Nous ne sommes pas les seuls que ce tableau retient. Des cercles se forment autour de lui, se reforment sans cesse. On l'a vu, on va le revoir...
Il accapare. Il trouble. Certains hochent la tête, les yeux rivés à cette peinture. D'autres commentent :
- Impressionnante, cette ombre !
- Quelle est cette forme torturée que l'on devine ?
- Un symbole ? un totem ?
- Une émanation du subsconcient ?
- Atmosphère hallucinante ! qu'a donc voulu exprimer le peintre de si inquiétant ?
- Ces taches fulgurantes, là, seraient-elles un regard ?
- Le regard d'une chose, d'un objet ?
- Il y a là dedans du psychisme en panique....
Il nous a fourrés avec ça exprès ! Il se dit qu'on va pouvoir s'en payer de le contempler son truc déguelasse. Et il rigole avec son rire de poulie mal graissée ! Oui, mais moi, je peux pas supporter des combines comac ! Ah non ! Je me suis bagarré avec des types armés jusqu'aux dents, j'ai pris des coups de tabac sur des bâteaux qui ruaient de tous les côtés, à pas savoir une fois au creux de la lame si on allait jamais remonter. J'ai fait le coup de flingue contre des troupeaux de squales...Tout ça c'est des affaires d'hommes ! Oui ! Même quand on en prend un coup, assaisonné comme je l'ai été par une bande de corsicos qui avaient juré de me couper en rondelles ! C'était pas pareil ! là on en flanque ! On y va à coups de tatanes dans les bons endroits, à coup de boule dans les bides. Une bonne lame qui entre dans le lard, ça arrange bien les choses ! Je m'en suis pas privé. J'ai peut-être été un salaud, un dur , un moche...d'accord ! Mais...les trucs qui se passent ici...tout ce qu'on sent grouiller dans son intérieur quand cette face d'affreux vous regarde...Et puis de savoir à quoi on est promis...sa boucherie sur la table, comme l'acrobate d'hier...les mains du type qui vont aller nous fouiller le cassis...pour en faire sortir...je sais pas...un truc qu'il va nous voler. Et son orgue ! cette musique qu'ils vont nous faire ! non ! non ! non ! moi je peux pas ! ...Je dis que je peux pas !
Je voudrais oublier. Et j'aurais pu oublier même les visions les plus abominables, n'oublie-t-on pas très vite les pires horreurs de guerres, des cataclysmes et autres fléaux qui nous ravagent ?
J'aurais pu oublier s'il n'y avait cette...enfin...la "Chose". J'ignore encore comment on peut nommer ça ! Quel terminologie faut-il employer pour désigner ce qui n'est pas désignable...alors je dis la "Chose".
En cela, j'ai été dépassé par les princes qui, secrètement, gouvernent les peuples. Ils savent "robotiser" mieux que moi. Ils y emploient leurs savants, leurs journaux, leurs rabâcheurs politiques. Tous leur sert. La télévision, la radio, la littérature, la publicité, l'automobile, l'allocation à la reproduction en série. D'ailleurs, plus besoin bientôt de fabriquer des mannequins de plastique et de métal.
Quelques électrodes introduites dans les cerveaux humains, et la grande révolution sera accomplie. L'homme aura laissé sa place au sujet commandés par ondes. Crie "Vive Chose !" Gueule "Vive Machin!" Vote ici ! Vote là ! N'achète pas ! Achète ! Fais l'amour ! Fais la guerre !.
Les numéros dansaient devant mes yeux. Enfin je l'ai trouvé !
J'ai mis un jeton, j'ai fait tourner le cadran. Ca c'est déclanché.
Une courte sonnerie. Quelqu'un a pris le combiné.
J'ai dit :
- Ici Gérard Badin. Vous m'entendez ?
On n'a pas répondu. J'ai répété mon nom plusieur fois, haletant.
Ma voix s'enrouait.
- Ici, Gérard Badin...vous m'entendez bien ? Gérard Badin...
Ca tombait dans du silence. Un silence qui avait une forme vaguement humaine et des yeux dont sortaient des flammes vertes.
On m'écoutait.
Ce meuble immense, avec son décor d'oiseau de rêves, tient tout le fond de la pièce où Annabella vient de me faire entrer.
De l'exotisme partout. Meubles, panneaux sur les murs où des peintures représentent des najas, des plantes torturées, et un peu partout d'affreux dieux à têtes d'animaux.
- Ce sont les Rakchacas ! souffle ma compagne. Les dieux destructeurs. Venez Luc, on ne doit pas rester ici en l'absence du maître...
La parole intérieure, non perceptible à l'oreille d'autrui, est ce que nous avons de mieux gardé.
Cela parle tout le long d'une vie. Dès que l'on a appris à dre lolo, bobo, pipi, la mécanique est déclenchée. Elle ne s'arrêtera plus. On "se" dit. Je "me" dis. Ils "se" disent.
Chaque individu entend tourner son disque. Il se met en marche tout seul.
Au bon accueil , dans le chalet de Me Bruchet , est attendu un locataire , Mr Pagès , chercheur en retraite qui cherche un lieu tranquille pour écrire son livre et ici il sera comblé.
Me Bruchet , veuve inconsolable tente de communiquer avec son défunt mari de différentes manières .
A l'arrivée de Mr Pagès l'étonnement est grand , car il ne correspond pas à la description donnée par Me Martineau dans sa lettre ... Mais bon parfois on se fait une idée des gens qui ne correspond pas à la réalité .
Pourtant ce discret Mr Pagès est bizarre , ne veut voir personne et semble se cacher .
Mais quand dans la région un mystérieux assassin a tué plusieurs femmes , Me Bruchet et sa voisine Me Laprade ont trouvé le coupable tout désigné ...
Surtout que la petite servante Perrine va elle aussi être étranglée .
Oublié chez les hommes. Que vais-je devenir ? Y a-t-il seulement un devenir pour moi ?
..."Ouné créatoure du Bon Dio" !...
Je n'en fais pas partie !
Le domaine dont on m'a fait franchir les frontières est un domaine à part, où rien ne parvient du monde naturel.
Je suis certain qu'à cet instant chacun de nous revoit en pensée les misérables, avec leur aspect de cauchemar, les invraisemblables anomalies qui les retranchent du monde des hommes, et cette indéfinissable expression de désespoir qui bouleverse.