Dans le célèbre roman de George Orwell, 1984, trois empires se font la guerre. Si celle-ci est leur apparente motivation, elle est surtout l'assise de leur existence. Contre un ennemi, même supposé, il faut réagir, faire front, tenir et encadrer son peuple. Dans le bloc anglo-saxon, l'Oceania, Big Brother, le grand scrutateur, est partout dans la société. Celle-ci est composée de trois classes : les dirigeants, une poignée, les fonctionnaires, zélés et insensibles, les hordes de prolétaires, courbés, soumis. Une police de la pensée traque le récalcitrant. Et il faut user de cette novlangue sans nuance, réduite et donc peu dangereuse. Si l'on n'a pas les mots suffisants et adéquats, comment faire avec ce que l'on ne peut pas nommer, comment inventer, et s'extirper d'une syntaxe carcérale ? Les slogans les plus absurdes ("War is peace", "Freedom is slavery", "Ignorance is strength"), répétés en mantras, deviennent des évidences. Ils sont martelés jusqu'à l'étourdissement. La soumission. L'adéquation. Ils feront de vous ce que vous ne vouliez pas être : une créature apeurée, un complice. Un pion de plus parmi un peuple de pions.