Citations de Jean-Louis Chrétien (16)
Il est beau de chercher des adversaires à sa mesure, plutôt que ceux que nous avons déjà vaincus du regard avant même que d'engager la lutte. Mais il est plus beau encore de recevoir un adversaire à sa démesure, un adversaire irrésistible, car où, sinon contre lui, pourrons-nous déployer jusqu'à l'inconnu de nos forces ?
Dans la chapelle désaffectée…
dans la chapelle désaffectée
des frôlements d’ailes troublent
le fragile rite de l’oubli
Ton sommeil avec douceur héberge
le secret de l'inaccompli
dans la jeunesse de ton souffle
les chemins effacés vont plus loin
l'âpreté des vies fendues
accède au profond silence et boit
à même ses paumes tremblantes
un rêve passe et te frôle
nous approchons des falaises de l'aube
" Joies escarpées"
Où sont nos mains quand plus rien ne se prend
où sont nos voix quand plus rien ne se dit
où bat le coeur quand plus rien ne se perd
est-ce dans l'île au loin si vive
vers quoi la barque du sommeil nous porte
VITE
pour dilapider le matin
attendons que la nuit nous rejoigne
ses doigts sont si prompts et si jeunes
tout s’en ira plus vivement
la pudeur de l’aube tremblante
les mots inconnus à nouveau
l’instant où d’un peu d’eau douce
nous nous ôtons le sel des rêves
l’apprentissage du départ
vers les lointains hésitants
verse encore le vin de ton rire
il est plus fort quand l’ombre danse ainsi
MARCHES
dans l’un de mes poings je cacherai l’oubli
tu choisiras toujours l’autre
les chemins nous reconnaîtront
quand le silence aura le goût du pain
l’herbe saura la vie par cœur
le soir nous tiendra lieu d’enfant
je dessinerai sur ta peau
la forme des constellations
dans les villes privées de ciel
il faudra fuir loin de la mer
brûler vêtements et noms
pour chanter le psaume inédit des vagues
Regard perdu des falaises…
regard perdu des falaises
quand pourrons-nous d’un souffle entier
plonger jusqu’à ton spasme blanc
l’été liturgiquement nu
sculptera ses lourds nuages
l’herbe enfin nous voudra pour disciples
…
FÊTE
il est tard la fumée des feux d’herbe
sait mieux que nous le tourbillon des gestes
ce vin nous grise que le vent verse
je dessine avec de feints mystères
l’horoscope des pierres qui sont là
elles se font planètes nous tournons
au son soudain de ses aigres guitares
la pluie si nue que j’ai peine à la voir
saura-t-elle reconduire les lieux
VOYAGE
toutes les cartes désormais illisibles
nous explorons l’inachevé
allumant le soir des feux brefs
lavant les noms dans les fontaines
déshabillant les odeurs savamment
nous enterrons nos larmes sous des cairns
sur un clair sentier de traverse
l’oubli rieur nous laisse enfin
sa bénédiction d’herbe
la péninsule de nos voix se perd
lentement nos gestes s’envolent
vers les yeux grands ouverts du large
joueuse préface du vent…
joueuse préface du vent
la nuit nous chercherons dans nos mains et nos voix vides
ce royaume à grands cris aperçu
des vies fleurissent le temps d’un geste
le temps d’un regard des murs tombent
l’arôme inachevé des vagues enivre nos pas lents
…
Évidences insaisissables…
évidences insaisissables
la pluie même n’y aura pas suffi
ni les corps à l’embouchure de la nuit qui se frôlent
trois notes que tu chantes c’est la mélodie toute
trois branches qui se croisent déjà c’est le brasier
frêle et sûr un jour danse deux vies mêlées
...
NOCTURNE
lentement les mots glissent
tombent dans l'air soyeux
vêtements qu'on enlève
je me tais dans ta voix
porté par l'imminence
où les regards se croisent
sans appui
vastes envols d'ombres
grappes de silence
un seul grain
rend le passé même ivre
p.31
NOCTURNE
l'ombre des mains prompts nuages qui passent
au long de toi vers ce qui naît sans cesse
l'approche au goût de menthe
du murmure que tout entend
le flot fendus des nuits ouvertes
où l'éclair invisible nous jette
plus menacés qu'une promesse
et les lèvres qui vont cherchant
l'orient fragile de ton souffle
avec des mots inachevés
p.30
Je ne dissimulerait pas cependant que les romans, même les plus purs, font du mal ; ils nous ont trop appris ce qu'il y a de plus secret dans les sentiments. On ne peut plus rien éprouver sans se souvenir de l'avoir lu, et tous les voiles du cœur ont été déchirés. Les Anciens n'auraient jamais fait de leur âme ainsi un sujet de fiction ; Il leur restait un sanctuaire ou même leur propre regard aurait craint de pénétrer.
Mme de Staël - De l'Allemagne
Jamais notre joie devant la beauté ne sera aussi belle que la beauté elle-même. C'est bien le lointain qui s'approche, et notre joie devant sa proximité, ou plutôt dans sa proximité, ne nous appartient pas tant que nous ne lui appartenons-elle qui nous arrache à nous-mêmes et à notre stérile contentement pour nous jeter dans les douleurs de la fécondité.
Que je puisse me laisser rencontrer, que je le puisse moi-même, c'est là le premier don de l'autre, et c'est en tant que véritable don que véritablement il m'appartient... C'est l'autre déjà qui me donne le pouvoir de me donner à lui. Cet abandon est son événement et son avènement.