La Fête du Livre de Bron propose chaque année une journée de réflexion sur des enjeux majeurs de la littérature contemporaine. le vendredi 8 mars 2019, nous proposions un focus sur les liens entre littérature, nature sauvage, grands espaces, sciences humaines et environnement.
Lors de cette 33ème édition, nous avions la chance d'accueillir Pierre Schoentjes, professeur à l'Université de Gand, spécialiste du « nature writing » en langue française pour un grand entretien exceptionnel, animé par Thierry Guichard, à revivre ici en intégralité.
Dans Ecopoétique, Pierre Schoentjes étudie les spécificités du « nature writing » en langue française le terroir plus que la terre, le lieu plutôt que le paysage, l'esthétique plutôt que l'éthique en délimitant un corpus littéraire constitué d'écrivains comme Jean-Loup Trassard, Pierre Gascar, Charles-Ferdinand Ramuz ou Philippe Jaccottet. Mais il explore aussi les oeuvres d'écrivains très contemporains comme Emmanuelle Pagano, Belinda Cannone ou Marie-Hélène Lafon.
En partenariat avec l'Université Lyon 2, la Médiathèque Départementale du Rhône et Médiat Rhône-Alpes.
©Garage Productions.
Un grand merci à Stéphane Cayrol, Julien Prudent et David Mamousse.
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Schistes lustrés, d'un vert mêlé de noir. Cassures luisantes, lisses sous la paume. Marche : pierres que je touche, plantes inconnues (une minuscule violette mauve à feuilles grasses), et tellement de ciel. Me suit l'idée d'un berger si vieux, à cape grise comme la feuille du génépi, si vieux - attente - qu'il ne garde plus que nuages, leur distribuant encore du sel sur les pierres que penche la montagne.
"La Poignée de marmite, le rouet & les coffins"
Quand la marmite suspendue à la crémaillère est au milieu des flammes, son anse métallique devient brûlante : on ne saurait la décrocher sans protéger la main par un chiffon. Les femmes souvent préféraient une sorte de crochet en forme de poignée, ou "main de fer". (...)
Nombre d'objets usuels par quoi l'homme s'entoure (...) portent évidemment la marque, la mesure, de son corps. Ainsi parler de tels objets n'est pas, comme on a pu le croire, choisir l'inanimé, mais parfois chercher la silhouette qu'ils dessinent en creux de l'homme ou de la femme occupés à les faire mouvoir. (p. 87)
Tout comme la fermière seule au milieu des joncs (les vaches parfois approchent un mufle baveux des chemises tordues lancées sur le tréteau), chacune des laveuses du bourg était dans son carrosse.
C’est une forte caisse n’ayant que trois côtés et un fond (les mesures en sont variables, mettons 45 cm sur trente et 25 cm de haut). Quatre montants extérieurs forment par leur base dépassante des pattes de 5 cm qui élèvent le carrosse au-dessus de la boue et lui évite une détérioration accélérée. Il faut ajouter que le devant est surmonté d’une petite planche (8 cm de large environ) clouée horizontalement comme une amorce de couvercle, ou plutôt légèrement en pente vers l’avant, et que celle-ci est échancrée en arc de cercle pour que le corps se penchant y puisse avancer. Enfin que les deux planches latérales se terminent vers l’entrée par un arrondi très marqué. Peint à l’extérieur d’un bleu charron qui peu à peu s’efface, le carrosse doit être rempli de foin : on s’y tient à genoux, tout au bord de la planche à frotter du lavoir.
Toujours envie de faire entendre ma campagne à Paris ou ailleurs. Vous pensez que ça ne sert à rien ? Je suis d’accord. Surtout que ce n’est pas la vie d’aujourd’hui mais une dont la campagne elle- même ne veut plus entendre parler, par honte sans doute de ce qu’ils ont été, culs- terreux, ainsi nommés dans les petites villes de la région si fières de leur esprit étroit. Ils se vêtent maintenant de modernisme, l’oreille pendue, eux aussi, au téléphone si miniature dans leur grosse main travailleuse de force.
Le Carrosse , le fer à repasser & les grelots
Maintenant je m'en aperçois : je n'ai pas le souvenir d'avoir jamais vu repasser dans une ferme, jadis. On devait se cacher plus ou moins pour une tâche considérée en pays sauvage comme luxueuse. Et peu de linge méritait ce soin, le plus gros étant aplati et plié à la main. (p. 23)
Ma plus surprenante remarque — je m'intéressais déjà beaucoup aux fleurs des champs — fut que si les talus mayennais étaient tapissés de primevères, ceux de la Sarthe n'en nourrissaient aucune mais étaient fleuris de « coucous », plante que la botanique nomme « primevère officinale ». Elles sont parentes, mais tandis que la primevère, jaune pâle, est de faible parfum, le coucou — grappe sur une seule tige de plusieurs fleurs tombant comme clochettes — a des pétales d'un jaune très chaud et un parfum d'abricot mûr. Je regrettais que ce remplacement ne m'ait paru définitif qu'au bout de quelques kilomètres, je n'avais pu inscrire le point exact d'une ligne de partage ! Quand les charrettes se sont arrêtées, j'ai sauté le fossé pour grimper contre le talus et ramasser vite un bouquet que j'espérais offrir à ma mère, ainsi l'entrée en Sarthe eut odeur de coucou
Du ciel bleu, on en voit, mais on ne le tient pas, la pluie, le vent vite revenus et il fait sombre dans la forge, pourtant voilà le théâtre de ce combat entre fer et feu que je vous montre, rythmé par le marteau, ébruité par l’enclume sonnante. Je me figure un combat sans savoir, peut- être une alliance plutôt entre ces éléments, scellée par l’eau qui crache et feule !
« Sur la Mézangerie, dès qu’il a commencé à se sentir installé, malgré la guerre, les restrictions, les prisonniers de Saint-Baudelle (ça, il le savait), les Allemands dans la ville, Victor s’est remis à chanter au labour, d’une façon naturelle, il n’avait aucunement oublié son répertoire et les couplets venaient tout seuls tandis qu’il marchait le long de l’attelée. Le soc grognait contre la terre, les chaînes – toujours nommées chapelets – cliquetaient, tous les pas des juments dans la raie faisaient un froissement continu, sur cette musique sourde Victor aimait chanter, peut-être pas pour exprimer de la joie, non, mais pour s’accorder au travail qui s’accomplissait bien, ou même pour éloigner l’ennui. »
Une belle ferme sûrement et voilà qu'elle se trouvait dedans, mais à vrai dire elle ne savait pas trop où elle était, où s'arrêtait la terre, où était le village ?
Sous les branches d’arbres patriarches d’autres arbres. En descendaient des lianes qui se nouaient au fourré. Le sol ombreux mêlait arbustes fougères arbres chus recouverts de mousses : les huttes demi-sphériques étaient posées en cercle, couvertes de feuilles vertes sur tiges en arceaux. À travers leur paroi ils se parlaient le soir, sans élever la voix, puis s’endormaient serrés, frileux les nuits de pluie, fumée de bois mouillé.