Vieux chien
Vieux chien se cogne
au pied de la table
ne quitte plus la cuisine
fait crisser la chaise
et se balançant
d'un flanc l'autre
lorgnant le plafond
lampe allumée
sème ici et là souvenirs
de trottoirs anciens
buisson angle de rue
boucher pas loin
massif près du feu rouge
elle traîne la savate il tire
à peine son rauque
langue prête à tomber
vite le bac à sable
une infection mais
ventre plein le soulager
que faire il flaire
fauteuil personne tapis
souillé elle va menacer
d'une caresse tremblotante
touffes de poils au panier
lui qui faisait si bien le beau
sur deux pattes et hop hop
mais depuis quand
n'a-telle pas secoué la laisse
et lui sa queue vaguement
souffle perdu à force
de descendre monter l'escalier
non rien ne bouge
il se cogne à la porte
tout allumé dormir manger
là son assiette un bout sec
de quoi déjà plus rien
riz dur jambon pue
où est-elle dormir
alors il se couche
sous la table et
pose son museau
sur la main froide
du corps coincé
entre four et buffet.
P. 23
Le bœuf
La tête du bœuf
langue énorme tendue
roule dans l'herbe rare
qu'un vent salé venu
de l'autre bout
du monde caresse.
Ses naseaux palpitent
la nuit vacille au gré
du feu de bois pâle
dérisoire colère
fine trémulation
de sa langue de plâtre
les yeux écarquillés
il cherche l'air épais
des planètes perdues.
Paysages lointains
de nomades exilés
montagnes pelées d'antan
étincelles de joie
cris et rires des enfants
fascinés par la mort
ivresse des nuages
de poussière martelée
par les chants et les danses
dans le vent rouge de sable
et l'amour des ruisseaux
le corps lourd foudroyé
tel un arbre isolé
fait trembler les étoiles.
P. 17
L'escargot
Rares les occasions
pour le colimaçon
de rire préoccupé
qu'il est de ne pas
s'envoler sans ailes
enfin dit-on car
ses fiers tentacules
que les voiliers imitent
pourraient tenir de mâts
nouant avec astuce
feuilles de peuplier
s'il savait se placer
pour attraper le vent.
[…]
***
L’âne
Les cordes grincent
et le bois chante
les sabots martèlent
réguliers et puissants
tourne l’âne aveuglé
planètes encerclées
le sable craque sous
la roue millénaire
l’âne pleure-t-il
non l’âne n’est pas
il est ailleurs mais où
[…]
pp. 13, 39
Port de Tanger, lumière.
Le soleil fait briller des traces d'huile, les rails d'une grue dressée au bout du quai. Ça et là quelques papiers volettent.
Camions et voitures, tout à l'heure innombrables, ont été engloutis par le paquebot. Les grosses chaînes du pont-levis, enfin !, se tendent et craquent, grincent, s'enroulent péniblement. Des treuils coule un bruit sourd sur lequel glisse une note, plaintive, irrégulière, aigüe. La plateforme se relève.
Le bateau se fait île, à portée de main, inaccessible.
Incipit
Il fixe tout, malgré lui.
Chéchia rouge posée de travers sur la tête d'un homme qui pousse son vélo. Porte-bagages de guingois, un cageot plein de poulets blancs et marrons. Une tête jaillit et glousse.
Une charrette passe, tirée par un mulet. Les fers tapent gaiement sur le macadam. Juste après, pendant quelques secondes, flotte l'odeur du crottin frais écrasé par les roues, de vieilles roues d'automobile.
Un bourricot trottine au rythme du claquement de langue de son maître. Les jambes croisées, ballantes d'un côté, sursautent à chaque pas. Un pied retient sa babouche qui jamais ne tombe.
Il ne veut rien raconter de son étouffement, du grondement dans sa tête, de sa colère. Il se dit que de toute façon, ça ne servirait à rien.