Jean-Jacques Sempé

Le chapitre consacré à Jean-Jacques Sempé parolier :

Le tango de la prudence
Se danse à pas mesurés
Il se danse avec méfiance
Il se danse à pas comptés.

Dansons-le à pas de loup
Dansons-le à pas feutrés
Soyons calmes, restons flous
Exubérants s’abstenir. Restons discrets
Évitons les entrechats
C’est un tango pour les chats

Observons la loi du silence
Maîtrisons bien nos émotions
Notre patience est une science
Depuis moultes générations
Nous n’en faisons pas étalage
Nous ne pensons qu’à notre fromage

Il faut garder la tête froide
Pour se mettre les pieds au chaud
Évitons donc les incartades
Et conduisons-nous comme il faut
Jugulons nos élans de rage
Notre seul but c’est le fromage

Nos propriétés olfactives
Nous font savoir d’où vient le vent
Par de subtiles tentatives
Des calculs patients et savants
Une obstination de roi mage
Progressons vers notre fromage

Certains certes sont plus rapides
Ont du panache, de l’éclat
Font d’Artagnan ou font le Cid
Nous, nous n’en faisons pas un plat
Nous restons humbles, nous sommes sages
Mais on l’aura notre fromage

Calculons tout. Calculons bien
Sinon nous, chats
Aurions vite une vie de chien.

"Le seul parti que, à la limite, je pourrais tolérer, ce serait celui du sourire'
Lire Janvier 2012

C’est facile d’être humble quand on est nul .

Jean-Jacques Sempé : Un jour, l’ange Gabriel est arrivé chez moi en battant des ailes et en mettant des plumes partout. Il m’a annoncé qu’on avait décidé en haut lieu d’être gentil avec moi et m’ demandé: « Tu veux jouer comme qui? Walter Gieseking? »J’ai dit : « Oui, Gieseking, c’est merveilleux mais non, non...
—Horowitz? Le plus grand, Vladimir Horowitz? »
J’ai répondu : « Non, non... »
Alors il a agité ses ailes, l’ange Gabriel, et il m’a dit : 
«  Mais enfin comme qui? Glenn Gould? » J’ai fini par répondre : 
« Glenn Gould, je l’adore mais c’est pas ça que je souhaite. Moi, je veux jouer comme Duke Ellington. Comme lui, exactement comme lui. »
...
Il s’ est contenté de me donner un conseil :
« Maintenant, entraîne -toi , travaille et tu verras, ça viendra ! » Oui, je peux dire que l’ange Gabriel m’ a un peu déçu ce jour -là...

On l'aimait bien. Il avait accepté son incapacité à tenir sur deux roues comme d'autres acceptent d'être daltoniens.

- J'ai toujours pardonné à ceux qui m'ont offensé. Mais j'ai la liste.

— Vous préférez suggérer plutôt que vous appliquer à reproduire la réalité ?
— Oui . Mes clarinettes sont fausses et mes vélos ne peuvent pas rouler ! Je n’en suis pas fier mais je fais ce que je peux, je vous assure !
— C’est votre interprétation du réel?
— C’est une écriture. Si vous écrivez à la femme que vous aimez : « Je t’aime », il faut que vous vous débrouilliez pour que dans la phrase « Je t’aime » il y ait tout, sinon votre « je t’aime » est foireux. D’où la difficulté de la vie.
— Et dans vos dessins, vous essayez qu’il y ait ce tout?

— Ce que j’adore me suffit...
— C’est un manque de curiosité ?
— Ca s’apparente aux charmes des femmes. Si, devant sa femme, vous taxez un homme fidèle de manque de curiosité parce qu’il ne court pas après les autres et qu’il est très content avec elle, la dame ne va pas être contente et lui non plus d’ailleurs... Mais je suis désolé: mes trois copains Ellington, Debussy et Ravel, suffisent à mon bonheur.

J'aurais aimé être normal et avoir du génie.

Tes yeux de nyctalope
Fixant une escalope
Tes deux yeux qui se voilent
Quand tu lèches une poêle

(Pour parler non seulement de Sempé dessinateur mais aussi de son statut de parolier et de compositeur !)

- Maintenant, je voudrais vous poser la question que doivent se poser tous les téléspectateurs : Comment votre concept onirique, à tendance kafkaïenne, coexiste-t-il avec la vision sublogique que vous faites de l'existence intrinsèque ?

(Dame dans une église la veille de Noël) page 99

- J'osais à peine entrer car j'imagine votre humeur en cette période de fêtes ! Cette débauche de foie gras, de champagne ! Ces ripailles et cette commercialisation éhontée doivent déclencher chez vous une effroyable colère cosmique, UN irrépressible désir d'envoyer ici-bas, dans un vacarme étourdissant, vos armées célestes. Dans un déluge apocalyptique de fureur, de fracas et de feu. Je reviendrai demain, quand vous serez calmé.

[...] une jeune fille c'est autrement plus compliqué qu'un dérailleur Campionissimo.

Après un coup de téléphone d'Elle, il me prenait l'envie de sortir clamer mon amour, de le hurler. Il me venait l'envie de chanter à tue-tête certains grands airs d'opéra. Outre que je suis d'un naturel assez réservé, je n'ai pas une très belle voix. Je me contentais de les siffler. Mon chien arrivait, nous partions dans la campagne. Le gredin, furetant ça et là, réussissait à faire détaler un lapin, un lièvre, des perdrix. L'ouverture de la chasse était pour bientôt. Nous étions bien. Nous rentrions contents. Une légère inquiétude cependant: N'allait-elle pas complètement chambouler ma vie?

Un jour, j’ai rêvé que Léonard de Vinci débarquait chez moi en ayant, avec un fil de fer, fracturé ma porte. Léonard de Vinci, rien ne lui résistait jamais. Pour lui c’etait un jeu d’enfant que de fracturer ma serrure... Et il me dit :  « Voilà , écoute : Mona Lisa a vu un dessin qui l’ a beaucoup amusée, dis-moi comment on fait un dessin humoristique. » Je lui dis : « Mais tu te moques de moi ?Toi, le plus grand génie que l’univers a enfanté, tu viens me demander à moi comment faire un dessin humoristique... Mais tu ne peux pas : tu es un génie. Or, pour faire un dessin humoristique, il faut seulement beaucoup de travail. Donc tu ne peux pas faire un dessin humoristique, parce que tu es trop grand. »  Il était furieux.

Quand on est pauvre, il est plus simple d’avoir un crayon et une gomme.

On ne rejette pas vraiment les rigolos, mais on s'en éloigne un peu, comme si l'on craignait qu'ils ne gâchent la soudaine gravité de l'obscurité propice. Taburin eut la tentation, qu'éprouvent parfois les fantaisistes, de montrer qu'ils ont une âme, que cette âme abrite un coeur, et que ce coeur contient des secrets qu'il aimerait, à certains moments, partager.

« Ton handicap, me dit mon ami Georges, est que tu prends tout ce que l’on te dit, tout ce que tu regardes, au premier degré. Va au-delà, pousse plus loin l’analyse, fais un effort ! » Je fis un effort et réalisai sur-le-champ que j’avais depuis vingt ans, pour ami, un parfait imbécile.

Il m'est apparu qu'il me serait profitable de ménager, sur la pente abrupte de mes travaux tant philosophiques que métaphysiques, des haltes, des repos de l'esprit, en notant quotidiennement ces petites choses réconfortantes et toniques dont chacun bénéficie chaque jour sans y accorder de l'importance, capitale pourtant, qui leur est due. Ces petites notations se regrouperont sous un titre qui me semble leur convenir puisqu'il recèle le clin d'oeil malicieux et la fraternité du destin :
PETITS BONHEURS
"Commençons donc:
Ce matin, avec sa vivacité coutumière, Marthe a, de sa joue droite, heurté très violemment et comiquement l'angle vif du lourd battant de la porte d'entrée."

L’air est doux, il te dit : courage. Les fleurs te disent : courage. Les oiseaux, les étoiles, le mouvement même de la vie, te disent : courage. Et moi, je te dis : va voir un psychiatre.