Poésie - L'écureuil un poème de Jean-Luc MOREAU
Si
Si la sardine avait des ailes,
Si Gaston s'appelait Gisèle,
Si l'on pleurait lorsque l'on rit,
Si le pape habitait Paris,
Si l'on mourait avant de naître,
Si la porte était la fenêtre,
Si l'agneau dévorait le loup,
Si les Normands parlaient zoulou,
Si la mer Noire était la Manche,
Et la mer Rouge la mer Blanche
Si le monde était à l'envers,
Je marcherais les pieds en l'air,
Le jour je garderais la chambre,
J'irais à la plage en décembre,
Deux et un ne feraient plus trois…
Quel ennui ce monde à l'endroit !
(extrait de "Les poèmes ont des oreilles")
Le carré de l'hypoténuse
Le carré de l'hypoténuse
Ne fut jamais de mes amis.
Bien que souvent je m'y sois mis
(Car le diable a plus d'une ruse !)
Non, jamais ma tête confuse
N'y trouva le bonheur promis.
Le carré de l'hypoténuse
Ne fut jamais de es amis.
Mais que chante la cornemuse,
Alors debout les endormis !
J'ai dans les jambes des fourmis…
Et plus que jamais je récuse
Le carré de l'hypoténuse.
p.106
L'HIPPOPOTAME
Par la Seine un hippopotame
S’en vint un jour jusqu’à Paname.
Il descendit dans le métro,
Changea même à Trocadéro ;
Mais quand il fut à la Concorde,
Il s’écria: «Miséricorde !»
Et par la Porte des Lilas
S’en alla.
p.39
Le tigre et le curé.
Dans la jungle, un jour, s'aventure
Un curé. Le tigre survient.
" Prions ", se dit l'abbé. " Seigneur, je t'en conjure,
Fais que ce tigre soit chrétien. "
Comment le Très-Haut se débrouille,
La chronique n'en parle pas.
Le fauve en tout cas s'agenouille :
" Seigneur, dit-il, bénissez ce repas. "
Le carré de l'hypoténuse
Rondel
à dire et à redire
pour passer sa colère
Cornebleu, saperlipopette,
Vertuchou de ventre saint-gris !
Que j'attrape le malappris
Qui m'a fait cette entourloupette,
Oui, je l'ai dit, je le répète,
Il en perdra le goût du riz,
Cornebleu, saperlipopette,
Vertuchou de ventre saint-gris !
Deux pruneaux dans mon escopette,
Et pan ! pan ! vous m'avez compris…
Malheur à lui s'il n'a pas pris
À temps la poudre d'escampette,
Cornebleu, saperlipopette !
p.115
La mygale ayant fleurté
Tout l'été
Se trouva fort démunie
Au fond de l'Amazonie.
Elle alla crier sa faim
Chez l'agami son voisin,
Bel oiseau dont le plumage
N'a d'égal que le ramage,
Et le trouva dans son nid
Du côté du Maroni.
LE VENT FOU
Le vent fou dans l'herbe folle
Batifole,
Batifole,
Le vent fou dans l'herbe folle
Batifole, et chaque nid
Sent vibrer dans la ramure
Qui murmure,
Qui murmure,
Sent vibrer dans la ramure
Le grand vent de l'infini.
p.7
Le carré de l'hypoténuse
On vous dit…
On vous dit qu'il faut prendre l'air,
Il faut en prendre et en laisser.
Prenez l'air sans en avoir l'air,
Prenez l'air désintéressé.
Prenez l'air, cléments, comme Ader,
Sans vous laisser influencer,
Si ce n'est par les courants d'air,
Qui sont à prendre ou à laisser.
p.126
Le bidule et le machinchose (fables et contrefables)
La chute
— Seigneur, dit le serpent, qu'ils aient croqué la
pomme,
quand on connaît la femme et l'homme,
faut-il s'en étonner ? n'ont-ils pas le sang chaud ?
Mais la faute m'en incombe,
non, là, Seigneur, les bras m'en tombent !
Et depuis ce jour–là les serpents sont manchots.
p.137
Géométrie
Deux droites parallèles
depuis longtemps s'aimaient :
— Nous toucher, disaient-elles,
le pourrons-nous jamais ?
Messieurs les géomètres
nous parlent d'infini ;
c'est beau de promettre,
mais tant de kilomètres,
ça donne le tournis !...
— Si le sort vous accable,
leur répondis-je alors,
rapprochez-vous, que diable,
rapprochez-vous encor !
Ma remarque, opportune,
leur fut d'un grand secours :
il n'en reste plus qu'une.
Quel beau roman d'amour !
p.124