Cette semaine, Grégor Péan était l'invité de Valérie Expert et Gérard Collard pour parler de son second roman, le ciel t'attend, et de l'incroyable histoire de Yuri Gagarine, le premier homme qui volera dans l'espace. Mais à quel prix ?
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Grégor Péan sera aussi à La Griffe Noire à #saintmaurdesfosses le samedi 6 avril pour vous rencontrer !
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Certains prétendirent qu’on avait acté de le supprimer en haut lieu. Réduit au rang de has been, de casse-cou porté sur la vodka et les femmes, il avait fini par devenir gênant. Grand étendard du communisme et de l’URSS pendant des années, son image s’était ternie. L’ouvrier communiste ne pouvait pas avoir pour modèle un trublion alcoolique, amateur de voitures de sport.
Péan imprégné d'éducation religieuse, était convaincu par la nécessité de pardon. D'ailleurs, ceux qui avaient dessiné la frontière du bien et du mal avaient laissé une place pour ceux qui s'y étaient perdus.
C'est important de savoir que notre laideur, quelle qu'elle soit, cache une certaine beauté.
Un soir, il nous raconta qu'il avait pris un verre avec un espion et que la règle numéro un pour ce genre de personnage était de toujours se mettre dos au mur. J'aimais bien ces histoires.
" On avait sûrement calomnié Joseph K..., car, sans avoir rien fait de mal, il fut arrêté un matin. "
Franz Kafka, Le Procès.
(page 7).
Un peu comme un baby blues, ceux qui ont préparé des épreuves pendant des années se sentent désorientés quand celles-ci sont passées ou déprogrammées. Le mental, le corps ont tendu vers un même objectif, et la disparition de ce dernier laisse la personne hagarde. Comment se comporter lorsqu’on ne se prépare plus à être le meilleur ? On se sent redevenir banal, et cette banalité a un goût de médiocrité. Ceux qui ont une vie ordinaire ne connaîtront jamais ce sentiment. Mais les cosmonautes n’ont pas une vie ordinaire, on l’aura compris. Ils côtoient les extrêmes, la peur ou la joie ultime.
D’autant que Youri Gagarine croyait avec sincérité en la supériorité du communisme sur les autres systèmes. Certes, il avait subi la propagande pendant ses études, ce rabâchage à coups d’histoires de Lénine, de la révolution, et de caricature du peuple américain. Mais, à titre personnel, il voyait bien que le système l’avait plus que promu. Venu d’un village sans eau courante, né en quelque sorte au Moyen Âge, il était entré dans la machine la plus sophistiquée du monde. Dans ce système, un gosse de paysan n’avait-il pas fait des études tout à fait honorables de métallo-fondeur ? Puis de pilote d’avion, avant d’être recruté pour un programme très spécial ? Youri se souvenait avec acuité des mots de son instructeur : « Aux États-Unis, seuls les fils de pilotes deviennent pilotes. Ici, tout le monde a droit à sa chance. »
Concrètement, les USA ont récupéré Wernher von Braun, le créateur du V2, cette fameuse rocket dont Hitler a rêvé jusqu’au bout. Si, juste avant de se suicider, le dictateur avait pu envoyer une tête nucléaire sur Londres, Moscou ou Washington, il n’aurait pas hésité une seconde. On sait à quel point la vie humaine était moins importante que l’idéal de société conçu par son esprit malade. Tout s’est joué à un cheveu. Les fusées soviétiques et américaines qui propulseront plus tard des hommes en orbite – Gagarine compris – sont nées dans le cerveau du Sturmbannführer von Braun. Le 25 juillet 1969, quand un Yankee bon teint pose le pied sur la Lune, on évite de communiquer sur le fait que ce miracle repose sur le génie d’un SS. Capturé par les Américains, le créateur du V2 a été rapatrié avec ses brevets. Il sera le maître d’œuvre des projets Mercury, Gemini et enfin Apollo. C’est une chance pour tous que le génie d’un homme ait servi à l’exploration de l’univers, plutôt qu’à un massacre sans nom.
Il est à noter que dans les années 1960 à 1980, les livres sur Hitler, s'il y en a, ne mentionne pas l'assassinat des Juifs. Le Livre Noir, d'Ilya Ehrenbourg et Vassili Grossmann, qui fait état du traitement de la population juive par les nazis, a été interdite par Staline, et ne sortira qu'en 2010 en Russie.
En faisant son bilan anticipé, Khrouchtchev adopta un ton assez nostalgique, ce qui lui allait mal. Peut-être avait-il l’impression d’être au sommet de son mandat. Il savait que le pouvoir n’était pas éternel. Et qu’après l’ascension, le temps de la descente allait bientôt sonner.
« Vous savez, Marina, la fin de Staline et l’exploit effectué par Youri Gagarine seront liés à jamais. Je crois que, sans ce miracle du premier homme dans l’espace, le communisme aurait pu mourir de désespoir. Avec ce petit gars, ils ont compris que toutes les pertes, toute cette tristesse ont été dépassées. Le communisme vient d’en reprendre pour trente ans ! »
On était en 1961. Nikita voyait juste.