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Citation de janske65


Une vingtaine de clichés jonchent le bureau de Grégoire Dekeyser. Le commissaire a envie d’une clope. Il jette un œil par la fenêtre et contemple pendant un court instant le dôme du Palais de justice qui jouxte le commissariat de la police fédérale. Les toits d’Ixelles et de Saint-Gilles prennent mille teintes automnales sous la lumière du soleil glacial de décembre. Il est quelque peu agacé. La mobilisation générale pour la traque des terroristes de Paris ne lui a même pas permis de visiter la scène de crime. Il est contraint de superviser des dizaines de perquisitions et de rapporter directement les conclusions aux magistrats instructeurs. Les affaires de terrorisme emportent à présent le grand banditisme autant que son département. Tout le monde est sur la brèche. C’est un état de guerre. Les malades mentaux qui découpent leurs victimes en morceaux sont à présent sous la pile de dossiers. Il appelle Cricx pour s’en fumer une au rez-de-chaussée. Les pauses clopes sont un moyen très utile pour un chef de service d’écouter les bruits de couloirs. Les non-fumeurs arguent que c’est une perte de temps, alors que le mouvement et la liberté de bouger font naître de bonnes idées au détour de conversations cordiales entre fumeurs qui ressentent l’un pour l’autre une certaine loyauté.
La cour du rez-de-chaussée dispose en son centre d’un énorme marronnier. Un épais tapis de feuilles jaunes et rouges recouvre le sol de pavés gris. L’air humide et froid l’incite à avaler profondément la fumée âcre et chaude de sa Marlboro. Cricx fume un cigarillo. Bien que sous-officier, il aime se donner un petit genre aristo. Grégoire Dekeyser lit en diagonale le compte-rendu de la déposition de l’affaire qui les occupe.
— Dans l’appartement d’Uccle, il y avait des sculptures et des peintures qui valaient une fortune. Il y avait même une esquisse de Modigliani. C’est bizarre que le tueur n’ait rien pris, commente Cricx.
— Vous vous intéressez à l’art, Inspecteur ?
— On peut dire ça. Je peins.
— Vous peignez ?
— Oui. Pointillisme, impressionnisme.
— Oh ! s’exclame le commissaire, incrédule, en le dévisageant.
— Et puis j’ai remarqué un truc.
— Oui ?
— Un mur du salon était vide, alors qu’un clou laissait supposer qu’un tableau s’y trouvait. Récemment, en plus, parce que l’ombre faite de micro-poussières collées au mur ne correspondait pas à l’emplacement du tableau enlevé.
— Je ne comprends pas.
— Nous avons retrouvé dans la cave du bâtiment un tableau d’un petit maître flamand qui correspondait exactement aux traces laissées sur le mur, ce qui signifie que cette œuvre a été retirée pour en mettre une autre. Un grand tableau, parce que le clou récemment planté pouvait supporter un poids autrement plus lourd que celui de l’artiste flamand.
— Je suis impressionné, Cricx. Vraiment. Non seulement, parce que vous peignez, mais aussi que vous remarquiez ce genre de détail. Ce qui veut dire que l’on tient peut-être l’objet de la transaction d’un montant de cent cinquante mille euros entre le tueur et le couple d’Ucclois qui s’appelle…
— Marie-Chantal et Georges Criquellion. Ce qui m’a amené à trier toutes les transactions de ces derniers mois en matière de peinture dans la région. Je n’ai rien trouvé à Bruxelles, ni dans le Brabant, ni encore en Belgique. Il a fallu aller plus loin. C’est à Lille que l’on a retrouvé le nom de Criquellion, chez un commissaire-priseur, pour l’acquisition d’un bien du musée de Lille : l’œuvre d’un pompier.
— Qu’est-ce que les pompiers ont à voir là-dedans ? Cricx, je bent een beetje obscuur…
— Vous n’y êtes pas, chef. L’art pompier, c’est un mouvement d’art du XIXe siècle. Les impressionnistes s’en sont beaucoup moqués parce qu’il correspond à une technique très académique de la peinture. L’œuvre est le fruit d’un certain Carolus-Duran, un maître assez apprécié en son temps.
— Bravo, Cricx ! C’est pour ça que je vous ai choisi comme adjoint. Je sentais bien que vous étiez plutôt bon en histoire de l’art, ajoute Grégoire ironique.
— Merci, chef. Quant à la dernière transaction des Criquellion, on a juste trouvé un message dans leur boîte mail venant d’un certain « Saturne 1819 » qui invite le couple à passer sur Telegram pour une transaction. Impossible de tracer le message, évidemment. Il vient d’une adresse cryptée.
— « Saturne1819 ». Ça vous dit quelque chose ?
— J’ai cherché et je suis tombé sur une peinture de Goya qui datait de 1819 et qui représente le dieu Saturne dévorant l’un de ses fils.
Cricx sort son smartphone et exhibe l’image du Goya.
— Si l’image de Saturne correspond à celle de notre homme, cela ne présage rien de bon.
Grégoire écrase sa cigarette, puis il lance à son adjoint :
— J’ai encore une réunion cette après-midi avec la cellule antiterroriste, mais continuez sur votre lancée. Vous êtes bon, Cricx. Heureusement que je vous ai ! Vous êtes vraiment bon.
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