LOrdre et la Morale - Bande annonce
Au garde-à-vous sur le pont arrière, une ombrelle déployée à la main, un marin se tient prêt à satisfaire la moindre sollicitation. Le yacht ronronne sobrement, ses moteurs de 3 760 chevaux au ralenti rejettent l'eau et la vapeur de refroidissement par deux pots qui crachotent et hoquettent alternativement. Du métal surchauffé s'élève une brume tremblotante, parfumée des effluves d'herbes séchées qui arrivent par bouffées du littoral et des senteurs d'iode et de sel où persistent des traces tenaces de combustions incomplètes.
Si on élargit le cadre de ce cliché, figé pour l'histoire le 22 août 1997, l'écran s'anime comme un film de vacances. Le plongeoir est déployé depuis l'arrière d'un gros yacht de 63 mètres, le Jonïkal, propriété du milliardaire égyptien Mohamed Al-Fayed. Sur la gauche, des gardes du corps, embarqués sur une annexe, patrouillent jumelles aux yeux pour empêcher toute approche inopportune.
Avant de s'installer en bout de planche, Diana a pris plusieurs poses : s'avançant façon mannequin sur un podium ; debout, méditant face à la mer ; assise, les bras croisés sur ses jambes repliées; allongée sur le côté en naïade. D'un naturel soigneusement apprêté, elle poursuit par l'entremise des photographes, et pour les yeux avides du public, un dialogue muet avec la famille royale.
Son regard est tourné vers l'arrière, en un mouvement de refus, saisissant geste de répugnance face à l'abîme. Ses jambes immobiles devenues inutiles pendent sans vigueur, prolongées par des pieds si grands et robustes qu'ils en deviennent incongrus. Le soleil sculpte les ombres de son corps, chauffe ses épaules et le casque doré de ses cheveux, peignant, à la manière d'un Sandro Botticelli, Vénus à l'été de sa vie. Un chaste costume de bain lisse sa silhouette d'une seule pièce, et souligne ses formes d'une savante indiscrétion, découvrant ses cuisses longues et ses genoux ronds ambrés de lumière. Un fragment du temps, saisi par le photographe James Andanson, au moment paradoxal où le corps de cette femme exprime, dans la même posture, le désir d'un élan audacieux, contrarié in extremis d'une soudaine contraction.
Au large, chevauchant des jet-skis, les paparazzi montent la garde, cernant le navire d'une ceinture d'astéroïdes. Au loin sur le littoral, un photographe rampe dans les rochers, dérangeant une colonie de mouettes qui s'envolent en poussant des cris aigus.
La planche semble sortie de nulle part, projetée dans le ciel de Sardaigne entre mer et nuées. Une femme est assise à son extrémité, suspendue dans le temps et l'espace, au bord du vide. Elle n'a pas vu la mouette, au-dessus de sa tête, colombe rapace que les Napolitains appellent gavina. Elle penche la tête sur son épaule, cassant la courbe parfaite de son dos cambré, maintenant l'équilibre de ses bras tendus, solidement arrimés aux rebords du plongeoir.
Diana Spencer n'a plus que neuf jours à vivre.