Nous sommes relevés vers la fin du mois de mars. Une fois de plus j'ai été préservé par ma bonne étoile, d'ailleurs tous les poilus croient en leur bonne étoile ! On se raccroche à ce que l'on peut, à des riens, à un porte-bonheur, une médaille, un saint...
Mon père, je n'ai plus la foi. Je ne crois plus en rien. Est il possible de faire subir à l'être humain autant de misère ?
Pourquoi, qu'avons fait de si mal pour qu'on nous fasse vivre un tel cauchemar ?
Mon Dieu ; Pourquoi ? Nous ne méritons pas ça ! Nous sommes des êtres humains, sauvez nous ! Miraculeusement indemne, je parviens à quelques mètres de la tranchée des boches, le sol est jonché de corps agonisants, ce que je vois me fait horreur ! L'ennemi a subi lui aussi de plein fouet la tourmente, un véritable maelstrom. Les corps des "Felgrau" sont enchevêtrés, écrasés, aplatis, mutilés contre la terre. Soudainement, la poussière soulevée d'une déflagration m'aveugle, je me protège les yeux avec la main, je distingue mal ce qu'il y a devant moi. Une masse informe vert de gris erre comme un fantôme. Oh ! mon Dieu ! c'est un boche ! Il vient sur moi, m’agrippe, son poids me fait basculer, je tombe en arrière; il est blessé, il crache du sang abondamment et dans un dernier râle, perd connaissance. Je m'évanouis...
Pourquoi tant de haine, tant de souffrance, tant de morts ?
L'humanité toute entière est en train d'oublier ce qui s'est passé ici.
L'angoisse qui m'étreint au moment où j'écris ces lignes,
Me donne à penser, que devant cet oubli collectif,
Un jour tout peut recommencer.
A tous ces glorieux combattants d'une génération de sacrifiés dont le seul tort est d'avoir eu vingt ans en 1914.
Puisse notre mémoire les faire vivre dans nos coeurs pour l'éternité,a fin que nul n'oublie leur sacrifice.
Avec l'apparition de ces nouvelles armes : lance-flammes, gaz asphyxiants, chars d'assaut, nous n'avons aucune chance de nous en sortir vivants. De plus, maintenant c'est devenu une habitude, à chaque fois l'ordre tombe net, irrévocable : " Il faut tenir coûte que coûte, ne reculer à aucun prix et se faire tuer sur place jusqu'au dernier plutôt que e céder un pouce de terrain". Nos politiques et nos généraux nous font mourir, ils nous vendent comme des animaux que l'on mène à l'abattoir.
Mais comment peut-il y avoir une guerre ? Nous sommes une nation civilisée, et c'est le XXe siècle ! L'été est radieux, la campagne est magnifique, la récolte cette année s'annonce prometteuse et ma femme vient de mettre au monde une belle petite Louisette à la frimousse potelée.