Je poursuis la découverte du travail de Jean-Marc Flahaut. Deadline est un ouvrage de haute voltige. Une partition alternant théâtre, témoignage, récit, et poésie ; le tout dans un dispositif poétique court, ramassé, éclaté et néanmoins parfaitement cohérent. L'auteur fait le pont entre l'intime d'un terroriste et tout le toutim des médias et des messes basses décomplexées. Non sans rappeler Patrick Bouvet, Israël Horovitz ou Wajdi Mouawad, ce texte vit par la force des mots et des images. On a envie d'entendre ces paroles, pour faire vivre les images, les émotions ; alors on se surprend à les dire à voix haute. Ce livret d'une symphonie de la catastrophe appelle des sons, aux rythmes, des harmonies, la puissance des cuivres, des cordes et des voix toutes nues. Ce texte est remuant, mais booste à la fois. Non, la poésie engagée non manichéenne et non sclérosée dans des thématiques étroites ultra-cérébrales, n'est pas morte. Autopsier ce qui nous arrive de cette manière offre un reflet profondément humain. Bravo l'artiste !
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Certaines histoires ne devraient pas être oubliées, car elles parlent furieusement de nos contradictions. La prose poétique fine, épurée et sans concession de Jean-Marc Flahaut fait revivre cette aventure des années 70. À quoi bon raconter, quand les fragments, les détails, les interactions, les frôlements, les basculements insidieux disent tous d'eux même sur la nature humaine ? Outre le syndrome éponyme, l'ouvrage se concentre sur le sens de la révolution, son non-sens interdit, giratoire, oratoire et factuellement guidé vers une impasse. Comment ne pas se sentir concerné par ce cri des actes qui cherchent un sens à une vie qui n'en a plus. On a fini par se fatiguer de tourner en rond autour des ronds-points. Les armes de Jean-Marc Flahaut sont les mots qui dézinguent les a priori et posent les bonnes questions sans jamais y répondre de manière moralisante. La forme épistolaire - qui ressurgit dans le livre composé de fragments courts et concis - est très juste, car elle ramène la parole et l'écriture à sa plus simple dénomination : s'adresser à. À qui ? Stockholm s'adresse à tout le monde. Avons-nous le courage de l'admettre ?
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40 bribes de prémisses et de lendemains des attentats du marathon de Boston en 2013.
Sur mon blog : https://charybde2.wordpress.com/2017/08/19/note-de-lecture-deadline-jean-marc-flahaut/
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Bad Writer
Jean Marc Flahaut. Préface Frédérick Houdaer
Les Carnets du Dessert de Lune, Collection Pleine lune
ISBN : 9782930607931. 68 pages, 12,00 €
photo : une archive personnelle de l’auteur « Mon papa. Sur un terrain de basket. 40 degrés au soleil. » Préface « décoiffante » de Frédérick Houdaer...
Une suite de textes courts qui s’enchaînent à la vitesse du vent : une dose d’autodérision dont nous ne sommes pas nécessairement coutumiers en poésie : ou plutôt chez « les » poètes.
« je reçois le prix Louise Labé / et celui des Découvreurs / en même temps / qui viennent récompenser / et à juste titre / l’ensemble de mon œuvre poétique. »
Une autodérision non feinte...
Quelques traits d’humeur contenus dans « Art comptant pour rien » -est-il bien nécessaire d’en commenter le titre ?
« les types comme lui/tout le monde s’en fout /[...] il faudrait prendre sur soi [...] les photographier dans un supermarché /en train d’acheter du jambon / de monter dans un bus /ou de sauter d’un pont / [...] il faudrait juste leur demander d’arrêter de sourire. »
Le titre du texte peut presque vous permettre de compléter les éléments manquants...
Vous irez voir ce qu’il advient de ces « clichés » !
Une tendresse particulière pour : La nouvelle
« c’est un homme / il sort d’un bar /un cinema un théâtre ou un restaurant / il vient d’apprendre / la terrible nouvelle / l’amour tue / il est sous le choc... »
Une écriture alerte pour dire le monde, son monde, en creux des joies, des trouilles et surtout cette perpétuelle et généreuse politesse de l’humour.
Alors Bad Writer ?
Vous pouvez d’ailleurs découvrir de larges extraits de cet opus mis en voix et musique respectivement par François et Jacques Bon sur You tube et suivre le conseil du premier pour en découvrir l’intégralité. Vous ne serez pas déçus
© Clara Regy in terreaciel.net
Sur internet, on peut voir et écouter notre auteur lire "des haïkus à toute vitesse/avec autant de charisme/qu'un égouttoir à vaisselle" ! Dans ces pages défile le quotidien tragicomique d'un auteur en gésine : "Peur du libraire/qui refuse de vendre mes livres/ peur de l'éditeur/qui refuse de prendre mon manuscrit/peur du lecteur/qui ne lira jamais aucun de mes poèmes... Peur d'écrire quelque chose de/mauvais... peur d'avoir gâché ma vie..." Une dérision piquante assaisonne les vers : "J'organise/mon propre salon du livre/chez moi/ à la maison". Mais les voisins ont des activités beaucoup plus passionnantes : "sortir le chien/tondre la pelouse/laver leur bagnole/rentrer les poubelles." Pas facile la vie d'artiste !
L'auteur relate son work in progress, son écriture en marche, on the road : "prendre/une photo de moi/en train de chercher des idées pour/un nouveau bouquin... qui existera/(probablement)/(sans doute)/jamais". Ça décape ! Jean Marc Flahaut, né en 1973 à Boulogne-sur-Mer, est influencé par les auteurs de la contre-culture américaine des années 60-70. Il vit à Lille et anime des ateliers d'écriture créative.
© Odile Bonneel in INTERCDI janvier/février 2018
Cet onzième recueil de poèmes d’un auteur né en 1973, publié chez Massot plusieurs fois, et, entre autres, par Les Etats Civils (beau site tout entier réservé aux poésies et photos), se donne, dès la préface cocasse de Frédéric Houdaer et l’exergue de Halldor Laxness, des airs tout à fait sérieux de ne pas se prendre au sérieux, bref de quoi se moquer allègrement de certains usages éditoriaux, des GRANTECRIVAINS (comme le dit Noguez) et de toute une batterie de codes…
C’est décalé, déjanté, persifleur, et vrai :
« PEUR(S) / peur du libraire / qui refuse de vendre mes livres / peur de l’éditeur qui refuse de prendre mon manuscrit / peur du lecteur / qui ne lira jamais aucun de mes poèmes »
« Le syndrome Littlefeather » fustige les prix littéraires ; le « Poème universitaire » est un salmigondis d’angliche et de français, à la façon Séchan, et l’humour noir offre à certains textes une authentique désespérance :« TIME LAPSE / prendre / une photo de moi / en train de chercher des idées pour / un nouveau bouquin / chaque jour / pendant un an / le résultat est / saisissant // mes cheveux ont poussé / mes poumons ont noirci / mon ventre a gonflé / mes dents ont jauni / mais moi je n’ai pas pondu / une seule ligne »
Avec Flahaut, on rit jaune, absurde, des tics, des modes, des réflexes conditionnés, des potaches qu’on est, et de ces pochades naissent imperceptiblement, paradoxalement, une poésie inattendue, caustique, celle d’un gars « qui collectionne, selon les dires de son biographe de préfacier, les V.H.S. » et les trouvailles (comment se moquer d’un genre japonais en faisant beaucoup beaucoup plus long que les trois vers dont on se moque : jetez un coup d’œil en page 57, Poeme Japonais).
© Phiippe Leuckx in revue Texture.
Jean-Marc Flahaut nous donne à lire 22 textes. Choisissant la langue anglaise pour certains titres (dont celui du livre) il semble se former une identité d’outre-atlantique, celle d’un écrivain qui doute, de lui d’abord. L’auteur serait-il mauvais écrivain ? Les textes, en tous cas, qui composent ce livre sont directs, décalés parfois, d’un désabusement qui, je crois, est plus une feinte de corps qu’une réalité existentielle, sauvé par un humour (légèrement britannique) que sert une langue proche et familière.
Un livre qui nous rappelle, en tous cas, que les poètes qui prennent la grosse tête ont tort, et que l’écriture - tout particulièrement de poésie - est davantage un chemin d’humilité qu’un sentier de la gloire.
© Alain Boudet in http://latoiledelun.fr/spip.php?article760&lang=fr
Comme il est indiqué en 4e, l’auteur est influencé par la contre-culture américaine des années soixante et soixante-dix. Le titre en atteste, si besoin était, écrit en gros sur la couverture. Il y a toujours ce recul, cette distance amusée avec le texte, une dérision prise en compte avec l’inutilité de la chose, et le terrassement immédiat de la moindre prise au sérieux. « J’organise/mon propre salon du livre/ chez moi/ à la maison » Pour ce faire, il écrit de toutes petites histoires en vers, des fictions express. « C’est un homme/Il sort du bar ». C’est souvent drôle, avec des saillies : « … avec autant de charisme/qu’un égouttoir à vaisselle » et aussi parfois un fond plus mélancolique ou noir : « on imagine/l’avenir qui s’ouvre/derrière nous ». J’aime bien « Poème universitaire », composé de phrases gravées par des étudiants sur une table de salle de cours à l’université de Lille.
© Jacmo in Décharge N° 157
Dans ce petit recueil de poésie narrative, construit de vers très libres, extrêmement concentrés, chaque mot ayant son utilité, sa signification, son poids, sa musique, Jean Marc Flahaut exprime un doute très profond. Il doute de lui et de son art, il doute de la poésie, il doute de la capacité des lecteurs à comprendre la poésie, il doute même d’être capable de faire comprendre au lecteur la nécessité de la poésie, son sens profond, son utilité. Il doute de l’art, de son art, de la capacité des autres à comprendre l’art.
Ce doute le laisse oscillant en une incertitude schizophrénique entre celui qui écrit et celui qui range les papiers, entre le poète et le tâcheron :
« Il y a
deux hommes en moi
l’un écrit
l’autre pas il lit – il classe – il range il trie »
Mais ce doute l’entraîne aussi dans une forme de paranoïa sclérosante, l’empêchant de proposer ces textes par crainte de la cohorte de tous les refus.
« peur du libraire
qui refuse de vendre mes livres
peur de l’éditeur qui refuse de prendre mon manuscrit
peur du lecteur
qui ne lira jamais aucun de mes poèmes
peur… »
Auteur convaincu de son talent, il est aussi persuadé du bienfondé des critiques négatives de ses détracteurs, nourrissant ainsi sa vision schizophrénique de son moi écrivain.
« …
il pense
…
qu’il est à la fois
le tueur et la cible
l’antidote et le poison
… »
Il reste alors avec ses doutes et ses frustrations, espérant toujours écrire le livre qui changera tout, le regard des autres et l’estime de soi.
« ce livre
que je voudrais écrire
et tous ceux que j’ai écrits
pour m’en approcher »
Mais je suis convaincu que Jean Marc Flahaut est persuadé qu’il a du talent et qu’il affecte de douter de lui et de son art pour faire comprendre qu’on ne le juge pas à l’aune de ses qualités.
« c’est fou
ça n’a l’air de rien
mais ça dit tout »
Le narrateur réalise un véritable exercice d’autodérision instillant un doute sur son art pour, au contraire, démonter qu’il est bourré de talent et que ses textes méritent toute la considération des lecteurs et des éditeurs. Ils sont déjà nombreux à le lire et à l’apprécier à l’aune de son talent réel et je ne suis certainement pas le premier à être convaincu qu’il n’est surtout pas un « Bad Writer » !
© Denis Billamboz in http://mesimpressionsdelecture.unblog.fr/2017/06/23/bad-writer-jean-marc-flahaut/
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