Un beau matin (c'était Dimanche, et la bibliothèque était fermée), Loup-Gris se décida enfin. Il sortit sans bruit de son histoire et se rendit à pas de loup chez son voisin Loup-Brun qui logeait quelques livres plus loin.
- Voilà, maître, dit-il enfin, l'histoire
de ce livre étrange. Reçois-le comme un cadeau
d'adieu. Car je me fais vieux maintenant. Je ne serai bientôt
plus là pour te compter mes histoires. Alors, si un jour elles te manquent,
tu pourra feuilleter ce petit livre. Sur ses pages blanches, comme sur les feuilles
de l'arbre de lune du jardin de Sastrawane Indra, il y a des histoires en sommeil.
Il te suffira juste de fermer les yeux pour que le bel oiseau messager du clair de lune se pose sur ton épaule et que le vent fredonne à ton oreille les plus belles d'entre elles. Celles qui n'ont pas de mots pour les dire.
Juste fermer les yeux, maître... Écouter battre le cœur du monde... Et se laisser porter.
Dans son palais du bord de l'eau, Rajah Cokorda
Soukawati contemplait le disque rouge du soleil qui montait
lentement derrière l'horizon. Un sourire se dessina sur ses lèvres.
En ce matin du premier jour de la saison des pluies, Sastrawane Mandia
viendrait lui apporter, comme le voulait la tradition, l'histoire qu'il avait
imaginée pour lui. Et le Grand Raja attendait ce moment avec impatience.
De toutes les histoires qu'on lui contait, les plus belles étaient toujours celles
de son vieux serviteur, Sastrawane Mandia le sage, le poète.
Alors il descendit dans le jardin, alla s'asseoir à l'ombre d'un bougainvillier
en fleur, près du bassin aux nénuphars, et attendit tranquillement en suivant
le ballet de trois carpes rouges qui ondoyaient entre les fleurs posées
sur un miroir de ciel.
Elle se dirigea vers le chevalet, choisit un beau pinceau en poils de martre et en testa la souplesse dans le creux de sa main, comme il le lui avait enseigné. Puis elle balaya du regard les pots de couleurs alignés devant elle... hésita... se retourna... échangea un regard complice avec le vieux sage et plongea délicatement son pinceau dans le pot de rouge orangé.
Mais le temps filait. Et Tempête ne reviendra plus...
Une nuit de printemps, dans le silence du cimetière, il est allé rejoindre Gwenn au pays des caresses éternelles.