Jean-Joseph Boillot et Stanislas Dembinski se livrent à un exercice ambitieux de prospective. Leur thèse se présente sous la forme d’un néologisme forgé pour marquer les esprits. Pour eux, la Chine, l’Inde et l’Afrique feront le monde de demain.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Dans un monde qui comptera environ 8 milliards d’habitants en 2030, la Chine, l’Inde, l’Afrique en compteront 1.5 milliards chacune. Grâce à la double baisse de la mortalité d’abord, de la natalité ensuite, elles connaîtront l’une après l’autre trois « pics » dans leur population active : la Chine la vit actuellement, ce qui explique sa formidable croissance économique, l’Inde et l’Afrique la connaîtront plus tard dans le XXIème siècle. Les progrès de l’éducation combinés à cette démographie galopante provoqueront un basculement du « capital humain » (mesuré par le nombre moyen d’années de scolarisation de la population active) : Chindiafrique devrait fournir les trois quarts du nouveau capital humain mondial en 2030. La combinaison de tous ces facteurs conduit logiquement sinon à un « renversement » du moins à un « basculement » de l’économie mondiale : la part de Chindiafrique dans le PNB mondial passera de 25 à 45 % d’ici 2030.
Le concept de Chindia n’est pas nouveau. Forgé par Jairam Ramesh en 2005, il désigne les deux géants d’Asie les plus peuplés au monde et dont le potentiel de croissance économique est reconnu comme étant le plus prometteur. En revanche, associer l’Afrique à ce duo est plus novateur et ne va pas sans soulever quelques interrogations.
La première est la légitimité à considérer l’Afrique, composée de 54 États souverains, comme un acteur unique, tant économique que politique. Tout en reconnaissant la grande diversité du continent africain (les auteurs y distinguent par exemple quatre modèles selon que la transition démographique y a déjà eu lieu – Ghana, Gabon – ou non – Niger, Tchad), les auteurs soulignent la force du sentiment d’appartenance qui animent les Africains, à l’intérieur et plus encore à l’extérieur du continent. Ils soulignent également la diversité qui caractérise les immenses espaces étatiques chinois et indiens qui sont tous les deux beaucoup moins homogènes qu’on tend à les imaginer.
La deuxième est la capacité de l’Afrique à jouer un rôle économique ou politique similaire à celui de la Chine ou de l’Inde. Le postuler, c’est lancer un pari audacieux à la fois sur ses perspectives économiques et sa capacité à dépasser ses rivalités étatiques pour parler d’une seule voix sur la scène internationale. Toutes choses égales par ailleurs, le défi n’est pas sans rappeler celui auquel l’Europe est elle aussi confrontée.
La troisième concerne l’exclusion d’autres géants, le Brésil voire la Russie. Dit autrement, la question posée est celle de la différence entre Chindiafrique et les BRICS. Les auteurs répondent bien à cette objection en soulignant que ni le Brésil ni la Russie n’ont le poids démographique ou l’influence économique de la Chine, de l’Inde ou de l’Afrique.
La quatrième est la signification géopolitique de ce basculement. Que la Chine, puis l’Inde et enfin l’Afrique enregistrent tour à tour une croissance économique qui déplacera l’équilibre mondial de la planète est une chose. Qu’ils constituent un triangle faisant système capable de dominer le monde en est une autre. Certes, leurs échanges s’intensifient comme en témoigne la percée chinoise et aussi indienne en Afrique. Certes encore, ils font parfois front commun sur la scène internationale par exemple lors des négociations sur le réchauffement climatique. Pour autant, on aurait tort d’imaginer qu’émerge un pôle politique unifié tant ce qui les sépare reste plus fort que ce qui les unit : les rivalités sino-indiennes en Asie le montrent à l’envi.
Jean-Joseph Boillot et Stanislas Dembinski ont raison d’y insister : que la Chine, l’Inde et l’Afrique fassent le monde de demain ne signifie pas qu’elles le domineront. La Chindiafrique ne viendra pas se substituer à la Trilatérale Amérique-Europe-Japon autour de laquelle s’est organisé depuis bientôt quarante ans le G7. Peut-être leur émergence compliquera-t-il l’exercice unilatéral de la puissance par des Etats-Unis hyperpuissants ou par un duopole sino-américain. Peut-être contribueront-elles à rendre le monde plus multipolaire – ce dont ni la France ni l’Europe ne se plaindront. Mais ce serait aller vite en besogne que d’imaginer qu’ils substitueront à la domination de l’Occident la leur.
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L'Inde pour les Nuls est un ouvrage très pratique pour qui veut se documenter sur ce pays qui est presque un continent à lui tout seul.
Divisé en six grandes parties (plus une septième dédiée aux annexes) il permet de trouver immédiatement l'information recherchée, que ce soit en matière de géographie et d'histoire, mais également sur des thématiques sociétales ("la ruche des groupes familiaux"; "à la mode indienne : du jean au sari") ou sociales ("menaces sur la sécurité", "un village à l'échelle de l'univers").
Jean-Joseph Boillot nous rappelle que l'Inde, c'est d'abord une civilisation vieille de 5000 ans, qui s'est développée sur 3 zones géologiques et 10 régions climatiques.
Dans une langue très accessible, l'Inde pour les Nuls fait partie de ces livres que l'on n'est pas obligé de lire de la première à la dernière page, dans l'ordre des chapitres, mais dans lesquels on peut aller piocher au gré de ses humeurs ou de ses questionnements.
Un livre incontournable pour une première approche de ce pays.
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L'auteur a fait connaître le concept intéressant d'"innovation frugale", une innovation utile demandant peu de ressources. L'Inde en serait la championne, mais on pourrait aussi citer de nombreux pays dits "en développement".
Malgré cet apport, les grands principes que formulent l'auteur n'apparaissent pas comme toujours pertinents. Cet ouvrage s'adresse plus aux entreprises qu'aux scientifiques et aux praticiens désintéressés.
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un livre tout à fait original dans la grisaille actuelle si je comprend bien l'intervention d'un auteur sur france culture cette semaine dans le grain à moudre
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Merci à la masse critique de Babelio et aux éditions du Felin pour la découverte de ce livre.
J'ai été un peu déçue par sa lecture:
D'abord il est très fractionné et abrégé, ce qui est totalement assumé par l'auteur/traducteur: en effet le traité original est divisé en 15 livres, dont un tiers est consacré à l'art militaire et tactique, à l'instar de l'art de la guerre de Sun Tzu, auquel il est d'ailleurs comparé, et cette partie fait l'objet d'une édition à part entière, qui ne figure donc pas ici. C'est expliqué. Mais même en tenant compte de cela, il y a énormément de "(...)" indiquant des coupes dans le texte, probablement pour une meilleure lisibilité, mais on sent que le texte n'est pas complet et ça a un côté très frustrant, très agaçant!
Quand je lis "Les sept éléments constitutifs de la souveraineté sont le roi, le ministre, le pays, le trésor, l'armée et les alliés." déjà, je n'en compte que 6, bizarre; ensuite quand une note de bas de page me dit "nous avons choisi d'en présenter quatre dans cette édition", je tique, surtout qu'il y a quatre lignes pour le trésor par exemple (c'est peu!)... et quand je vois le chapitre (enfin, le livre) 7, avec une note de bas de page disant qu'il s'agit en fait du chapitre 8 dans le traité original, je trouve ça idiot. Autant mettre "chapitre 7: non abordé ici", puis "chapitre 8: vices et calamités du royaume".
On a droit aussi à une introduction, mais pas à une conclusion. Sans doute pour nous laisser à notre propre réflexion, mais je pense qu'il y avait tout de même moyen de clore le livre moins abruptement que par trois lignes en italiques, qui résument le chapitre précédent (pour dire en plus qu'il faut éviter les problèmes, et les résoudre s'il y en a quand même: je crois que je n'ai jamais rencontré personne qui se dise qu'avoir des problèmes c'est trop cool...)
Ensuite les conseils peuvent sembler très avisés, mais honnêtement! Quel est l'intérêt de dire " le meilleur ennemi, car facile à vaincre, est celui qui ne vient pas d'une famille royale, qui est vorace, qui est entouré de ministres médiocres et de sujets déloyaux, qui agit toujours de façon malhonnête, présente un caractère inconstant, dépend des plaisirs de bas niveau, peu enthousiaste, croyant dans le destin, peu discret dans ses actions, impuissant, faible, impotent et toujours injurieux" Ca! si l'ennemi a tous les défauts, c'est pratique, ça tombe sous le sens... Et pas mal de conseils sont à l'avenant: pour résumer, c'est mieux si le roi et ses ministres sont parfaits, sans défauts, ont un pays riche et des sujets loyaux... Je ne suis pas sûre que ce soit un scoop!
(Après, je reconnais qu'il n'est pas inutile de répéter les conseils qui paraissent évidents, on en a parfois besoin)
En revanche, là où j'ai trouvé cet art de la gouvernance bien plus intéressant, c'est dans les dialogues entre Kautilya et les autres maîtres Visalaksha, Parasara, Pisuna, etc. pour les critères de choix des ministres, ou sur les vices et les calamités du royaume (dernier chapitre de cette édition). Ces débats donnent matière à réfléchir et à retrouver divers points de vue. Hélas ces dialogues sont bien courts par rapport au reste de platitudes alignées par le livre.
un glossaire et une courte bibliographie le complètent.
Bref, un ouvrage non dénué de qualités, mais beaucoup plus frustrant que pédagogue, qui personnellement m'a pas mal ennuyée tout en me laissant sur ma faim, un comble!
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Ce petit ouvrage d'une centaine de pages nous fait découvrir, par des extraits soigneusement choisis par Jean-Joseph Boillot l'art de la gouvernance selon l'Arthashâtra.
L'arthashâtra de Kautilya, bien que très ancien reste très actuel puisque les règles qu'il édicte pourraient, pour la plupart, bien que par pour toutes, être appliquées dans nos sociétés actuelles. Qu'il s'agisse de grands pays ou de territoires plus restreints, d'Etats développés ou de pays du Tiers Monde.
Cet ouvrage est très instructif et nous permet de comprendre comment, d'une manière très simple certaines erreurs commises par nos sociétés actuelles pourraient être évitées.
Il ne faut cependant pas acheter cet ouvrage en espérant y retrouver les parties concernant l'art de la guerre. L'auteur ne les traite pas et s'en justifie très bien en expliquant que ces sujets ont déjà été très souvent traités.
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