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Citations de Jean-Louis Bouquet (13)


Dire mon propre nom, ce serait rechercher une publicité professionnelle. Et ma profession est déjà suffisamment critiquée ! Parfois à juste titre ! Il existe malheureusement trop de créatures qui se prétendent voyantes et qui, dépourvues du moindre don, exploitent sans vergogne de crédules victimes. Et, pourtant, j’ose affirmer que certains êtres sont effectivement doués de facultés de clairvoyance extra-normale et qu’il leur est souvent possible d’aider eux qui s’adressent à eux, soit par un conseil, soit par une mise en garde.
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[...] ... "De cet observatoire, je découvrais tout juste devant moi une seconde porte condamnée par laquelle on avait accédé autrefois à l'escalier de la tourelle. Et j'eus un sursaut de dégoût : car "Alastor" se trouvait là et me dévisageait.

"Le portrait du démon avait longtemps été accroché dans un salon. Puis - ne te l'ai-je pas déjà dit ? - mon père, lassé par les remontrances de maman, s'était résigné à le transporter dans le labo, à l'abri des regards réprobateurs, et l'avait cloué sur cette porte.

"J'étais déjà trop grand pour que la vue du tableau m'épouvantât, ainsi que du temps de ma première enfance ; mais une répulsion persistait en moi. Sous le perpétuel tressaillement des flammes du réchaud, la figure d'Alastor retrouvait une partie de ses sortilèges, elle s'imposait comme un témoin hostile de ma mauvaise action ; j'étais entré en curieux, elle me transformait en coupable.

"Mon père survint, alluma une lampe. Pendant quelque temps, je l'entendis s'agiter, mais, de mon réduit, je ne pouvais suivre tous ses mouvements. Je remarquai toutefois que, sous certains angles, il m'apparaissait en reflet dans la glace transparente qui recouvrait le portrait d'Alastor. Les jeux de la lumière superposaient les deux images : le démon, traversé et retraversé par la silhouette humaine, continuait à me couver de son regard singulier.

"Comme à son habitude, mon père se mit à parler tout seul, mais ses propos avaient trait à l'expérience en cours et ne m'intéressaient pas. Deux ou trois heures s'écoulèrent ainsi. J'étais glacé et déçu de ne voir arriver personne d'autre ; je me préoccupais d'un moyen d'évasion car l'idée de passer la nuit dans ce coin m'effrayait. J'avais vaguement espéré que le travailleur s'absenterait, ne fût-ce qu'un instant, mais mon attente demeurait vaine.

"Bien au contraire, mon père s'était assis, s'absorbant à tel point qu'il cessa de discourir ; son reflet devint prodigieusement immobile, ce qui, au bout d'un certain temps, m'enhardit : des deux formes contenues dans l'écran de cristal, celle d'Alastor était la plus vivante ; la face satanique semblait me prendre en pitié : "Ose donc ! Il s'est endormi !"

"Une certitude m'envahit. "Mais oui, il dort, je ne risque plus rien." Je sortis de ma cachette avec une hardiesse insensée, je heurtai une bonbonne qui chuta brusquement et mon père sursauta.

"Comment dépeindre ce qui se passa alors en moi ? Je savais que je serais cruellement puni ; je m'enfuis en pleurant et en hurlant, je réussis à filer entre les doigts de mon père, qui me poursuivit, la menace à la bouche. Dans cette course, de nouveaux accessoires furent culbutés, brisés, ce qui aggravait ma faute. Mon affolement s'en accrut d'autant. Quand j'atteignis le corridor, toujours serré de près, la vue de la clef demeurée sur la porte m'inspira une idée désespérée ; je tirai derrière moi l'épais battant et je donnai un tour à la serrure : mon père se trouvait enfermé ! Ceci, dans mon esprit, ne pouvait que retarder le châtiment, mais un enfant lutte-t-il contre ses impulsions ? De l'autre côté, des coups et des appels sauvages retentissaient. Me gardant de répondre, je montai me blottir dans ma chambre.

"Mais, en bas, le tapage continua et fut couronné par une sorte de grand choc sourd ; je prévoyais le moment où toute la maisonnée réveillée accourrait. Ma fenêtre s'emplit soudain d'une lueur rougeâtre ; des flammes dansaient aux croisées du laboratoire.

"Mon sang ne fit qu'un tour. Oubliant la punition redoutée, je bondis à travers couloirs et escaliers ; personne encore ne se trouvait aux abords du labo ; je retournai la clef et rouvris la porte, mais les flots d'une fumée âcre, irrespirable, me repoussèrent aussitôt. Ma mère et Augustin parurent alors. Nos appels ne reçurent aucune réponse. Mais, bientôt, l'incendie s'étant éteint de lui-même, nous pûmes pénétrer dans la pièce. Nous la trouvâmes déserte. Les flammes avaient à peine roussi les murs et les meubles ; la seconde porte, celle de la tourelle, béait et balançait l'Alastor intact, ricanant, au-dessus du gouffre obscur.

"Voici ce qui s'était passé : le feu avait été semé par les récipients renversés au cours de la poursuite ; il n'eût sans doute pas été assez intense pour provoquer un accident mortel, mais, par malheur, une cornue chargée de produits toxiques avait, en se brisant, répandu des vapeurs suffocantes. Mon père, enfermé par ma faute, menacé d'asphyxie, avait dû chercher une issue coûte que coûte ; les fenêtre grillées n'en offraient aucune ; seule la porte de la tourelle présentait une voie de salut ; moins solide que l'autre, elle avait cédé sous un coup d'épaule et mon père s'était aventuré dans une partie subsistante de l'escalier à vis ; mais les marches, désagrégées depuis longtemps, avaient cédé sous son poids, le précipitant dans le sous-sol cependant que les matériaux pourris des parties supérieures s'effondraient à leur tour, comme un château de cartes ; nous avons retrouvé le corps sous les décombres ...

"Voilà !" ... [...]
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[...] ... Où j'éprouvai une immédiate et sérieuse difficulté, ce fut dans la recherche d'une Alouque.

Morgan avait conçu le dessein baroque de matérialiser le fatal démon des Vourges en une silhouette de femme, qui devait rôder silencieusement. C'était là, pour lui, un suprême condiment, l'indispensable goutte d'angustura. Mais autant il s'était montré accommodant pour les premiers acteurs, autant il fut exaspérant dans ce cas-là. Il ne savait dépeindre l'Alouque, et aucune comédienne ne la réalisait à ses yeux. Je lui en présentai vingt-sept sans succès. Je commençais à désespérer, quand un billet de Morgan me parvint à l'agence : "Enfin, nous la tenons ! Venez vite !"

J'arrivai à l'hôtel après la tombée de la nuit. Je ne pus me défendre d'un tressaillement devant l'inquiétante créature que j'aperçus, dressée dans l'aire verdâtre du salon, sous les rayons obliques et durs des lampes murales ; c'était une personne aussi prodigieusement haute que sèche et encore amenuisée par une pauvre tunique collante ; sa face, petite, tirant sur le vieil ivoire, eût semblé belle sans la tare de deux énormes yeux exorbités, au regard fixe, morbide ; quant à sa chevelure, elle paraissait noire au premier abord : mais, à la mieux examiner, elle était d'un roux obscur, plus sombre que le plus sombre acajou.

- "Mademoiselle Araxe," lança Morgan d'un air de jubilation, "sera l'Alouque idéale."

Je lui demandai comment il avait recrutée pareille pensionnaire et il me répondit avec surprise :

- "N'est-ce donc pas vous qui l'avez envoyée ?"

Nous ne sortîmes point clairement de l'imbroglio, attendu que cette Araxe savait tout juste nous faire entendre son nom et pour le reste, roulait les rauques syllabes d'un charabia dans lequel trois idiomes, au moins, se fondaient. Nous dûmes nous en tenir à cette idée qu'il s'agissait d'une artiste orientale, probablement arménienne, et que l'adresse de Morgan lui avait été fournie par quelqu'une des vingt-sept "recalées." Si sommaire que fût le procédé, je n'émis aucune observation, préférant ne plus avoir à m'inquiéter de l'Alouque. Je craignais qu'Araxe ne pût saisir nos instructions mais, si elle était incapable de manier une autre langue, elle la devinait tant soit peu et donnait les preuves d'une intelligence sagace. ... [...]
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Quand vint l’heure du réveil général, Laurine ouvrit les yeux, se laissa prestement glisser sur le côté de sa couche et, se servant de ce lit comme d’un paravent, presque lovée sur le parquet, elle défripa sa jupe par de sommaires frottements de sa main.
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Longtemps, j'ai écrit des récits aventureux, de ces romans à l'usage des esprits humbles, et qui les promènent, toujours étonnés, toujours ravis, le long des pistes sagement sinueuses, à travers les cantons les plus jardinés, les mieux cadastrés de l'imagination.
Je n'ai jamais nourri d'illusions sur la valeur de ces travaux; mais, si élémentaires que fussent mes personnages, je m’éprenais d'eux, passagèrement. Il m'était pénible de les vouer à la souffrance. Or, sans souffrance, point de clientèle ! Mon éditeur exigeait donc beaucoup de sang, de supplices et d'amour. J'ai éprouvé la secrète anxiété de maints auteurs : je me suis souvent demandé si, animant tant de héros et d'héroïnes au fil de la plume, je n'engendrais pas, tout de bon, des êtres précaires, fragiles, mais enfin doués d'une vie sensible en un univers particulier, où chacun guetterait, tremblant, les caprices monstrueux de son démiurge.
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[...] ... Durant le repas, l'entretien revint se fixer sur les Vourges. Morgan entreprit un historique de cette famille, à laquelle il portait un intérêt surprenant. Lorsqu'il parlait d'elle, il s'animait, il trouvait des accents sardoniques, comme afin de faire ressortir de ses récits une certaine cocasserie évidente à ses yeux ...

- "Oui, cher monsieur, une mine d'or pour romanciers pessimistes : une lignée marquée du bon vieux signe fatal, avec légende et tout le tralala ! Voici la destinée savoureuse de ces nobles seigneurs : leurs femmes, à peu près invariablement, devenaient folles.

"Leurs femmes ... je veux bien dire : leurs épouses ! On ne signale pas trop de dégâts chez les filles de la maison. Mais malheur à celles qui pénétraient ici par alliance ! Leur tête se fêlait avec une séculaire exactitude.

"A l'origine, bien entendu, on trouve une affaire diabolique. Tels les Lusignan, les Vourges-Ranzay avaient leur fée, mais une fée macabre. La tradition date de 1620.

"A cette époque, le marquis Henri de Vourges venait de rentrer d'un long voyage en Orient. Il s'était abouché, là-bas, avec des juifs et des arabes, il avait acquis des notions d'hermétique, de cabbale ... et, au surplus, une esclave prodigieusement belle, dont les récits n'ont point conservé le nom.

"L'air de Paris ne valut rien à cette splendeur, qui mourut peu après son arrivée. Le chagrin d'Henri fut si profond que cet homme acheta une maison sise ici-même, afin de résider plus près de la dépouille de sa jeune beauté.

"Car nous dînons sur l'emplacement d'une ancienne nécropole : le Cimetière Vert, lequel fut tracé après démolition judiciaire d'un immense hôtel gothique, celui du fameux meurtrier Pierre de Craon. Ce Cimetière Vert appartenait à la paroisse de Saint-Jean-En-Grève, et les marguilliers en vendaient parfois des lambeaux pour solder leurs dettes. La maison d'Henri fut édifiée sur un de ces lots.

"Maintenant, la légende : si Henri s'établit aux confins du champ de repos, ce fut afin de s'assurer du corps de sa belle morte. Ce corps, il le ranimait chaque nuit par art magique, avec le concours d'un démon.

"Remarquez que cette résurrection équivoque est tout-à-fait dans le goût du temps ! Je vous montrerai à ce sujet, un opuscule pharamineux, imprimé en 1613 : il conte l'histoire d'un gentilhomme parisien qui, découvrant une jeune dame inconnue réfugiée sous son porche par un jour de pluie, la retint à souper, réussit à la mettre galamment au lit, mais se trouva, sur l'oreiller, nez à nez avec un cadavre. Le Diable lui avait joué un tour, pénétrant le corps d'une défunte comme la main du praticien en use avec Guignol." ... [...]

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Il va sans dire qu'un tel endroit n'abritait pas la fine fleur de la colonie russe. Il servait d'asile à des déclassés, à des vagabonds, à des représentants d'une pègre pittoresque, que rassemblait un sentiment de solidarité dans la déchéance commune ; tout ce monde logeait à peu de frais dans les baraquements pompeusement dénommés "meublés" parce qu'ils contenaient des grabats ou des paillasses.
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Bien d'autres, à ma place, laisseraient le noir rideau de l'oubli tomber sur le drame de l'hôtel de Vourges. Le Procureur a classé l'affaire, et n'en pas admis toute l'étrangeté, préférant n'y découvrir qu'une histoire de fous, voire une tentative de mystification, mêlée d'escroquerie. Or j'ai réellement assisté à des choses si extraordinaires, si déroutantes, que j'éprouve le désir d'en fixer ici la véritable physionomie. Mon salaire : je le connais, je serai taxé de superstition, ou encore de cabotinisme morbide. Mais plus les faits semblent en désaccord avec la raison vulgaire, plus je me sens tenu de les exposer tels quels.
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Les Thugs chantaient d'une voix grave, semblant appeler sur eux la présence de la déesse. Peu à peu, ces cantiques les transportaient ; une fièvre mystique les faisait trembler dans la ferveur de l'attente, et leurs yeux avides s'injectaient.
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[...] ... - "Eh bien, explique-toi ! Laurence ? ...

- Mon bon Steve, je crois qu'elle devient folle. Je suis très malheureux.

- Folle ?

- A la lettre, mon vieux : il y a en elle des symptômes de dérangement cérébral.

- Diable ! Mais ... L'opinion du médecin ?"

Gilbert trahit une gêne.

- "Le jour où je déclencherai les toubibs, tout notre bonheur, tout l'avenir entrera dans l'engrenage. Alors, que veux-tu ? Une lâcheté me retient : j'hésite, je veux douter. Les indices sont encore faibles ! Et puis, il y a cet enfant que nous attendons ... Steve, je serais bien soulagé si tu pouvais me dire que je me trompe !

- Ne t'es-tu pas alarmé un peu rapidement ? Il est classique, je crois, que les femmes en cet état éprouvent des perturbations.

- Bien sûr ! Et j'admettrais sans me plaindre l'inexplicable répugnance que je lui inspire depuis quelque temps : je tolérerais de bon cœur des fantaisies insanes, des fugues d'une demi-journée ou le massacre à coups de sécateur d'une collection de rosiers précieux ; mais est-il normal que Laurence ait des hallucinations ? des apparitions ?

- Certes non ! Et j'en reviens à mon idée : en raison de la situation spéciale de ta femme, vous devez bien vous tenir en contact avec un docteur. Qu'en dit-il ?

- Rien ! Selon lui, les choses se présentent le mieux du monde. C'est que ... je ne lui raconte pas tout.

- Tu as tort.

- Devant mon malheur, je ressens cette paralysie bizarre que nous éprouvons parfois dans le sommeil, quand il nous arrive de faire de vains efforts pour nous éveiller : il nous semble ne pouvoir bouger un membre ni ouvrir les paupières, même pour éviter la Mort. Mais que l'on vienne à nous toucher, et aussitôt l'envoûtement se rompt, l'énergie nous est rendue. C'est ce léger choc que j'attends. Qui le donnera ? Maman est si faible, si vacillante elle-même ! Comprends-tu pourquoi je réclame un ami ?"

Steve posa doucement sa main sur le bras de Maufrond :

- "Et ces apparitions, de quelle nature ? ... Figures célestes ? Délires mystiques ?

- Pas du tout ! Des images morbides, des absurdités sans-nom !"

D'un haussement d'épaules, Gilbert rejeta ces horreurs dans le vague. Trouvait-il soudain à ses propres confidences une saveur trop amère ? Il biaisa, sur le ton du sarcasme :

- "D'ailleurs, le "délire mystique" surviendra peut-être à son tour, attendu que la bondieuserie s'insinue chez nous de cent manières, grâce à un certain abbé Loisnier dont ma mère nous a toujours empêtrés, bien malheureusement !"

Il démaillotta l'objet qu'il tenait sous son bras, geste dans lequel il mit cette promptitude automatique où se trahissent parfois certains enchaînements secrets de la pensée.

- "Tiens, et cette autre lubie ? Laurence continue à peindre mais elle ne peint qu'à la veillée, à l'heure des hiboux. Tout un programme ! Que penses-tu de ce chef-d'œuvre ?"

Maufrond exhibait une toile surchargée de couleurs. Sur ce panneau s'inscrivait un visage asymétrique, d'une teinte sulfureuse, et aux yeux égarés et furieux ; la croûte épaisse, marbrée, attestait une somme incroyable de tâtonnements, de repentirs, de recherches confuses. Steve reconnut bien la "manière" de Laurence, naguère d'une violence puérile et peu féminine, mais cette fois tout à fait gâtée par des intentions trop obscures. Quel idéal le pinceau avait-il âprement et vainement tenté de fixer dans ce masque d'Apocalypse ?

- "Il paraît," dit Gilbert avec un sourire malheureux, "que cela représente une vertu théologale : l'Espérance, je crois ! Laurence travaille dans les allégories."
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« C’était une créature déjà loin de la jeunesse, mais sous sa lourde chevelure noire, parsemée de fils d’argent, son visage attesté encore une curieuse beauté ambrée »
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