Avant elle, je n'étais pas capable de mettre un pied devant l'autre sans casser quelque chose. Avant elle, je croyais qu'il fallait hurler pour être entendu. Elle m'a appris la douceur. Elle m'a enseigné le prix du silence.
Mais maintenant, je le paie au prix fort, son silence. Et je veux l'entendre parler de nouveau, j'en crève de ne plus entendre sa jolie voix haut perchée. A présent, elle est tellement haut perchée que, pour la retrouver, il faudrait savoir voler.
Sarah a eu cette chance que je n'ai pas, pouvoir excuser sa différence par sa beauté, la faire oublier par sa légèreté. Mais, quand sa minceur a dépassé les diktats en vigueur pour devenir celle des malades à interner, personne ne lui a plus rien pardonné. Ce qu'on disait discrétion est devenu prétention, ce qu'on appelait enfance de l'art est devenu perversité, stigmate de folie.
Comment raconter le visage de Hope autrement qu'en convoquant les mots de papa quand il parlait de l'utopie communiste, qui à une époque lui était si chère et dont il s'était éloigné il y a longtemps déjà ? L'utopie communiste, cette belle idée sur le papier, société d'égalité et de richesses partagées, mais qui s'était révélée si meurtrière dans la réalité.
"J'ai commencé à marcher, petite ballerine maladroite, des cloques aux pieds, des cloques au coeur; petite ballerine en cloque ayant fait le vœu que, si je parviens jusqu'à l'autre extrémité, ce petit enfant me donnera assez d'équilibre pour ne plus jamais tomber. "
J'ai commené à marcher, petite ballerine maladroite, des cloques aux pieds, des cloques au coeur; petite ballerine en cloque ayant fait le voeu que, si je parviens jusqu'à l'autre extrémité, ce petit enfant me donnera assez d'équilibre pour ne plus jamais tomber.
D'abord, il y a un mur. Ensuite, il y a Sarah. Dans cette histoire, c'est la seule fois qu'elle viendra après quelque chose, et dans ma vie aussi.
Quand j'ai compris que, pour la retrouver, il me faudrait forcer les portes du pays où elle s'était exilée, je lui ai donné un nom - Car tu sais, Jean, si tu ne connais pas le nom des choses, tu n'as aucune prise sur elles, c'est comme une porte sans serrure et qui ne s'ouvrira jamais -, et je l'ai appelé Lostalgie.
Et je me surprends encore, quand je suis seul chez moi ou perdu quelque part au milieu de la foule, à entamer quelques pas de danse, et, puisque Sarah m'a rendu fou, ils peuvent bien dire ce qu'ils veulent, moi, Jean, je m'en fous.
...Pourquoi ne pas m'avoir dit tout de suite que vous souffrez d'agoraphobie ?
Je réfléchis longuement, bien que j'eusse déjà la réponse.
- Peut-être est-ce parce que je préfère me raconter des histoires plutôt que d'affronter la réalité ? Tout, plutôt que de reconnaître que je suis malade. Je suis tellement effrayé à l'idée que l'on me colle cette étiquette pour le restant de ma vie, et que je ne puisse plus jamais m'en défaire. Tellement terrifié à l'idée que l'on me rejette et m'abandonne... Tellement peur aussi de me retrouver enfermé dans un hôpital en compagnie des fous. Je ne sais même pas s'il existe un endroit où l'on pourra me rapatrier, où je pourrai retrouver les miens ?... Ici, à Paris ? Je crois que cette ville n'est définitivement pas faite pour moi. Et la réciproque vaut aussi... Je lui ai posé bien trop de lapins, et mille vies ne suffiraient pas pour qu'elle puisse me pardonner...
J'aurai tant aimé lui dire : «Je souffre d'une maladie qui ne se voit pas. C'est comme si j'avais une jambe cassée à l'intérieur et qui m'empêche de marcher droit. Tu comprends ? Ça m'empêche de marcher. De vivre. Comme toi.»