La différence entre les gens de ma génération et ceux d’aujourd’hui, c’est que nous, nous étions heureux de ce que nous avions, alors qu’aujourd’hui ils sont malheureux de ce qu’ils n’ont pas.
La pêche est un métier mais c’est surtout un savoir-faire qui s’apprend, qui se cultive tout au long d’une vie. Même si les moyens modernes étaient apparus depuis quelques décennies, la radiogoniométrie ou les sondeurs, rien ne remplaçait l’instinct du bon pêcheur. Celui qui savait, à partir d’un changement de météo ou d’une variation de température, s’il allait passer de la sole au maquereau. Celui qui savait en fonction des courants ou des coefficients de marée, s’il pêcherait mieux à Santettie ou à Vergoyer (zones de pêche du détroit du Pas-de-Calais).
Lorsque la mer est en colère
La vague aux sinistres sanglots
Devient quelquefois une bière
Pour nos courageux matelots.
A leur famille triste et bonne
Qui maudit le grand vent de l’hiver
Il ne reste qu’une couronne
Et ces trois mots : « Perdu en mer « .
Poème de Paul Bracquart
Disparaître en mer, ce drame est quelque chose de terrible, on ne dit pas du marin qu'il est mort, même officiellement on dit "disparu". Comme ci, un jour, il pouvait réapparaitre. Si le corps n'est pas retrouvé, ce qui est en général le cas, la disparition, elle, en plus d'être tragique, laisse un goût d'inachevé, la boucle n'est pas bouclée. Il est encore plus difficile de faire son deuil dans ce type de situation. toutes les femmes de la famille, épouse, sœurs, cousines, se mettaient en neuvaine. Neuf jours à espérer le retour d'un corps que la mer ne rendrait jamais.
La plage c'est le seul endroit où chacun peut avoir son château, le construire, le regarder, le posséder. C'est le seul endroit où dans leur maillot de bains, tous les enfants sont égaux. Les quelques éclats de rire des gamins qui s'éclaboussent dans l'eau marron, saturée de sable fin, ont toujours la même sincérité. Les châteaux de sable eux, disparaitront à la prochaine marée et renaitront le lendemain si le temps le permet.
Chez certains, la misère suintait des murs les jours de pluie. On y a déplaçait parfois les meubles pour les remplacer par des seaux se remplissant des fuites du plafond. C'était la misère, la vraie, celle qui vous fait perdre jusqu'à votre dignité.
Cet ouragan leva une mer déchaînée qui n'obéit à rien, celle qui brise, celle qui tue. Depuis l'annonce de la catastrophe à venir, mon père avait l'oreille rivée au poste T.S.F. en augmentant le son à chaque bulletin d'information ; réclamant le silence au moindre soupir.
...Pendant les cinq années, qui allaient suivre, pour la plupart des gens que nous allions côtoyer, nous n'aurions pas d'identité. Ils nous appelleraient : "Les réfugiées"...