment mises en place par l’auteur.
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Ravel

Echenoz a creusé 3 fois la veine biographique pour s’affronter au génie: scientifique (Tesla), sportif (Zatopek), artistique (Ravel). Mais bien sûr Échenoz ne fait rien comme tout le monde.

Un bon biographe commence par la naissance. Le livre s’ouvre sur un bain « amniotique » dont Ravel sort en titubant. Voilà, il est né et assez grand pour marcher: ça, c’est fait. Le compositeur, à peine né comme personnage, est déjà une star dont la tournée en Amérique prouve l’engouement qu’il suscite. Au rebours de la biographie attendue, Échenoz ne nous dit presque rien du processus créatif : on en saura plus sur l’art déployé par Ravel pour choisir sa toilette du jour que sur la composition du Boléro.

Bon, mais alors, c’est quoi le génie?

Sans doute Échenoz a-t-il choisi Ravel parce que rien ne vient distraire le lecteur de cette question. Ravel n’a pas de vie privée, ni amant, ni maîtresse; sans être riche il n’est pas impécunieux; exit l’artiste maudit et romantique dont les tourments feraient jaillir l’inspiration. D’ailleurs, quelle inspiration ? Ravel ne dort même pas assez pour pouvoir rêver.

L’œuvre naît de l’impalpable et du hasard. On presse Ravel de répéter? Bon, se dit-il, répétons. Et de ligne musicale répétée en ligne musicale répétée, voici le Boléro. Et surtout elle s’affranchît de son auteur. Qui ne l’aime pas tant que ça. Qui finit par l’apprécier sans être tout à fait sûr de l’avoir écrite. Et plus l’œuvre de Ravel gagne en notoriété et en reconnaissance, plus l’auteur disparaît. Il cesse d’exister avant même de mourir, et on a si peu de photos de lui, pas d’enregistrement, même sa signature finit par ne plus pouvoir être formée. Reste l’œuvre qu’aucune biographie ne saurait expliquer, prépondérante et admirable.

Et puisque le Boléro n’est que répétition, Échenoz répète l’œuvre en mimant son accélération. Des pages pour ne décrire qu’une seule journée, puis autant de pages pour raconter plusieurs mois, et de moins en moins de pages pour un temps de plus en plus étendu. Au-delà du jeu et du clin d’œil, c’est donc le livre intitulé « Ravel » qui se déploie comme le Boléro, l’auteur s’est confondu avec son œuvre, et même Échenoz disparaît, happé par son sujet, lui aussi inclassable, et si Échenoz est Ravel, l’œuvre une fois de plus éclipse son auteur.

Voilà. Un génie est un type dont on ne sait rien, sinon par la magnificence de ce qu’il a produit.
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14

14 de Jean Echenoz, c’est comme un petit caillou que l’on garde dans sa poche pour ne pas oublier, c’est un livre court qui parle intimement de la guerre. C’est tout l’art de dire avec une apparente distance et beaucoup d’élégance, l’indicible, l’horreur des tranchés. Un condensé de la nature humaine dans les situations les plus épouvantables, l’implacable mise à l’épreuve de soldats aux personnalités bien différentes. Le courage et le hasard feront le reste… Jean Echenoz s’attache aux détails matériels, au poids des sacs, aux uniformes, aux rations, au climat, aux odeurs, aux poux à travers le simple récit de cinq jeunes hommes partis la fleur au fusil faire la guerre, tandis que Blanche attend le retour de deux d’entre eux.

« Reste à savoir s'ils vont revenir. Quand. Et dans quel état".

14 ans, c’est l’âge que j’avais lorsque mon grand-père est décédé à l’âge de 88 ans, sans jamais avoir rien raconté d’essentiel à propos des quatre longues années passées à se battre durant la première guerre mondiale. Je souffre de ne pas lui avoir posé beaucoup de questions et en lisant ce livre bouleversant, j’ai eu l’impression de reprendre le dialogue avec lui et les rares anecdotes édulcorées qu’il me racontait, comme dormir dans la neige.

Il faut dire que le style est magnifique, 14 est un coup de cœur.





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