Cette semaine arrive en salles un Everest de trois heures quarante qu'il faut absolument gravir.
Portrait saisissant de la société française post-Mai 68 autant qu'analyse sans tabou du sentiment amoureux à l'heure de la libération sexuelle, "La Maman et la Putain" est enfin de retour sur les écrans (dans une version magnifiquement restaurée), cinquante ans après avoir reçu le Grand Prix spécial du jury au Festival de Cannes.
Tous ceux qui ont eu la chance de découvrir le chef-d'oeuvre de Jean Eustache vous le diront : on ne se remet jamais de la vision d'Alexandre (Jean-Pierre Léaud) partageant son lit et sa lâcheté avec Marie (Bernadette Lafont) et Veronika (Françoise Lebrun) ; de leurs monologues sans limites ; des gros plans en noir et blanc qui retrouvent la poésie et l'innocence du muet.
Explication en vidéo
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"Je croyais que les gens qui travaillaient étaient plus équilibrés que les autres, ou au moins qu'ils faisaient semblant."
J'ai souvent souhaité un nouveau réveil, pour renaître, tout ressentir à nouveau, les joies, les peines et tout et tout. Je crois aujourd'hui ce réveil trop grand ou trop dangereux pour l'homme que je suis Cette porte vers la félicité qui me visite dans mes rêves peut je crois n'être que celle de la mort.
Peine perdue (fragments d'un scénario abandonné).
Elle remonte.
VERONIKA. J'ai pensé à vous dans les chiottes. Il y a un graffiti.
"Ma rage d'aimer donne sur la mort comme une fenêtre sur la cour" et quelqu'un a écrit dessous "Saute Narcisse".
ALEXANDRE. Ca vous a fait penser à moi.
VERONIKA. Ca vous ressemble non ?
C'est curieux. Je n'ai pas cessé de souffrir. Je ne me suis pas accroché à toi mais à ma souffrance. J'ai essayé de la retenir pour te garder près de moi. Pour nous garder. Le jour où je m'en sortirai, comme tu dis, où je ne souffrirai plus, c'est que je serai un autre.
Et je n'ai pas envie de devenir un autre parce que ce jour-là nous ne pourrons pas nous retrouver. Tu sais, je ne suis pas dupe. Il y a le temps qui passe... Je ne pourrai pas lutter très longtemps contre lui. Aujourd'hui, je suis venu te chercher. Si tu ne sais pas ce que tu veux il sera peut-être trop tard quand tu le sauras...

[Alexandre] Je crois que je confondais le jour et la nuit. Vous savez comme les gens sont beaux la nuit, c'est comme Paris, Paris est très beau la nuit, débarrassé de sa graisse que sont les voitures. J'avais coupé le monde en deux. J'étais tombé amoureux des gens de la nuit. Je les trouvais très beaux. Je refusais obstinément de les voir le jour. Je passais mon temps à boire, à jouer, à fumer, à faire l'amour. J'avais de l'argent, un peu d'argent, quand j'ai de l'argent je ne fais plus rien, je déteste cette attitude des gens qui veulent en avoir toujours plus. Le matin, je prenais un dernier verre au comptoir des cafés, avec les gens qui venaient de se lever, avec leurs gueules d'abrutis pour aller travailler. Et je rentrais. Elle se levait pour aller travailler. Elle me réveillait en revenant. L'hiver je ne voyais plus le jour. Petit à petit, elle n'a plus rien compris à ma vie, ni moi à la sienne ; elle était belle comme le jour, mais j'aimais les femmes belles comme la nuit.
(scénario brut de tournage)
[Alexandre] ...ceux dont on peut dire qu'ils ont réussi. Tous ces médecins, architectes, publicistes, agents d'Assurances... qui découvrent tout à coup qu'ils ont raté leur vie, qu'ils avaient une vocation artistique, peintre, musicien. Je ne sais quoi. Ils gagnent de l'argent, ils ont des maisons, des voitures, des femmes, des enfants, et découvrent qu'ils s'emmerdent. Ils disent : "j'ai tout ce qu'il me faut et je m'emmerde." Et tout à coup ils envient ceux pour qui rien n'a marché, en pensant "quelle chance ils ont..."
(scénario brut de tournage)
J'ai écrit ce scénario car j'aimais une femme qui m'avait quitté. Je voulais qu'elle joue dans un film que j'avais écrit... J'ai écrit ce film pour elle et pour Jean-Pierre Léaud; s'ils avaient refusé de le jouer, je ne l'aurais pas écrit. Je pensais écrire le film en huit jours, je n'avais écrit que la première séquence, je ne connaissais pas encore la seconde.
[Alexandre] Quand on mange froid, on sent le froid, pas le goût. Quand on mange chaud, on sent le chaud, pas le goût. Quand c'est dûr, on sent le dûr, pas le goût. Donc il faut manger tiède et mou.
(scénario brut de tournage)
J’ai toujours été contre les techniques nouvelles. Je suis peut-être « réactionnaire » mais je crois être en cela « révolutionnaire».
Ce que j'ai voulu faire était quand même mieux que ce que j'ai fait.