A peine avions-nous pénétré dans le salon que Pascal, prétextant l'heure de l'apéritif, m'a proposé un verre que je me suis empressée de refuser d'un hochement négatif de la tête et d'un vague grognement. Devant mon attitude rebelle, il a haussé les épaules et soupiré, s'est approché du bar où il s'est servi un verre de son meilleur whisky, celui qu'il se réserve habituellement pour les grandes occasions.
Ah! comme j'apprécie d'accompagner ces hommes et ces femmes, en fin de vie, tout au bout du chemin, vers leur dernier soupir. Doucement, calmement.
Cependant, dans notre fichu monde, tout n'est pas toujours aussi simple, aussi parfait.
Si voir des jeunes, avides de croquer la vie à pleines dents, disparaître brutalement est, à coup sûr, inhumain, voir des vieillards, désireux de s'effacer, languir des semaines, sinon des mois, sur un lit de souffrances, l'est tout autant.
Alors, à force de côtoyer ces regards suppliants et désespérés, j'ai compris et j'ai enfin saisi le rôle qui m'avait été assigné : devenir un ange, un ange de la mort !
Non, ce qu'i faudrait, me suis-je dit, c'est réussir à lui faire prendre conscience de l'atrocité de son geste et tenter de le raisonner. Puis je me suis rendu compte de l'invraisemblance de cette idée. Chacun a sa propre vision du monde et perçoit les choses différemment. Pour certains, un animal n'est malheureusement rien d'autre qu'un objet. On a beau se révolter contre ça, on n'y peut rien. Le monde est ainsi fait.
Hier, quand il m'a parlé,le docteur m'a fait part de la dégradation irréversible de l'état de santé de mon père — m'imaginait-il donc aveugle — mais comme, estimait-il alors,celui-ci ne souffrait pas, il m'a dit qu'il préférait patienter encore.
"La barbarie n'a donc pas de limites", j'ai pensé à ce moment précis.
Allons bon, à quoi servent les amis s'ils disparaissent lorsque l'on a besoin d'eux? C'est fou comme les gens ont tendance à se défiler devant les emmerdes des autres. Comme si c'était contagieux.
Elle de dirigea ensuite vers le canapé dans lequel le maître de maison se vautrait. Elle s'agenouilla devant lui et se mit à caresser son épaisse fourrure. Après quelques secondes, le chat entrouvrit les yeux et se mit à ronronner. Manon en éprouva une immense joie.
— Je t'aime tellement, lui dit-elle.
Et, tout en continuant à le caresser, elle poursuivit:
— Fais gaffe, grosse boule de poils : le monde est plein de détraqués qui ne souhaitent rien de plus que le malheur des autres.
Mon supplice a pris fin peu avant la mi-temps alors que le score n'avait plus évolué. Sur le moment, j'ai cru à une intervention divine mais, bien plus tard à la maison, après avoir recouvré mes esprits, je me suis rendu compte que l'ecclésiastique s'était, tout simplement, déchargé de son trop-plein d'énergie dans son caleçon, jusqu'alors immaculé, et qu'il avait ensuite retrouvé un semblant de lucidité. Peut-être même a-t-il songé à cet instant qu'il lui faudrait se confesser.
Dans la main droite, elle tient ce même couteau énorme, sorti de je ne sais quelle cuisine, dont la lame, éclairée par les spots du salon, étincelle méchamment. Horrifiée, Sabine s'est levée et, tétanisée, regarde la femme, à l'allure de zombie, qui s'approche d'elle à allure réduite en titubant légèrement.